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Necker, qui la ferme, y a passé aussi. Pendant un siècle c'est à Versailles que la littérature française a rendu hommage; pendant un autre siècle c'est contre Versailles qu'elle a décoché toutes ses flèches. Notre histoire littéraire est donc écrite sur ces murs qui ont reçu nos grands écrivains, depuis Molière jusqu'à Beaumarchais. L'art a créé tout exprès pour Versailles des écoles et des systèmes dont l'influence s'est fait sentir jusqu'à nos jours. C'est pour Versailles que Lebrun était peintre, Coysevox statuaire et Mansard architecte ; c'est à Versailles qu'étaient l'oracle du ton et la règle des mœurs; c'est de Versailles que la galanterie, le goût, la dévotion et la mode se répandaient sur Paris et sur tout le reste du royaume. Mais ce n'était pas seulement la France qui était tout entière à Versailles; les nations étrangères ne cessaient d'y envoyer des représentants; les célébrités de l'Europe venaient lui rendre visite, et l'on vit, à plusieurs reprises, des personnages inattendus sortir des régions les plus éloignées de l'Asie pour complimenter le roi qui avait égalé les magnificences et le despotisme de l'Orient.

L'histoire de Versailles c'est l'histoire de la civilisation pendant les deux derniers siècles; ce château est un de ces points culminants du haut desquels la vue se perd dans des perspectives immenses. Comme du sommet des Alpes on aperçoit les forêts qui pendent sur leurs épaules, les fleuves qui s'épanchent de leurs glaciers, les villes qu'elles abritent à leur ombre, les empires qu'elles séparent, ainsi de Versailles on découvre le mouvement des mœurs, des guerres, de la diplomatie, de la littérature, des arts et des pouvoirs qui ont agité l'Europe depuis deux cents

ans. Se mettre au balcon de Versailles c'est regarder le monde entier du haut du trône de Louis XIV.

La révolution a commencé une ère nouvelle et ouvert de nouvelles perspectives. Ce n'est plus du haut de Versailles, mais du haut de Paris, qu'il faut aujourd'hui considérer le monde. Cependant il est utile de conserver cette large vue du passé qu'on a dans le palais de Louis XIV; de là on aperçoit aussi la France grande et glorieuse, et les nations étrangères pleines de respect pour son nom.

En 1653, La Fontaine fut chargé de faire la description du château et des jardins que le surintendant Fouquet venait de construire à Vaux-le-Vicomte. Alors la poésie avait encore les illusions et la fraiche crédulité de la jeunesse; elle prodigua, pour le plaisir du grand seigneur qui l'avait appelée, les inventions que la mythologie autorise; elle donna toute liberté à l'imagination, et s'en alla chercher chez les anciens les plus riants symboles pour décrire un château qu'une grande catastrophe devait bientôt rendre désert. Mais, hélas! le temps est passé de cette gracieuse féerie au milieu de laquelle La Fontaine encadra si bien le Songe de Vaux. Tous ces enchantements sont défendus, et plutôt que d'emprunter des ailes au monde de l'inconnu, il faudra désormais que nous étouffions dans celui-ci.

Autrefois les hommes avaient des muses qui marchaient devant eux en chantant; elles savaient le secret de toutes les choses et le leur disaient; elles leur apprenaient les sentiments les plus cachés du cœur et les ressorts intérieurs de la création; elles donnaient une forme visible aux idées que le regard ne peut atteindre; mais

les hommes qu'elles enseignaient les accusèrent un jour d'imposture; ils renièrent ces sublimes menteuses et dédaignèrent les fictions avec lesquelles elles avaient fait l'éducation de leur enfance.

Après les muses, les anges s'élancèrent tout ailés dans l'espace pour renouer la chaine qui unit le monde visible au monde invisible. Remontant à toute heure l'échelle de la création, ils se firent les messagers des délibérations de Dieu et des désirs de l'homme; ils expliquèrent l'univers une seconde fois en le mettant en communication avec l'infini.

Mais les anges s'en sont allés comme les muses. Le monde se fait vieux; l'imagination, qui est le don de la jeunesse, s'éteint en lui; il traite toutes les rêveries de mensonge, il ne veut plus voir que des superstitions dans les symboles; il ne saurait tolérer les voiles et pense avoir l'œil assez assuré pour contempler l'idéal face à face et sans être ébloui par ses spirituelles lueurs. Cependant la foule, que ses instincts et ses besoins ramènent sans cesse vers la matière, s'habitue à ne voir dans l'univers que ce que ses sens y découvrent; elle prend les apparences pour la réalité ellemême; elle ignore l'âme des choses et ne saisit que l'écorce qui la renferme. Ainsi, non-seulement la poésie s'évanouit, mais la vérité elle-même s'efface. Qui la préservera de l'oubli? qui perpétuera la tradition des mystères? qui entretiendra dans l'univers le souvenir de l'invisible et le vrai sentiment de la vie? La pensée humaine reste désormais chargée de ce culte sacré; seule elle parcourt l'espace que les fantômes de l'imagination ne lui disputent plus, seule elle sonde les sphères élevées, scule elle s'age

nouille aux pieds du trône de Dieu, seule elle en redescend dans les régions inférieures, seule elle apporte à la terre les ordres du ciel, seule elle délie les idées captives au sein de la matière et qui veulent remonter à leur source divine. Elle est la muse et l'ange de notre civilisation audacieuse et désolée; mais elle n'a plus ni couronne de fleurs ni ailes d'azur; elle n'a plus de tunique de pourpre ni d'armure d'or, elle n'a plus ni lyre harmonieuse ni épée flamboyante. Elle a laissé tomber dans les abimes le manteau de la poésie que les fictions avaient brodé de mille éclatantes couleurs; seule, triste et abstraite, elle erre parmi les ténèbres de l'univers qui se refroidit!

Ainsi pour reconstruire le palais de Louis XIV et pour faire revivre le monde qui a vécu dans son sein, il faut que nous renoncions à évoquer les divinités des songes; pour parcourir les appartements et les bosquets de Versailles, ce n'est pas une baguette de magicien, c'est un bâton de voyage qu'il nous faut prendre.

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