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C'est qu'en effet, rien ne finit plus vite que ce qui n'a pas de bornes; une heure dévore un siècle entre les mains d'un prince qui peut tout et qui n'est pas Dieu. En vain l'idolatrie promet l'éternité, elle ne la donne pas, elle est la première à la ravir. Il vient un moment où la société ploie sous le faix de la démence couronnée, et alors s'accomplit ce qui est implicitement renfermé dans le contrat des peuples et des rois de l'Orient, et ce qu'a heureusement exprimé le comte de Maistre dans cette phrase fidèle: « Faites tout ce que vous voudrez, et quand nous serons las nous vous égorgerons. » Rarement les peuples y ont manqué.

Le système occidental est tout autre que celui de l'Orient, plus sensé, plus vrai, digne de réussir, si l'homme tout seul pouvait réussir en de si grandes choses. L'Occident consent à être gouverné par l'homme, et à lui vouer par conséquent obéissance et vénération; mais néanmoins il a peur de lui; il s'effraie de remettre en ses mains le sceptre et l'épée ; il veut qu'il soit grand sans l'être trop, puissant avec mesure, laissant un espace entre la révolte et une absolue soumission. L'Occident calcule, pondère, limite le pouvoir. Il cherche à créer entre le prince et le peuple une sorte de pénétration réciproque, qui fasse de l'un et de l'autre une seule âme, où la souveraineté ait quelque part à l'obéissance, et l'obéissance quelque part à la souveraineté. Telles ces républiques de la Grèce, gouvernées, dans leurs jours de gloire, par des citoyens tirés momentanément de la foule et exerçant le pouvoir comme les mandataires et les représentants de la cité. L'obéissance et la vénération furent produites sans doute dans ce système

compliqué, mais elles ne le furent qu'insuffisamment. Le siège en était trop mobile et trop étroit pour donner aux nations toute la stabilité dont elles avaient besoin.

Certes, nous avons de ce régime un mémorable modèle, et le plus achevé de tous, dans la république romaine. Le sénat romain est la plus merveilleuse assemblée qui gouverna jamais un peuple, et l'on ne sait qu'admirer le plus en lui, de l'esprit de suite et de persévérance, de la profondeur de vues, du courage dans les revers, de la foi nationale, de la dignité, de la religion, et de tous ces hommes consulaires qui, après avoir commandé les armées et parlé au Forum, rapportaient au sein de leur corps la gloire personnelle qu'ils avaient méritée, ajoutant ainsi à la majesté du pouvoir autant qu'ils avaient ajouté à la grandeur du peuple, afin qu'il y eût toujours entre l'un et l'autre accroissement un équilibre qui les soutint tous deux. Eh bien! le sénat romain, ce chefd'œuvre profane du monde occidental, combien a-t-il duré? Entre le poignard qui tua Lucrèce et le poignard qui tua César, combien comptez-vous de siècles? Environ cinq siècles. Au bout de ce temps, maître enfin du monde, le sénat romain fit dire à un capitaine qui s'appelait César de ne point passer la limite de son département militaire: César réfléchit un moment, et passa. A ce premier acte de désobéissance tout fut dit: Rome n'existait plus, ou, si elle continua de porter ce nom, ce fut pour tomber d'Auguste en Tibère, de Tibère en Caïus, de Caïus en Néron, de Néron en Héliogabale, de l'obéissance d'Occident à l'obéissance d'Orient, et encore avec aggravation dans la solennité et l'extravagance.

Voilà tout ce que l'art le plus savant, les circonstances les plus heureuses, la simplicité des mœurs la plus remarquable, et le bonheur de conquêtes le plus grand qu'on ait vu, ont produit d'obéissance et de vénération, selon le système occidental. Voilà le plus grand corps humain qui ait jamais existé : cinq cents ans de durée ! un peu plus que le tiers de la monarchie française! Il y avait donc dans ce système insuffisance d'obéissance et de vénération, par conséquent insuffisance d'unité, d'ordre et de puissance, par conséquent encore, insuffisance sociale.

Mais quelle était la cause de ces deux écueils si différents l'un de l'autre, où ont échoué l'Orient et l'Occident? C'est, Messieurs, qu'en Occident comme en Orient, il n'y avait que l'homme, rien que l'homme. Or l'homme tout seul est incapable de s'assurer l'obéissance et la vénération dans la mesure qui est nécessaire pour conduire une société. L'homme est trop peu pour un si grand ouvrage. Veut-on l'enfler au delà de sa portée naturelle, on l'appellera hien du nom de Dieu, on lui dira bien: Votre Eternité; mais il n'en restera pas moins un homme, et, si grand qu'il soit par hasard, fût-il Titus ou Nerva, il aura pour héritier quelque illustre misérable, en qui la fiction surhumaine ne sera qu'une faiblesse de plus. Hébété par ce comble d'honneur et de puissance, l'homme y succombe; il se fait au dedans de sa misère une répercussion de cette majesté fausse qui le change en un monstre, et une fois qu'il en est là, l'idolâtrie qui le soutenait s'affaisse sur elle-même et emporte dans sa chute tout cet édifice insensé. Les dynasties succèdent aux dynasties, et les peuples eux-mêmes suivent le sort de leurs chefs. Car, quand le pouvoir

est incertain et mal assis, la société elle-même chancelle comme un homme ivre. La cause de la souveraineté est la cause même de la société. C'est pourquoi, Messieurs, ne rions pas de ces catastrophes sanglantes des rois; ne rions pas de cette impuissance où est l'humanité de produire, autant qu'elle en a besoin, l'obéissance et la vénération. C'est l'un de ses grands malheurs car de l'obéissance et de la vénération dépendent l'unité, l'ordre, la puissance, la durée, la stabilité. Ne broyons pas si facilement sous le poids de notre parole des destinées à qui les nôtres sont unies. Sachons comprendre notre impuissance et la regretter. Une partie du genre humain a voulu des dieux pour chefs : les dieux ont péri. L'autre partie a choisi des hommes : les hommes ont succombé. Trop grands ou trop petits, ils ont croulé par insuffisance ou par excès. Que voulez-vous, l'homme n'avait que l'homme.

Si jamais, plébéiens que vous êtes, par un de ces coups que le temps amène, vous êtes appelés au gouvernement d'un peuple, ne comptez pas sur vous ni sur l'humanité pour vous soutenir. Tôt ou tard, l'humanité vous trahira; l'obéissance et la vénération se retireront de votre œuvre, et vous serez étonnés d'avoir fait si peu avec tant de génie. Malheur à vous alors mais aussi malheur à nous! le malheur est commun, et c'est pourquoi nous n'en triomphons pas. Cherchons-en plutôt le remède en Celui que nous avons déjà vu si ingénieux à guérir nos maux. Voyons, contre cette force et cette faiblesse exagérées du pouvoir, ce que la société catholique aura apporté de secours à la société naturelle.

La société catholique a ouvert dans le monde deux

sources inépuisables d'obéissance et de vénération : l'une publique, l'autre secrète.

La source publique d'obéissance et de vénération ouverte par la société catholique, c'est, Messieurs, l'autorité de sa hiérarchie. Depuis dix-huit cents ans, la papauté, l'épiscopat, le sacerdoce chrétiens sont obéis et vénérés de la plus grande union d'hommes qui soit ici-bas, sans avoir besoin jamais de la force pour incliner un front ou une volonté. L'obéissance y est libre, la vénération y est libre; chaque fidèle peut à toute heure refuser ou rétracter son hommage, et toutefois cet hommage subsiste inaltérable et saint, malgré les vicissitudes de faveur ou de persécution, malgré les efforts persévérants du monde pour flétrir dans sa source un amour qui le gêne, un respect dont il est offensé. La hiérarchie catholique, sans autre ressource que la persuasion, se fait obéir et vénérer comme nulle part et en aucun temps n'a été obéie et vénérée aucune humaine majesté. Le fait est sensible, il est éclatant; il n'a besoin d'aucune démonstration; il suffit de l'énoncer pour convaincre et étonner l'esprit. Mais si j'avais besoin d'une démonstration, ou plutôt d'un exemple, rappelez-vous ce qui s'est passé ici même à l'inauguration du siècle présent.

Nous avions tout détruit, même le passé; nous avions, dans notre haine contre tout objet de pieux culte, ouvert les tombeaux où reposaient, désarmés par la mort et sous la seule garde de nos souvenirs, les grands serviteurs de la patrie, et, pour le seul plaisir de braver la majesté jusque dans le cercueil, nous avons jeté leurs cendres au vent et au mépris. Jamais à aucun moment de l'histoire, l'obéissance et la vénération n'avaient été plus loin des cœurs. Un vieil

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