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envers lui, un poids qui croît chaque jour, mais qui ne fait, en croissant, que soulager ma reconnaissance et ma vie.

Je soutiens deux choses au sujet de la communauté volontaire de biens et de vie, savoir, qu'elle est la plus haute pensée économique et la plus haute pensée philantropique qui soit au monde. D'abord, la plus haute pensée économique: car, Messieurs, économiquement parlant, que cherchons-nous? Nous avons des biens bornés, et des désirs qui le sont peu; il s'agirait de trouver le secret de diminuer les désirs en multipliant les biens et en les partageant. Or, la communauté volontaire de biens et de vie produit ce triple effet elle partage les biens, elle en accroît la mesure, elle diminue le besoin que nous en avons. Sous ce régime, celui qui a plus, apporte volontairement à celui qui a peu ou qui n'a rien; celui qui n'a rien ou peu de chose du côté du corps, mais qui est riche par l'esprit, apporte sa part en intelligence; celui qui est pauvre à la fois du corps et de l'esprit, peut donner mieux encore à la communauté, en lui apportant une solide vertu. De la sorte, il y a communion du patrimoine avec le dénûment, de la grande capacité avec la petite capacité, de la force avec la faiblesse, de tous les inconvénients compensés par tous les avantages, et il en résulte un partage, une fraternité, une famille artificielle qui, aussi libres qu'ils sont équitables, présentent à notre imagination et à notre sentiment de justice l'idéal de la perfection.

Il en est parmi vous, Messieurs, qui ont visité quelque communauté de la Trappe; je les adjure, que n'ont-ils pas éprouvé en voyant cette assemblée

d'hommes si divers par leur origine, leur âge, leur histoire, leurs souvenirs: celui-ci portant au visage. la cicatrice des combats; celui-là, un front illumine par la splendeur de la pensée; cet autre, le sillon ineffacé d'un amour vaincu; cet autre, des mains laborieuses accoutumées aux durs travaux et qui, retrouvant la charrue près de l'autel, ne se doute même pas qu'on pourrait l'appeler une charrue triomphale à bien meilleur droit que celle du consul romain': toutes ces vies, enfin, si prodigieusement inégales de naissance et de cours, et que voilà fondues dans la divine égalité d'une même destinée jusqu'à la mort ? Ce spectacle a frappé au cœur de tous ceux qui l'ont vu; nul, si incrédule à Dieu qu'il fût, n'a refusé à cet ouvrage de sa droite un quart-d'heure de foi et d'admiration. Comment y résister, en effet, et que voulezvous de plus dans l'équité? Quoi de plus, pour l'homme qui respire l'égoïsme du monde, et qui, jusque dans la famille, parmi les intérêts les plus saints, a retrouvé la concentration en soi-même et l'exclusion d'autrui? quoi de plus d'avoir rencontré des hommes supérieurs à la personnalité, donnant tout leur être pour un peu de pain qu'on leur rend chaque jour, et, fussent-ils princes dans la région de l'esprit ou dans celle de la naissance, se faisant avec amour parmi leurs frères le plus petit et le dernier? Qu'on dise de loin tout ce qu'on voudra contre un semblable institut, nul n'ira frapper à sa porte, pour le voir de près, sans en revenir plus mécontent de soi, et sans avoir appris sur l'homme et sur Dieu quelque chose qui lui donnera plus d'une fois à penser.

1. Cincinnatus qui fut deux fois dictateur, au v siècle avant Jésus-Christ.

Outre le partage équitable des biens, l'institut cénobitique en accroît de beaucoup la mesure et la valeur. Chose singulière ! des trappistes descendent sur un sol qui nourrit à peine une ou deux familles; ils y vivent cent, et ils y vivent à l'aise! Cette sueur du dévouement, mêlée à la terre, la féconde et lui fait porter des fruits qu'elle n'accorde jamais à une autre culture. Il semble que Dieu, qui travaille toujours avec l'homme, appuie plus fortement sa main sur la main qui partage, et que la terre elle-même, devenue sensible à la fraternité, se montre jalouse, en cette occasion, de s'unir à Dieu et à l'homme par une plus grande vertu. Il est facile de le vérifier. Visitez un de ces monastères que je vous nommais tout à l'heure ; étudiez-en tout le système économique; consultez la nature du sol, interrogez les moissons, comptez le nombre des habitants, et vous serez surpris que la terre, si avare ailleurs, se montre là si prodigue, et quelquefois malgré les marais, les sables et les rochers. Vous verrez de vos yeux le pauvre accourir à la maison de la prière, et y recueillir chaque jour la part qui est faite par la fraternité du dedans à la fraternité du dehors. Car le cénobite ne s'enferme pas dans sa pauvreté comme dans un bénéfice personnel: il en verse le trésor sur la pauvreté étrangère, et obtient du patrimoine commun une fécondité qui rassasie l'hôte aussi bien que le fils de la maison.

En même temps que les biens s'accroissent par un travail plus profond et une bénédiction plus attentive, les désirs et les besoins diminuent dans une fabuleuse proportion. Le croiriez-vous? il y a des religieux qui vivent à deux ou trois cents francs par tête, d'autres à quatre ou cinq cents francs, et je ne crois pas me

tromper en affirmant que le chiffre le plus élevé, dans les circonstances les moins favorables, s'élève à huit cents francs. Quel est l'homme lettré, Messieurs, c'est-à-dire ayant étudié un peu de grec et de latin, qui voudrait et pourrait vivre à huit cents francs par an? En trouveriez-vous un seul? Un tel sort ne paraîtrait-il pas le comble de l'humiliation et de la misère à tout homme sachant tenir une plume ou un crayon? Cependant des milliers de cénobites, lettrés euxmêmes, et quelques-uns lettrés illustres, se contentent à moins, et remercient la Providence de leur donner avec surcroît le pain quotidien. Ils découvrent audessous d'eux des infortunes qu'ils secourent encore; ils admirent la place qui leur a été faite au soleil de ce monde, et s'étonnent du choix priviligié qui est tombé sur eux. Ne serait-ce pas, Messieurs, un bénéfice social digne de considération, qu'une levée annuelle de quelques milliers de lettrés voulant bien accepter huit cents francs en échange de leur mérite, et retirant de la lutte, avec leurs besoins extérieurs, l'hydre plus insatiable encore de leur orgueil et de leur ambition?

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Le comte de Maistre a dit en parlant de Robespierre : « Si cet homme eût été couvert d'un froc au lieu d'une robe d'avocat, peut-être quelque profond philosophe eût dit en le rencontrant: Bon Dieu! à quoi sert cet homme ?» On a appris depuis en quoi son absence eût été bienfait pour le monde.

Unissez par la pensée, Messieurs, d'une part, l'accroissement de valeur territoriale produit par la vie cénobitique, de l'autre la diminution dont elle est la

1. Conventionnel fameux, né en 1759, mort en 1794.

cause dans les besoins et les désirs, et vous aurez assurément pour résultat un phénomène économique auquel nul autre ne saurait être comparé. Encore n'est-ce pas tout car la famille artificielle, en enlevant à la famille naturelle une partie des enfants qu'elle est chargée de nourrir et de pousser dans le monde, allège considérablement son fardeau. Dans les pays où la vie cénobitique est en vigueur, il est bien peu de maisons qui n'aient au monastère ses représentants. Une vocation paie la dot d'une fille et la charge d'un fils. Non seulement la famille n'a point à se dépouiller, mais, au jour de la succession, la part des morts volontaires 'retourne en tout ou en partie aux vivants privilégiés. Ces avantages économiques sont tellement sensibles, qu'on a même accusé des parents d'user de ruse ou de violence pour amener leurs enfants à se retirer du monde. Cette accusation a pu être justifiée dans des cas particuliers, malgré la vigilance de l'Église; elle ne l'est point pour quiconque connaît la résistance que la plupart des familles, même chrétiennes, même pieuses, apportent à consacrer par leur consentement des voeux qui troublent leurs affections.

Je n'insiste pas davantage sur la question économique. Grâce à Dieu, elle est jugée aujourd'hui. Il est admis que l'association est le seul grand moyen économique qui soit au monde, et que, si vous n'associez pas les hommes dans le travail, l'épargne, le secours et la répartition, inévitablement le plus grand nombre d'entre eux sera victime d'une minorité intelligente et mieux pourvue des moyens de succès. Je ne prends pas sur moi de louer tous les plans d'association qui se pressent au jour, toutes les tentatives

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