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malheur d'en rapporter une décision conforme à la sienne. L'abbé d'Astros en fut instruit et sa désolation redoubla. Un jour, assis à table avec les siens, il paraissait plus triste et il ne mangeait pas. « Mais, enfin, » mon fils, qu'avez-vous? » lui demanda sa mère. « Je >> souffre, répondit le jeune clerc vivement ému » parce que je vois nos prêtres déterminés à un ser>>ment que l'Eglise condamne. » A cette réponse la mère qui craignait pour lui un malheur plus direct, respira d'aise un instant; puis reprenant avec simplicité : « Pourquoi vous attristez-vous? nos prêtres sont pieux, expérimentés et instruits, tandis que vous » êtes jeune; croyez qu'ils connaissent leurs devoirs >> et qu'ils ne s'en écarteront pas.» «Ma mère, répliqua-t-il, moi je sens qu'ils sont dans l'erreur ! » Et en ce moment sa poitrine fut soulevée par des sanglots si violents, qu'à bien longues années de distance, le témoin oculaire de qui nous tenons cette scène, ne peut la raconter sans attendrissement.

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L'angélique lévite avait raison: il sentait qu'ils étaient dans l'erreur, mieux encore qu'il ne le comprenait. Néanmoins, ce qu'il y a de plus beau dans ce trait, ce n'est pas ce sentiment exquis de la vérité qui lui révèle d'avance les décisions de l'Eglise, mais cette noble inquiétude qui lui en fait sitôt épouser les douleurs. Des âmes pleurées avec tant de charité ne devaient point se perdre; aussi avons-nous hâte de l'annoncer, dès le commencement de la persécution, les mêmes prêtres, un instant égarés, consolèrent l'abbé d'Astros et leurs troupeaux par un retour généreux.

Depuis, l'abbé d'Astros qui était si navré d'un seul scandale, dut l'être bien davantage. Avec le rebut des cloitres, les esprits faux du clergé, séculier et ce petit nombre de caractères lâches ou de consciences équivoques qui se trouvent inévitablement dans les corps les plus exemplaires, le schisme parvint à organiser une Eglise, et les Confesseurs de la foi furent remplacés au gouvernement des âmes par des intrus. Cependant l'Eglise de France, dans son ensemble, demeura sublime. Evêques et prêtres, à l'envi, étonnèrent la catholicité par une émulation de sacrifices et de courage digne des siècles primitifs. Du sein de l'obscurité, l'abbé d'Astros suivait ces exemples avec un oeil presque jaloux. Pour lui les honneurs de la persécution avaient une séduction inexprimable. Aussi, vit-il passer tour-à-tour les sophismes des constitutionnels, les fureurs du comtat Venaissin et les décrets de la Législative contre les insermentés sans vaciller un instant.

Déjà il devait être réputé ennemi bien intraitable des concessions schismatiques, puisque, à cette époque, il fut signalé aux fureurs de la révolution. Un soir, des forcenés entrèrent violemment dans la maison de sa mère, veuve depuis à peine trois ans. Les armes en main, la menace à la bouche, ils venaient requérir de l'abbé d'Astros son serment à la Constitution civile du clergé. C'était une brutalité illégale, car le jeune ecclésiastique n'étant pas encore dans les ordres sacrés, on ne pouvait lui faire une pareille sommation. Il ne voulut pas profiter de ce moyen déclinatoire; mais il déclara fièrement que jamais on n'obtiendrait de lui une faiblesse

réprouvée par la conscience, et qu'exempté du serment par la loi il était heureux qu'il lui fût déféré par la violence, pour avoir l'honneur de désobéir.

Déconcertés par tant de fermeté, les assaillants lui ordonnèrent, ainsi qu'à tous les siens, de quitter le pays aussitôt. Les larmes de sa mère purent à grand peine obtenir un jour de sursis. Cet exil pour la foi, à vingt ans, eût été un bonheur pour lui, s'il n'avait été une affliction pour sa famille. Sa mère, en effet, ne tenait pas aux inquiétudes de cette vie errante et perpétuellement menacée. A force de trembler pour son enfant, l'amour de cette sainte veuve usa ses forces. Bientôt une indisposition lui fit quitter Marseille, où elle cachait son héroïque confesseur, pour se retirer à Aix : la nouvelle atmosphère ne put guérir un mal dont le germe était dans le cœur. Peu à peu les symptômes dangereux s'aggravèrent, et bien triste, mais toujours chrétienne, elle mourut dans les bras de ses orphelins en pleurs, pendant le mois d'août 1792.

Ce jour-là, l'abbé d'Astros dut sentir toute l'étendue du sacrifice qui venait de lui coûter une vie si chère. Cet exil, d'ailleurs, en lui ravissant sa mère, plaçait sa tombe bien loin de celle de son père, et séparait, peutêtre pour jamais, des cendres qu'il lui eût été si doux de réunir.

Un pareil deuil dut être cruel pour trois enfants abandonnés en pays étranger et dans des temps si orageux. Une sœur de l'abbé d'Astros était déjà mariée, il lui en restait une autre jeune encore et un frère, dont il devenait le gardien naturel. Il fit effort pour les consoler d'une

perte dont il ne savait pas se consoler lui-même; il les surveilla et les aima pour celle qu'ils pleuraient ensemble; enfin, il doubla son activité pour suppléer, autant que possible, une tutelle qu'il n'est donné à aucune tendresse humaine de remplacer. Pendant ce temps-là l'insurrection du 10 août prononçait la déchéance de Louis XVI; les exécutions de la Convention succédaient aux menaces de la Législative; les massacres de septembre faisaient couler des ruisseaux de sang dans l'Eglise de France; de grands malheurs, enfin, planaient sur la tête de l'abbé d'Astros; malgré tant de dangers, il se perdait de vue pour ne s'occuper que de ses nouveaux devoirs. Et, peu inquiet de lui-même, sa vie se passait, un regard sur l'Eglise, un autre sur les siens, double famille pour laquelle il ne cessait pas de trembler et de prier.

Il séjourna plusieurs mois encore avec sa sœur et son frère dans la ville d'Aix. Bientôt, soit que son récent malheur eût attendri ses ennemis, soit que la mise en accusation du Roi martyr eût tourné les esprits d'un autre côté; soit enfin que la persécution éprouvât à Tourves une de ces courtes intermittences, qui variaient suivant les oscillations de la politique ou le caractère des autorités locales, l'abbé d'Astros put revenir au foyer paternel. Quoique son départ fût le terme d'un exil, sans doute, il s'éloigna d'Aix, triste comme il y était venu il y laissait la dépouille de sa mère, et il allait revoir des lieux où il n'avait pas coutume de vivre sans elle !

:

Rentré dans son pays natal, l'abbé d'Astros continua

ses fonctions de précepteur et de chef de famille, avec une attention que la gravité des événements semblait ne pas distraire.

Mais bientôt on entendit dire que la tête du Roi de France avait roulé sur un échafaud, et qu'une invasion étrangère, provoquée par la démagogie agressive de la Convention, menaçait le pays. Quoi qu'en dise le sentiment patriotique, il y avait quelque chose de moral dans cette coalition de Puissances, se levant à la fois pour punir un régicide qui est le parricide des nations. Cependant elles n'auraient pas dû oublier que leur justice étant trop intéressée dans de pareilles causes, Dieu pourvoit à ces cas par une intervention directe de la sienne. Quand une société a taché ses mains d'un sang royal, en effet, à l'exemple de Caïn, elle est longtemps maudite; et le plus dur traitement envers ce peuple malfaiteur n'est pas de lui ravir sa liberté conquise par le crime, mais de la lui laisser, afin qu'il soit châtié de ses propres mains.

Quelques nations de l'Europe ne reconnurent pas ce principe, et provoquèrent, de la part de la révolution, le seul acte vraiment grand qu'elle ait accompli, la défense du territoire.

A cette fin, une loi de recrutement fut votée par la Convention en 1793. Elle mettait tous les Français de dix-huit à quarante ans, non mariés ou veufs sans enfants, en état de réquisition permanente, jusqu'à concurrence de 300,000 hommes. Les citoyens compris dans cette levée en masse prirent le nom de réquisitionnaires.

L'abbé d'Astros fut atteint par ces dispositions et en

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