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verbeux dans ses descriptions. Bonaparte l'écoute patiemment; puis, sans attendre de plus amples détails, il se lève et lui dit : « Peut-on passer? Oui, citoyen consul, mais avec peine. - Eh bien, partons. »

Le premier consul demeura trois jours à Genève, et reçut la visite des personnes les plus distinguées du pays; Necker était du nombre. Il eut avec Bonaparte une longue conversation sur le crédit public, et se flatta, dit-on, de l'idée de revenir aux affaires; mais le financier genevois, esprit plus spéculatif que pratique, bien moins homme d'État que philosophe économiste, ne pouvait s'identifier avec le système du nouveau gou

vernement.

Des cinquante-huit mille soldats stationnés au pied des grandes Alpes, depuis les sources du Rhin et du Rhône jusqu'à celles de la Durance et de l'Isère, un tiers au moins, conscrits sans expérience, mais pleins d'ardeur, ne savaient point manier leur fusil ni diriger leur cheval. Les vieux instruisaient les jeunes, et quarante bouches à feu promettaient de les bien appuyer. Berthier, Lannes, Victor, Murat, Duhesme et Moncey, en qualité de lieutenants généraux, commandaient les six corps qui constituaient l'armée; ils avaient sous leurs ordres treize généraux de division; savoir: Boudet, Monnier, Gardanne, Chambarlhac, Watrin, Loison, Lepoype, Lorge, Gilly, Chabran, Thureau, Béthancourt, Harville, militaires d'une réputation fort inégale, mais d'une bravoure et d'un dévouement assurés. Tous n'attendaient qu'un dernier mot, Moncey pour déboucher par le Saint-Gothard sur Bellinzona; Béthancourt, par le Simplon et par Domo-d'Ossola; Thureau, par le mont Cenis et le mont Genèvre, sur Exilles et Suse; Chabran, par le petit Saint-Bernard; Lannes, suivi de l'avant

garde, du corps principal et du corps de réserve que commandait Berthier, c'est-à-dire trente-cinq mille hommes, par le grand Saint-Bernard.

Le 14 mai, Bonaparte passait en revue à Lausanne les six régiments que Lannes avait sous ses ordres, troupes excellentes, qui, n'ayant point éprouvé de revers, conservaient intact le sentiment de leur supériorité; et dès le lendemain elles traversaient le lac pour gagner Villeneuve, puis de Villeneuve Martigny, et de Martigny Bourg-Saint-Pierre, dernière limite accessible aux charrois. Dans le musée de Lausanne, nous avons vu la carte sur laquelle Bonaparte, avec un crayon rouge, a tracé la marche de ses troupes; le crayon forme deux lignes l'une passant par Malésan, Dent-de-Jaman, Diablerets, Tschingel, Saint-Gothard, Splugen; l'autre, par Villeneuve, Saint-Maurice, Martigny, Sion, Brieg et Saint-Gothard 1.

Pour assurer les divers services, le premier consul demeura deux jours à Lausanne; Carnot vint l'y trouver: dans l'indignation d'une conscience honnête, il lui parla du mauvais vouloir que manifestait Moreau, et de l'extrême difficulté avec laquelle il avait obtenu de lui quinze mille hommes au lieu de vingt-cinq. Bonaparte considéra dès lors Moreau comme un dangereux adversaire et un mauvais citoyen. Parti de Lausanne le 16, dès le matin, avec son état-major, le premier consul alla coucher dans l'antique monastère de la ville de Saint-Maurice, fondé en mémoire du massacre de

1 Cette carte, qui, du cabinet topographique de l'Empereur, fut transportée à Sainte-Hélène, devint la propriété de M. Jean Abram Noverraz, chasseur de ce prince, qui l'accompagna dans son exil en qualité de valet de chambre, et qui, natif de Lausanne, fit don au musée de cette ville des reliques impériales qu'il possédait. La ville les a mises précieusement sous verre, dans une grande cage occupant le centre du musée.

la légion thébaine. Le même jour, Berthier, adressant aux troupes une proclamation, s'exprima de la manière suivante :

« SOLDATS!

» L'armée du Rhin remporte des victoires éclatantes; celle d'Italie lutte contre un ennemi supérieur en nombre, et balance la victoire par des prodiges de valeur. Conscrits! l'heure du combat est sonnée; votre cœur brûle d'égaler ces anciens soldats tant de fois vainqueurs. Vous apprendrez avec eux à supporter les privations, à braver les fatigues inséparables de la guerre. N'oubliez jamais que la victoire ne s'obtient que par la valeur et la discipline. Soldats! Bonaparte s'est rapproché de vous pour jouir de vos nouveaux triomphes. Vous lui prouverez que vous êtes toujours ces braves qui se sont illustrés dans les armées. »

Le premier consul n'apparaissait point officiellement comme général en chef; il laissait aux troupes le temps de franchir les Alpes, aux ennemis, l'idée qu'il ne dépasserait pas la frontière; mais déjà le 18 il arrivait à Martigny, d'où son frère Lucien reçut ce billet : « Je suis au pied des grandes Alpes, au milieu du Valais; le grand Saint-Bernard a offert bien des obstacles qui ont été surmontés. Le tiers de l'artillerie est en Italie; l'armée descend à force ; Berthier est en Piémont; dans trois jours, tout sera passé. »

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Bonaparte coucha deux nuits dans la maison hospitalière des vénérables Pères de l'ordre de Saint-Augustin qui desservent le couvent du grand Saint-Bernard, ne voulant pas aller plus loin que son artillerie ne fût arrivée au delà de la montagne. Il fit porter à dos de mulet les affûts démontés, les forges de campagne, ainsi

que les munitions, les projectiles, même les cartouches d'infanterie, qu'on eut soin de renfermer en de petites caisses pour les garantir de l'humidité. Quant aux pièces de canon, il ordonna de les fixer par les tourillons dans des troncs d'arbres creusés pour les recevoir. Cent soldats furent attelés à chacun de ces traîneaux de nouveau genre, et pendant qu'ils cheminaient la musique et les tambours des régiments se faisaient entendre; aux passages les plus difficiles, on battait la charge. Ce fut d'abord entre Liddes et Saint-Pierre, dans la plaine de Cratz, puis en deçà de ce dernier bourg, dans une prairie appelée Ravairez, appartenant à l'hospice du grand Saint-Bernard, que stationna le grand parc, alors qu'on abattait sur la gauche les arbres qu'il fallait

creuser.

la

Ayant laissé son équipage à Martigny, Bonaparte partit à cheval, vers huit heures du matin, de Martigny, et chemina d'un trait avec son état-major jusqu'au bourg Saint-Pierre, où sa venue n'avait été annoncée que veille. Ce trajet présentait alors des difficultés qui n'existent plus aujourd'hui. En sortant de Saint-Branchier jusqu'au bourg d'Orsières, des escarpements, qu'on a tournés depuis, rendaient la route presque impraticable. Après Orsières une montée rapide appelée le Poncet n'offrait pas moins d'obstacles.

Arrivé au bourg Saint-Pierre à midi sonnant, Bonaparte descendit chez le bourgmestre, vis-à-vis l'église, dans une petite maison très-propre, d'un seul étage, meublée avec certaine élégance. Le salon de l'hôtel des Alpes d'Orsières renfermait en 1851, lorsque nous nous y arrêtâmes, un canapé et des fauteuils style Louis XV qui décoraient, à Saint-Pierre, l'appartement qu'avait occupé le premier consul, composé d'une petite cham

bre à côté d'une vaste salle à manger. De cette station Bonaparte put distinguer plusieurs témoignages parlants qui prouvent qu'avant lui les cohortes de Constantin, celles de Charlemagne et des bandes sarrasines avaient suivi la vallée pour franchir le col du grand Saint-Bernard. L'église, monument byzantin du onzième siècle, porte une inscription latine rappelant la dévastation des Sarrasins; le pont jeté sur le torrent date de l'époque carlovingienne; la colonne milliaire enclavée dans la muraille d'enceinte du préau servait à la fois d'indication d'étapes aux militaires et de guide aux pèlerins des deux cultes; les uns allant prier Jupiter Penninus, les autres le Rédempteur des hommes. Une muraille épaisse, garnie de créneaux, flanquée de tours, protégeait le bourg et fermait la vallée. Il n'en reste plus que des ruines, témoins muets de longues luttes entre les populations des deux versants de la montagne, entre les hommes du Nord et les hommes du Midi.

Depuis Martigny jusqu'au bourg Saint-Pierre l'armée marcha sur deux files; mais à partir de Saint-Pierre, les soldats cheminèrent un à un. Bonaparte, dans cette dernière localité, demanda un guide et deux mulets. Jean-Nicolas Dorsaz, secrétaire de la commune, lui désigna son parent, Jean-Baptiste Dorsaz, qu'il accepta volontiers, ce jeune homme ayant accompagné déjà plusieurs généraux, notamment Victor, qui, la veille, s'était rendu de Saint-Pierre à Saint-Remy. « Le général Victor, disait le guide Dorsaz aux voyageurs qui l'interrogeaient, était brusque et voulait me battre toutes

1 Ces faits nous ont été racontés, en 1851, par Jean-Nicolas Dorsaz, vieillard de quatre-vingt-quatre ans, que nous avons vu dans son chalet de la Cantine, où il faisait sa demeure d'été.

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