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CHAPITRE III.

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Visite à Camille Desmoulins. Intérieur. M. Duplessis. Mademoiselle Lucile. Mariage de Camille.

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- Le curé de

Robespierre. Pétion. Marat

et sa sœur. Une soirée chez Camille.

-

QUAND j'arrivai à Paris, je crus entrer dans un monde nouveau : tous les esprits préoccu= pés, inquiets, étaient alors dans l'attente de grands événements. On avait oublié toutes les formules de politesse, dont on faisait si grand cas jadis on ne se saluait plus en s'abordant que de ces mots : « Aurons-nous, ou n'auronsnous pas le vote par tête? Le clergé se réunirat-il au tiers? Quel parti prendront les princes ? »

Telles étaient les questions ordinaires qu'on se faisait en se rencontrant. A chaque pas vous trouviez des échoppes en plein-vent, où, pour deux sous, vous pouviez lire les nouvelles brochures qu'enfantait chaque minute de la journée. Hommes, femmes, se pressaient autour de ces tentes littéraires, dévorant tous ces papiers de diverses teintes qu'on jetait à leur pâture. Ici, d'énormes écriteaux où se lisait en grosses lettres, comme celles des monuments funèbres des Romains, la liste des pamphlets nouveaux. Comme au seizième siècle, on affectait des titres singuliers, bizarres : Halte là... Le tiers triomphant... Va-t'en voir s'ils viennent Jean, ou la noblesse déconfite... La poule aux œufs d'or ou les États-Généraux en couche... Des crieurs publics hurlaient à chaque coin de rue, buvant au tiers de grandes rasades de vin, qu'on leur distribuait à pleins seaux.

J'entre un jour dans une de ces échoppes. Je demande la brochure du jour, et après une longue attente, j'obtiens un numéro des Révolu= tions du Brabant, de Camille Desmoulins. Il y avait dans ces pages, que je lus rapidement, une verve satirique extraordinaire, un style singu= lièrement pittoresque, un dévergondage d'idées

et d'imagination qui me frappa vivement. Je résolus de voir l'auteur de ce pamphlet. Mon oncle connaissait beaucoup M. Duplessis, dont Camille recherchait en ce moment la fille. Je parlai à M. Duplessis de mon désir de faire connaissance avec son gendre futur, dont le nom était déjà à la mode, et dont les feuilles avaient pénétré jusque dans nos hameaux de la Champagne. Dès que j'eus prononcé le nom de Camille, je vis s'approcher à petits pas une jeune fille de dix-huit ans, pleine de charmes et de modestie, qui leva ses grands yeux bleus sur moi et sourit, comme pour me remercier de ce que je venais de raconter de son amant. M. Duplessis n'eut pas besoin de me dire que c'était cette Lucile, destinée depuis long-temps à Camille. Il m'invita à dîner, et promit de me faire trouver avec son gendre le lendemain même ; mais j'étais impatient, je ne voulais pas renvoyer au lendemain ce qui pouvait avoir lieu le jour même. Je pressai M. Duplessis de m'accompagner chez Camille, il y consentit, et nous partîmes.

Camille Desmoulins demeurait cour des Cor= deliers. Une vieille femme, qui faisait le ménage du journaliste, vint nous ouvrir, et nous

entrâmes par un corridor obscur, dans un appartement qui n'avait rien d'élégant; il se composait d'une chambre à coucher et d'un cabinet d'étude, où travaillait en ce moment Camille. Le secrétaire était orné d'un buste de Voltaire, par Houdon. Quelques gravures, parmi lesquelles je remarquai le portrait de Mirabeau, étaient attachées sans ordre sur les murailles : de mauvais rayons soutenaient une centaine de volumes qui formaient la bibliothèque : c'étaient une Bible en latin, les OEuvres de Voltaire et de Rousseau, Condillac, Mably, et une foule de feuilles volantes.

Camille se leva quand il aperçut M. Duplessis, vint au-devant de nous, prit la main de son beau-père, qu'il serra affectueusement, et pres= qu'aussitôt demanda des nouvelles de Lucile. Nous nous assîmes. M. Duplessis me nomma, dit mon titre de député, et la conversation s'établit.

Les premières paroles que prononça Camille me révélèrent une ame irritée contre l'ordre de chose actuel, impatiente comme celle de tous les jeunes gens, amie du bruit, du mouvement, rêvant une réforme sociale, ou plutôt une révo lution subite, instantanée. J'étais plus calme;

hasardai quelques objections, que Camille

ne me laissait pas le temps d'achever. Il interrompait brusquement mes périodes, que je cadençais trop lentement, et répondait avec une sorte d'humeur, et en bégayant, à des raisonnements qu'il devinait et qu'il arrangeait lui-même. Toute la chaleur de son ame passait sur sa figure, qui s'électrisait subitement; son œil brillait comme du feu, et ses dents s'agi= taient comme celles d'un malade. Il n'y avait cependant aucune colère ni dans ses réponses, ni dans son ton, mais une pétulance toute méridionale. Du reste, sa conversation était piquante et abondait en images. C'était un orateur qui parlait avec passion, et qui entraînait celui qui l'écoutait. J'étais sous le charme, et pen= dant près d'une heure, je ne fis rien ou presque rien pour le rompre. Camille, épuisé de tous ces efforts de poitrine et d'intelligence qu'il faisait depuis si long-temps se tut enfin, et tomba dans le repos. Ce fut mon tour. Je parlai principes; je dus lui paraître froid avec mon accent tranquille; mes paroles qui se succé= doient une à une, mon front qui jamais ne se mouillait, et mon œil calme comme ma physio= nomie. Toutefois, je n'arrivai pas chez lui à l'improviste. J'étais préparé, je connaissais,

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