Le Canal de Aragon et de Catalogne, projeté depuis 1783, fut creusé de 1896 à 1910; les travaux complémentaires sont en voie d'achèvement. Il a 124 Km. de long et peut arroser 105.000 Ha. Enfin les Riegos del Alto Aragon, dont les installations furent commencées il y a une dizaine d'années, permettront d'irriguer plus de 150.000 Ha. Parmi les canaux qui ne sont pas destinés principalement à l'irrigation, il n'y en a qu'un qui mérite une mention spéciale, le Canal de Isabel II. Sous cette dénomination on comprend un ensemble de travaux qui ont pour but d'amener les eaux de la Sierra Guadarrama à Madrid. Avec les projets d'extension, le Canal de Isabel II comprend l'exploitation d'un affluent du Tage, le Jarama, et de trois sous-affluents, le Lozoya, le Guadelix et le Sorbe (1). Les principales installations se trouvent sur le Lozoya. Les eaux sont retenues par deux barrages. celui de Puentes Viejas qui possède actuellement une capacité de 23.000.000 m3, et qui pourra être portée à 50.000.000 m3, et celui de Villar qui retient 22.000.000 m3. Trois autres barrages de moindre importance se trouvent encore sur la même rivière ceux de La Parra, Navarrejos et Ponton de la Oliva. Les travaux s'étendront bientôt aux bassins du Jarama et du Sorbe. Le Canal de Isabel II conduit toutes ces eaux à Madrid, dans les grands dépôts de la ville haute. On a décidé la construction d'un second canal pour amener à Madrid les eaux des nouvelles exploitations. Toute l'alimentation de la capitale ne peut dépendre d'un canal unique ; un accident au canal pourrait occasionner un véritable désastre. D'ailleurs, le Canal de Isabel II suffirait diffi-cilement aux besoins croissants de Madrid. (1) Madrid est alimenté aussi par le Manzanares dont l'exploitation fut concédée à la Hidraulica Santillana qui est en conflit avec la direction du Canal de Isabel II. D'après le relevé du Ministerio de Fomento, il y avait en 1916 un total de 1 366 000 Ha. de terres irriguées, dont 80.000 Ha. seulement utilisaient les eaux de barragesréservoirs, dépôts ou lagunes. Le même Ministère estime que les barrages en construction en 1919 pourront irriguer plus de 160.000 Ha. ; c'est-à-dire que la superficie arrosée par ce procédé sera triplée. Les barrages exécutés depuis 25 ans sont donc deux fois plus importants que l'ensemble des travaux similaires des huit siècles antérieurs. En outre, les grands canaux en construction pourront irriguer quelque 400.000 Ha. Il apparaît donc clairement que la politique hydraulique de l'heure présente s'oriente vers les grands travaux techniques, qui permettent la transformation méthodique des cultures dans tout un bassin ou dans une vaste région. L'irrigation s'industrialise au moyen des canaux et des barrages. Mais ces ouvrages techniques ne marquent qu'une première étape d'une transformation plus vaste et plus difficile, à savoir l'adaptation des facteurs humains aux conditions nouvelles créées par les barrages et les canaux. Dans les anciennes irrigations, à caractère purement local, il suffisait de l'entente d'un petit groupe d'intéressés. Les méthodes actuelles sont plus systématiques; un plan d'irrigation devient obligatoire pour toute la région à laquelle il se rapporte. L'adaptation des facteurs humains à ce plan, pose une série de problèmes bien plus complexes que la construction d'un barrage ou le creusement d'un canal. Pour transformer les terres sèches en cultures irriguées il faudra souvent modifier le régime de la propriété, ou morceler de grands domaines dont les propriétaires ne peuvent ou ne veulent pas faire cette transformation. Ainsi se pose le problème de l'expropriation forcée. Pour établir la culture intensive il faut une main-d'œuvre abondante et appropriée. Il faut donc faire la rééducation du laboureur des terres sèches, A Valence, le Tribunal des Eaux siege tous les jeudis sous le porche de la cathédrale et règle séance tenante les contraventions et les conflits; tout se fait de vire voix. Les huit membres sont les syndics des huit canaux de la huerta Valencienne. provoquer l'immigration et organiser la colonisation. intérieure. Les cultures une fois établies doivent être administrées; l'État, qui en a entrepris l'établissement, chargera les usagers d'une partie de l'administration. Comment réaliser cette collaboration entre les bureaux d'un ministère et l'inexpérience administrative du paysan ? Il y a d'autres problèmes encore; par exemple, la solution des conflits et la législation des eaux. La Huerta de Valence et les anciennes Vegas sont régies par le droit coutumier. Les conflits sont réglés par un tribunal des eaux, aux coutumes archaïques, qui tient son autorité de la tradition. Impossible d'appliquer une pareille jurisprudence dans une colonie toute neuve, créée d'une façon artificielle; il faudra donc élaborer une nouvelle législation des eaux et peut-être créer de nouvelles attributions judiciaires. Ces quelques remarques montrent que l'établissement des irrigations n'est pas terminé avec la construction des barrages et des canaux. Ces travaux techniques demandent de l'initiative et des capitaux. Mais il faut en outre un dévouement tenace et éclairé pour opérer la transformation démographique, administrative et juridique. Le succès ne sera assuré que par la coordination harmonieuse de tous les facteurs qui concourent à l'établissement et à l'exploitation des cultures irriguées. A. GIEBENS, S. J. Licencié en sciences commerciales consulaires et maritimes. |