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lard' vint dans ce temps-là; il était appelé par un jeune homme qui avait tout le prestige de la gloire, mais qui avait besoin de s'agenouiller devant le vicaire du Christ pour recevoir de cet abaissement le sceau d'une plus haute autorité. Le vieillard vint armé de sa seule bénédiction; il vint au milieu de ce peuple qui avait foulé aux pieds, dans un seul jour, toutes les générations de ses rois : il parut aux fenêtres des Tuileries. On ne l'eut pas plutôt vu, portant sur sa figure plus de malheur encore que d'âge, qu'à l'instant même, par ce coup magique qui rouvre les cœurs à leur bon endroit, tout Paris se précipita pour avoir un bonheur qu'il ne connaissait plus, le bonheur de vénérer, en recevant cette bénédiction qui, depuis tant de siècles, fait tomber l'homme à genoux. Et, pendant que ce spectacle se passait au dehors, plus haut, dans l'intérieur même des Tuileries, un homme célèbre qui vient de mourir poussait son voisin, en lui disant avec la joie de l'admiration : << Enfin, Monsieur, nous voyons une autorité ! Voilà une autorité ! »

La source secrète de l'obéissance et de la vénération ouverte dans le monde par la société catholique, c'est Messieurs, la confession.

Tout homme, quel qu'il soit, prince par le pouvoir ou par l'esprit, s'il veut avoir part au mystère du Christ, à la certitude et à l'avenir qui sont en lui, est obligé d'avouer ses fautes à genoux, d'en demander pardon et d'en recevoir pénitence exercice d'obéissance et de vénération qui le relève à lui-même, le

1. Le pape Pie VII.

2. L'empereur Napoléon I.

II. 19

purifie, l'humanise et l'assouplit sans l'abaisser. Car il est libre dans cette action plus qu'en aucune autre, on ne prend sur lui que le pouvoir qu'il donne de son plein gré; il peut se lever et s'en aller si la vérité qu'il cherchait lui semble trop dure, si la paix et l'honneur de la conscience lui reviennent trop cher à ce prix. Mais il persiste volontiers, une fois qu'il a connu le charme de l'humilité et de la sincérité entre Dieu et lui; il apprend avec joie, dans une obéissance et une vénération qu'il a choisies, à obéir encore là où il n'a plus le choix, à vénérer encore là où Dieu le lui demande par un commandement qui n'admet plus l'élection. Cet esprit altier consent à l'empire; ce cœur sauvage, toujours prêt à la révolte, accepte l'unité, l'ordre et la puissance sous la seule forme où ils soient possibles, sous la forme de l'autorité. La confession ne cesse d'agir en ce sens d'un bout du monde à l'autre, par une influence secrète et perpétuelle, qui, jointe à l'action publique de la hiérarchie, crée dans le genre humain, s'il m'est permis de parler ainsi, une quantité énorme d'obéissance et de vénération, mais d'une obéissance et d'une vénération spontanées, qui sont l'effet de la conviction, et qui rendent l'homme sociable en le consolant et en l'élevant.

Or il est impossible que le contre-coup d'une créa tion semblable ne se soit pas fait sentir dans la société purement naturelle, et n'y ait pas modifié d'une manière remarquable les rapports réciproques du sujet au souverain. Évidemment, Messieurs, quelque grande transformation a dû s'opérer là ; vous attendez que je vous la signale, et vous n'attendez pas vainement. L'esprit catholique a produit dans le monde,

quant à l'autorité même humaine, quelque chose de tout à fait nouveau, de tout à fait inconnu à l'antiquité, le terme moyen entre le système occidental et le système oriental: il a produit la monarchie chrétienne ?

La monarchie chrétienne avait dans chaque pays un chef unique, centre et moyen de l'unité, de l'ordre et de la puissance. Ce chef était sorti des entrailles de la société par une venue et une croissance naturelles, comme le chêne sort d'un germe qui se développe avec le temps. Rien de brusque et de violent ne se sentait dans son origine, quel qu'en eût été le mode ou l'occasion; et, quoi qu'il advint, le principe de l'obéissance à son égard n'était pas contesté. On pouvait, on devait refuser d'obéir dans certains cas, lorsque le commandement était illégitime, c'est-à-dire contraire à la loi de Dieu ou à la loi du pays. La loi de Dieu et la loi du pays étaient la double limite de la souveraineté; mais en résistant, pour les défendre, on ne contestait pas le droit général de commander, ni le devoir d'obéir. La vénération se joignait à l'obéissance pour faire du chef chrétien un père autant qu'un magistrat. Le respect et l'amour allaient le chercher naturellement, et, du cœur de son peuple au sien, il y avait une réciproque effusion dont les monarchies antiques n'avaient pas même le soupçon. Le peuple pardonnait des fautes au prince, comme l'enfant pardonne des faiblesses à son père; il compatissait au levain de l'humanité, demeuré en lui aussi bien que dans le dernier des mortels. Enfin tous ces sentiments se traduisaient en un sentiment final, qui était le premier fondement de la monarchie chrétienne, et qui s'appelait la fidélité. Le souverain avait

foi dans son peuple, et le peuple avait foi dans son souverain. Ils croyaient l'un à l'autre ; ils s'étaient donné la main, non pour un jour, mais devant Dieu et pour tous les siècles, au nom des morts et des vivants, au nom des ancêtres et de la postérité. Le prince descendait tranquille dans la tombe, laissant ses enfants à la garde de son peuple, et le peuple, les voyant petits et sans force, les gardait, en attendant d'être gardé par eux.

L'honneur était le second sentiment sur qui reposait la monarchie chrétienne, sentiment plus nouveau, plus inconnu encore à l'antiquité que le précédent. L'honneur était un regard élevé du chrétien sur soi, une pensée de sa noblesse. Par l'honneur, le chrétien se rapprochait de son maître; il avait plus que des droits à son égard; il faisait subsister sa personnalité devant la sienne avec une délicatesse infinie, qui était la chose la plus respectée du monde dans un temps où tant d'autres l'étaient. L'honneur protégeait tout et sauvait tout. Il jouait, surtout en France, un rôle presque souverain, qui a fait dire à Montesquieu, personnage peu suspect, si je ne me trompe, que la France était une monarchie gouvernée par l'honneur.

En voulez-vous quelques exemples qui vous feront sentir la différence de la souveraineté chrétienne à la souveraineté antique ? Je ne les choisirai même pas aux bonnes époques, mais à l'époque où déjà la monarchie chrétienne tombait vers son couchant.

Louis XIV s'entretenait avec sa cour dans ces appartements de Versailles où désormais la peinture seule est assez grande pour habiter; on vint à parler du schah de Perse, et de je ne sais quelle exécution qu'il avait faite des grands de son royaume. Le roi

dit: « Voilà ce qui s'appelle régner! Oui, Sire, répliqua le duc d'Estrées, qui avait été ambassadeur en Perse, mais j'en ai vu étrangler trois dans ma vie ».

Sous Louis XV, un ministre est disgracié. Le lendemain, le roi sort de sa chambre, et, trouvant les salons déserts, il demande à un serviteur : « Où est donc la cour? — Sire, répond le serviteur, elle est à Chanteloup. » Chanteloup était la maison de campagne du ministre disgracié, à quarante lieues de Versailles. En ce temps-là, Messieurs, on allait visiter à quarante lieues les ministres disgraciés; il y a des temps où l'on ne fait pas quatre pas pour cela.

Permettez-moi encore une anecdote.

Le roi Louis XVI, de douloureuse et vénérable mémoire, faisait un voyage en Normandie. Une paysanne s'approche et lui demande la permission de lui baiser la main. «Eh! pourquoi pas la joue?» répond le mo

narque.

Telle était, Messieurs, dans la monarchie chrétienne la familiarité du grand et du pauvre avec le souverain. L'obéissance et la vénération s'étaient changées en une fidélité tempérée par l'honneur. On était loin des mœurs de l'Asie, on ne l'était pas moins des mœurs de la Grèce et de Rome. Tout était nouveau comme l'Église et comme Jésus-Christ, d'où procédaient ces rapports délicats.

J'ajoute que la liberté était aussi un élément de la monarchie chrétienne.

Tout le monde sait les travaux de l'Église pour maintenir sous ce régime les droits de la conscience. Elle y a rencontré sans doute de grands obstacles,

1. Duc de Choiseul, né en 1719, mort en 1785.

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