LE CHEMIN DE FER DU LOETSCHBERG AU POINT DE VUE DES INTÉRÊTS BELGES (1) Renseignements techniques et financiers sur sa construction et son exploitation CHAPITRE PREMIER RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX Ce qu'est la ligne du Loetschberg; son histoire et ce qu'elle a coûté. Etude économique du Loetschberg au point de vue des intérêts de la Belgique, de la France, des autres pays. L'ouverture toute récente de la ligne de chemin de fer dite du Loetschberg» (2) avec sa grande percée à travers les Alpes Bernoises, est un évènement qui doit attirer notre attention, tant au point de vue économique qu'au point de vue scientifique. Au point de vue économique, en effet, ce chemin de fer a ouvert une nouvelle voie directe entre l'Italie et un immense secteur des pays Nord-Ouest de l'Europe, (1) Conférence faite à l'Assemblée générale de la Société scientifique de Bruxelles, le 29 janvier 1914. (2) Le chemin de fer du Loetschberg a été inauguré le 28 juin dernier (1913) et ouvert au trafic international le 18 septembre suivant. dans lequel la Belgique est comprise. Il crée une concurrence sérieuse à la voie du St-Gothard qui était, avant le Loetschberg, la voie la plus directe de communication entre ces pays. Au point de vue scientifique, les procédés spéciaux employés pour sa construction particulièrement difficile et l'emploi exclusif, pour son exploitation, de locomotives électriques d'une puissance inconnue jusqu'ici, constituent des progrès marquants dans l'art de l'ingénieur et qu'il est intéressant de faire connaître. A. Ce qu'est la ligne du Loetschberg: son histoire et ce qu'elle a coûté $ 1. TRACE GÉNÉRAL DE LA LIGNE DU LOETSCHBERG Tout d'abord, disons ce qu'est cette ligne du Loetschberg (fig. 1 et 2; pl. I, fig. 1,2 et 3). de Le Chemin de fer du Loetschberg part de la gare Spiez, située sur la rive sud du Lac de Thoune et appartenant à la ligne Berne-Interlaken. Il aboutit à Brigue, localité située au fond de la vallée du Rhône, au pied de la montagne du Simplon et tout près de la frontière suisse-italienne. La nouvelle ligne se plante presqu'à angle droit, à Spiez, sur cette ligne Berne-Interlaken, se dirige à peu près plein Sud vers la grande chaîne des Alpes Bernoises, escalade à découvert les premiers contreforts de celle-ci, dans la profonde vallée de la petite rivière « la Kander » ; puis, arrivée a 1200 mètres d'altitude, elle s'enfonce résolument dans la montagne même, par un tunnel de 141/2 kilomètres de longueur et en ressort du côté opposé, où elle ne tarde pas à atteindre la vallée du Rhône. Là, elle quitte sa direction primitive Nord-Sud, pour se plier à angle droit et se diriger vers l'Est, en descendant progressivement dans cette vallée du Rhône. Elle atteint ainsi son point terminus à Brigue où elle se soude à la grande ligne internationale Genève-Lausanne-Milan après avoir parcouru l'une des parties les plus pittoresques de la Suisse. En réalité, la ligne proprement dite du Loetschberg n'a que 60 kilomètres de longueur. Et, même en y ajoutant le tronçon de 13 kilomètres, existant depuis 1901 de Spiez à Frütigen, la ligne entière de Spiez à Brigue ne mesure que 73 kilomètres 197. - Lignes suisses d'accès au chemin de fer du Loetschberg (schéma). Ce n'est donc pas sa longueur, relativement peu considérable, qui en fait l'importance, mais bien le détour de la chaîne des Alpes Bernoises qu'elle a supprimé en passant au travers, travail qui a pour conséquence immédiate de raccourcir de 150 kilomètres la distance par fer Berne-Milan et, par cela même, de faciliter nos relations vers l'Italie. L'on peut s'étonner à bon droit qu'une ligne si importante et appelée à rendre tant de services n'ait pas été construite plus tôt, et que, tandis que les relations entre le Nord et le Midi de l'Europe sont si considérables, le chemin de fer du Loetschberg ne soit ouvert au public que depuis quelques mois. Ceci demande quelques explications. L'idée d'établir à travers la Suisse une voie directe, en passant à travers la grande chaîne des Alpes, remonte au commencement du siècle dernier. Elle prit surtout de l'importance lors de l'établissement des chemins de fer en Suisse. et Toutefois ce ne fut que vers 1857 qu'elle prit corps que l'on s'occupa sérieusement de la réaliser. Plusieurs voies se présentaient plus spécialement pour effectuer cette trouée des Alpes. Il y avait d'abord, dans la continuation de la dépression du Lac des Quatre Cantons, la vallée de la Reuss qui entaillait profondément le flanc nord de la montagne du St-Gothard; et, sur le flanc sud de cette même montagne, en face et du côté opposé de la vallée de la Reuss, se trouvait la vallée du Tessin. Réunir ces deux vallées par un tunnel à travers le St-Gothard, semblait done. une voie tout indiquée pour une grande ligne internationale se soudant au Nord aux lignes suisses et, au Midi, aux lignes italiennes. D'autre part, plus près de Berne, se présentait, dans la continuation de la grande dépression des Lacs de Thoune et de Brienz, la profonde vallée du Häsli, descendant des Alpes Bernoises et qui se prêtait à l'établissement d'une grande voie ferrée, laquelle, par le percement du Grimsel, montagne faisant partie des mêmes Alpes, pouvait donner la communication cherchée avec l'Italie. Les pouvoirs publics hésitèrent longtemps entre ces deux voies. Mais en fin de compte, ce fut le projet du St-Gothard qui l'emporta, parce qu'il répondait bien au désir de créer une grande voie internationale directe entre les pays du Nord et l'Italie, mais surtout, parce que l'Italie, qui intervenait dans la dépense, trouvant grand avantage à ce projet, insista vivement pour qu'il fût choisi et réalisé. Puis, il y avait l'Allemagne qui interly vint à son tour parce qu'elle voyait dans ce chemin de fer du St-Gothard un important élément de transit pour ses lignes d'Alsace-Lorraine. Bref, ce fut le percement des Alpes par le St-Gothard qui fut décidé et exécuté le |