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cette expédition ; mais la proposition de Raymond Lulle paraît impraticable au Pape. Il retourne à Paris, où, en vertu de l'approbation donnée à sa doctrine par quarante docteurs et bacheliers de l'université, il professe son grand Art général, résumé et abrégé. C'est là qu'il détermine dans un ordre ternaire et sous autant de règles corrélatives, ses neuf principes, en les appliquant dans le même ordre à autant de sujets et de questions qui s'y rapportent. En 1310, il achève et dédie au roi de France un livre intitulé les Douze Principes, qui sont l'application et l'extension de sa doctrine à la philosophie naturelle; il y combat les averroïstes, contre lesquels il réclame l'assistance du roi. Il fait voir que ses principes dans l'ordre physique n'ont rien de contraire à la théologie, et que celle-ci en est la fin. Une Logique qu'il donne a le même but.

En 1311, lors de la convocation d'un concile général à Vienne, Lulle s'y rend et demande au concile : 1° L'établissement dans toute la chrétienté de colléges ou de monastères pour son double objet; 2o la réduction des ordres religieux militaires à un seul, pour combattre puissamment les ennemis de la foi ; 3o la suppression de l'enseignement de la doctrine d'Averroès. De ses trois demandes, il obtint l'établissement ou la confirmation d'écoles pour l'enseignement de sa méthode, dont une avait été fondée en 1316, par lettres patentes de Philippe le Bel. Lulle revint à Paris, et y acheva plusieurs ouvrages de théologie. Il s'occupa aussi de composer ou de traduire ses livres du catalan ou du latin en arabe, pour l'instruction des Sarrasins, qu'il avait toujours en vue.

Enfin, dans le dernier essor de son zèle, il part, l'an 1314, une troisième fois pour l'Afrique, à l'âge de près de quatre-vingts ans, et vient une seconde fois à Bougie. Là, il se cache d'abord entre des marchands chrétiens, et commence à parler secrètement à des Musulmans qu'il avait déjà instruits et qui lui étaient affectionnés. Les ayant affermis dans la foi, il ne put se contenir plus longtemps, mais il alla dans la place publier à haute voix les louanges de la religion chrétienne, ajoutant qu'il admirait la folie de ceux qui mettaient leur confiance en la doctrine infâme de Mahomet. Pour moi, disait-il, je suis prêt à montrer, soit par des raisons, soit aux dépens de ma vie, que la grâce et le salut du genre humain ne se trouvent que dans la foi de Jésus-Christ, mon Seigneur. Souvenez-vous que je suis celui que vos princes ont ci-devant chassé de ces quartiers et de Tunis. Se sentant vaincus par mes raisons, ils craignaient que je ne vous éclairasse des vérités chrétiennes que vous étiez prêts à écouter; maintenant, c'est le seul désir de votre salut et du martyre qui m'a ramené ici.

XIX.

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Ces discours et plusieurs autres qu'il y ajouta émurent tellement le peuple qui les écoutait, qu'ils se jetèrent en furie sur Raymond, lui donnèrent des soufflets, l'insultèrent et le traînèrent au palais du roi. Ce prince le condamna à mort, et on le mena hors de la ville, où il fut lapidé le jour de la Saint-Pierre, 29 de juin 1315, âgé d'environ quatre-vingts ans. Des marchands chrétiens ayant demandé son corps, l'obtinrent et le portèrent avec honneur à un vaisseau qui devait partir la nuit suivante. Ils voulaient le mener à Gênes, dont ils étaient; mais les vents contraires les poussèrent à Majorque, où tout le peuple vint au-devant de ce martyr, son compatriote, et enterra son corps dans un lieu élevé de l'église de Saint-François, dont Raymond avait embrassé le tiers ordre. Depuis ce temps, il est honoré publiquement comme saint à Majorque même, dans l'église cathédrale; et on a fait plusieurs informations pour parvenir à sa canonisation trois cents ans après sa mort, c'est-à-dire depuis 1605 jusqu'en 1617; mais l'Eglise n'a rien encore décidé sur ce sujet 1.

L'ensemble des vues de Raymond Lulle pour la conversion des infidèles nous paraît excellent: apprendre d'abord leurs langues, surtout celle des Arabes, principal ennemi à gagner; avoir une méthode générale, qui parte des vérités universelles dans tous les ordres, pour réfuter et détruire toutes les erreurs particulières, et mettre à leur place les vérités catholiques. Comme tous les ordres, et l'ordre matériel du monde visible, et l'ordre intellectuel des esprits créés, et l'ordre surnaturel de la grâce et de la gloire, viennent également d'un seul et même Dieu, dont ils doivent être le vestige, l'image et la ressemblance, ils ont naturellement entre eux une harmonie profonde, intime, inépuisable; les vérités de l'un doivent réfléchir les vérités de l'autre, comme tous les corps terrestres réfléchissent les rayons du soleil, l'un sous une couleur, l'autre sous une autre. On. en voit de sublimes échantillons dans saint Bonaventure, en son Itinéraire de l'âme vers Dieu. Raymond Lulle aura voulu généraliser cette méthode, compléter ce grand art de la vérité. Sans doute, il n'aura pas réussi complétement; plusieurs de ses idées n'auront pas été assez nettes ou assez justes; son langage n'aura pas toujours été assez clair ni correct. Mais, toujours, la seule conception d'une œuvre pareille témoigne d'un immense génie, et la constance d'y travailler pour la gloire de Dieu jusqu'à l'âge de quatre-vingts ans, et jusqu'au martyre, montre une foi plus grande que le génie même.

Nous souhaitons que Dieu suscite à son Église un homme qui,

1 Voir deux Vies de Raymond Lulle, avec les commentaires. Acta SS., 30 junii.Biographie univ., t. 25. Fleury, l. 88, n. 45; l. 89, n. 39; l. 92, n. 19.

joignant la foi et la science divine de saint Thomas et de saint Bonaventure à l'infatigable constance de Raymond Lulle, reprenne son œuvre, profite de ses travaux, ainsi que des progrès qu'on a faits dans les connaissances matérielles, expérimentales ou mécaniques, élève cette œuvre immense à sa perfection, pour la gloire de Dieu et le salut des hommes.

A cette époque, il n'y avait qu'un évêque en Afrique, celui de Maroc : c'était ordinairement un frère Mineur.

Quant au salut des Chrétiens de Syrie et de Palestine, un seul homme y pensait sérieusement: c'était le Pontife romain. Au lieu de se réunir entre eux et avec les auxiliaires de l'Occident pour réprimer et abattre les puissances musulmanes, ces Chrétiens dégénérés se divisaient scandaleusement les uns contre les autres, comme pour hâter leur perte commune.

Bohémond VI, prince d'Antioche et comte de Tripoli, mourut le 11me de mai 1275, laissant pour successeur son fils Bohémond VII, encore en bas âge, sous la conduite de sa mère et de l'évêque de Tortose. Or, la mère était Sibylle, fille d'Haïton, roi d'Arménie. Hugues III, roi de Chypre, qui était parent, vint à Tripoli, où résidait le jeune prince, pour prendre la régence; mais l'évêque de Tortose, appelé par la mère, l'avait prévenu; le roi de Chypre se retira donc à Ptolémaïs ou Saint-Jean d'Acre. Le prince défunt avait auprès de lui des Romains qui gouvernaient son État et avaient offensé plusieurs nobles; c'est pourquoi après sa mort, il y eut grand trouble à Tripoli, et trois de ces Romains furent tués. L'évêque de Tripoli, qui était aussi Romain, les soutenait; mais l'évêque de Tortose, régent, prenait le parti des nobles, et cette division entre les évêques fut ensuite la source de plusieurs maux, particulièrement de la mésintelligence entre le prince et les Templiers. Ceux-ci procurèrent un accord entre le seigneur de Gibelet et l'évêque de Tripoli; ce qui fit que l'évêque de Tortose rendit ce seigneur odieux au prince.

Cependant Bibars ou Bondocdar, sultan d'Égypte, le plus terrible ennemi des Chrétiens, apprenant que les Tartares assiégeaient une place qu'il avait sur l'Euphrate, marcha contre eux, et attaqua un corps de six mille hommes, qui battirent ses troupes; lui-même reçut une blessure dont il mourut le 15me d'avril 1277, après avoir régné dix-sept ans. Il laissa deux fils qui régnèrent l'un après l'autre ; mais les deux règnes ne durèrent que deux ans, et, en 1279, fut élu sultan Saïfeddin Kélaoun, surnommé Élalfi, qui régna onze ans. Dans cet intervalle, l'occasion était belle pour les Chrétiens du pays, s'ils avaient su en profiter.

Mais l'animosité était telle entre eux, que le prince d'Antioche

chassa l'évêque de Tripoli de son église, se saisit de ses biens et maltraita ses vassaux; et l'évêque s'étant retiré avec ses domestiques dans la maison que les Templiers avaient à Tripoli, le prince vint l'y assiéger avec des troupes mêlées de Chrétiens et de Sarrasins, et fit dresser des machines contre la maison; puis, en ayant chassé l'évêque, il la fit piller, et il y laissa des Sarrasins pour la garder. L'évêque de Tripoli excommunia le prince et ses complices, et mit la ville en interdit. Nous apprenons ce détail par une lettre du pape Nicolas III à ce prince, en date du 1er de juin 1279, où il lui fait de grands reproches de ces violences. Prenez-y garde, mon fils. Sontce là les œuvres d'un Chrétien? Sont-ce là les louables prémices de votre règne? Comment pourrons-nous disposer les rois et les fidèles de l'Occident à venir à votre secours, tandis que la renommée vous signale comme un cruel persécuteur des Chrétiens et de l'église de Tripoli? Prenez-y garde. De nos jours même, beaucoup de rois et de princes, pour avoir regimbé contre la Chaire apostolique, ont été brisés. Prenez exemple sur vos ancêtres. Tant que les princes d'Antioche ont été dociles à l'Église, leur principauté a subsisté : devenus indociles aux remontrances apostoliques, ils ont perdu Antioche, qui est devenue la proie des infidèles. Enfin il enjoint au prince d'envoyer dans huit mois des ambassadeurs pour réparer les torts faits à l'église de Tripoli: faute de quoi il menace d'employer contre lui tous les moyens ecclésiastiques, et séculiers, et d'armer contre lui les chevaliers du Temple, de l'Hôpital et de l'ordre Teutonique1.

Le sultan d'Égypte, Kélaoun, remplit bien au delà les menaces du Pape. L'an 1288, après avoir pris plusieurs châteaux qui en défendaient les avenues, il vint mettre le siége devant Tripoli. Bohémond VII venait de se montrer soumis aux ordres du sultan, en livrant et en rasant une de ses propres forteresses; mais ni cette soumission récente ni la foi des traités ne purent retarder d'un moment la chute de cette place. Tel était l'esprit de division qui régnait alors parmi les Francs, que les Templiers, d'accord avec le seigneur de Gibelet, avaient, peu de temps auparavant, formé le dessein de s'emparer de la ville. Tout était prêt pour l'exécution du complot, et l'entreprise n'échoua que par une circonstance imprévue.

L'historien Michaud ajoute : Nous avons sous les yeux une déclaration manuscrite, rédigée par un notaire de Tripoli et signée par un grand nombre de témoins, dans laquelle le sire de Gibelet raconte toutes les circonstances de sa trahison. Après la découverte de ce complot, le même seigneur de Gibelet se mit, par ordre du grand

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maître du Temple, à guerroyer les Pisans et à les piller. Il n'avait aucun démêlé avec eux, c'est lui-même qui avoua sa félonie; mais il agissait ainsi parce que ledit maître lui avait demandé du froment et de l'orge pour sa maison et ses gens. Toutes ces violences, tous ces désordres mettaient sans cesse en péril les cités chrétiennes, et personne n'avait assez d'ascendant ou de patriotisme pour chercher à en prévenir les effets. Poussé par le remords ou par la crainte, le sire de Gibelet voulut solliciter sa grâce auprès du comte de Tripoli, offrant d'abandonner sa terre et d'aller vivre ailleurs comme il pourrait. Mais les Templiers refusèrent d'intercéder pour lui et de se mêler d'une affaire où ils l'avaient engagé. Ibn-Férat rapporte que le sire de Gibelet fut tué par les ordres de Bohémond. Son fils, dépouillé de l'héritage paternel, ne songea plus qu'à venger la mort de son père, et implora l'assistance des Musulmans. La mort de Bohémond, qui suivit celle du seigneur de Gibelet, acheva de jeter le trouble et la discorde parmi les habitants de Tripoli. La sœur et la mère du prince se disputèrent son autorité; tous ceux qui, jusquelà, avaient médité des projets de trahison ou de révolte, se mirent à renouveler leurs complots 1.

Toutefois la nouvelle certaine que le sultan d'Égypte faisait des préparatifs formidables pour venir assiéger la ville, mit fin aux divisions. L'on implora le secours du roi de Chypre et de la chevalerie de Ptolémaïs. Le roi Henri de Chypre envoya quatre vaisseaux, avec une troupe considérable à pied et à cheval, sous la conduite de son frère 2; les Hospitaliers et les Templiers, ainsi que les chevaliers laïques de Syrie, même les Pisans et les Vénitiens accoururent de Ptolémaïs à Tripoli pour prendre part à la défense de cette ville contre la nombreuse armée du sultan d'Égypte ; et l'amiral génois, Benoît Zacharie, qui était venu depuis peu avec quelques navires pour sommer Tripoli de remplir ses obligations envers la république de Gênes, ne refusa point son assistance à la ville menacée 3. Il est donc faux de dire, avec certains auteurs, qu'aucune ville chrétienne, aucun prince de la Palestine ne vint au secours de Tripoli. Mais les forces réunies des Chrétiens ne purent en empêcher la perte.

Dix-sept grandes machines furent dressées contre les murailles; quinze cents ouvriers ou soldats s'occupaient de miner la terre ou de lancer le feu grégeois. Après trente-cinq jours de siége, les Musulmans pénétrèrent dans la ville le fer et la flamme à la main. Suivant un auteur du temps, ils pénétrèrent par la trahison. Les Chrétiens 1 Michaud, t. 5 des Croisades, p. 563. 2 Makrisi. Apud Reinaud. Extraits des historiens arabes relatifs aux guerres des croisades. 3 Annales Genuens.,

1. 100. Martène, Ampl. Collect., t. 5, p. 759.

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