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Cette bulle étant dogmatique, il faut plus s'attacher à la conclusion qu'aux prémisses. Elle définit donc que toute créature humaine, autrement toute puissance parmi les hommes, est soumise au Pontife romain; elle définit, en un mot, que la puissance temporelle est subordonnée à la puissance spirituelle: chose reconnue par les défenseurs mêmes de Philippe le Bel, et déjà consignée dans le droit canon par la décrétale Novit d'Innocent III.

En effet, dans le démêlé entre Boniface VIII et Philippe le Bel, Gilles Romain, de la famille des Colonne, archevêque de Bourges, et Jean de Paris, étaient naturellement partisans du roi. Voici cependant ce que dit le premier: « Les causes mixtes sont des causes temporelles qui ont une certaine connexion avec des causes spirituelles; ainsi, une cause féodale est de soi temporelle, mais elle peut avoir une connexion avec le serment ou le pacte... Et de cette manière le roi de France, suivant le droit, n'est point sujet au souverain Pontife, ni tenu de lui répondre, quant à son fief; il peut toutefois lui être soumis incidemment, à raison de la connexion avec une cause spirituelle, comme il est dit dans la décrétale d'Innocent III, chap. Novit. »

Le second s'exprime de la manière suivante : « Si le prince était hérétique et incorrigible, le Pape pourrait faire en sorte qu'il fût dépouillé de sa dignité séculière et déposé par le peuple; le Pape le ferait dans un crime ecclésiastique dont la connaissance lui appar tient, savoir, il excommunierait tous ceux qui lui obéiraient encore comme à leur seigneur; et de cette manière le peuple le déposerait, et le Pape seulement par accident 2. » Comme on voit, et avant et pendant le démêlé, les partisans de Philippe reconnaissaient que le roi est soumis au Pape et tenu de lui répondre, même pour une cause temporelle, lorsqu'elle est liée à une cause spirituelle.

Si Boniface rappelle cette doctrine dans sa bulle et en fait une décision, c'est que Philippe ne voulait point reconnaître dans la pratique la souveraineté spirituelle du Pontife à reprendre de péché qui que ce fùt, et, par suite, lui refusait ouvertement l'obéissance, et empêchait les prélats de la lui rendre. Afin donc d'empêcher qu'un aussi pernicieux exemple n'occasionnât immédiatement et par la suite un grave scandale dans l'Église, il était urgent de déclarer que, par nécessité de salut, toute créature humaine, c'est-à-dire (dans le sens de l'épître de saint Pierre d'où cette expression est tirée) toute puissance humaine est soumise au Pontife romain. L'exposé de la

1 Egidius Romanus, Disput., art. 4. -Joan. de Parisiis, Tract. de Potest. reg. et papali, c. 7.

bulle tend à prouver que la souveraineté temporelle n'exempte point le prince de cette subordination à la puissance directive et ordinative de l'Église, comme l'appelle Gerson.

Des diverses raisons qu'en rapporte Boniface, il n'en est pas une qui lui appartienne en propre. D'abord, que l'Église soit une, que son chef soit unique, et que ce chef soit le successeur de saint Pierre, cela est de foi. Ce qu'il dit des deux glaives et de leur subordination est pris mot à mot d'un des plus illustres docteurs de l'église des Gaules, saint Bernard, et ne signifie d'ailleurs que la subordination générale du temporel au spirituel, de la force à la justice, comme du corps à l'àme: doctrine enseignée bien avant lui, et par saint Grégoire de Nazianze, et par saint Isidore de Péluse, et par Yves de Chartres, et par Hugues de Saint-Victor, et par Alexandre de Halès, et par saint Thomas. Qu'il appartienne à la puissance spirituelle d'instituer la puissance terrestre et de la juger si elle n'est pas bonne, cela se trouve en toutes lettres dans un des plus fameux docteurs de Paris, Hugues de Saint-Victor, et équivalemment dans la consultation de la nation française pour substituer Pépin le Bref à Childéric, dans le discours de Charles le Chauve au concile de Toul, dans la lettre de l'empereur Louis II à Basile de Constantinople, sans parler du reste.

L'application au sacerdoce chrétien des paroles dites au prophète Jérémie avait été faite bien avant lui; en 431, par Théodote, évêque d'Ancyre, au concile d'Éphèse; en 512, par toute l'Église d'Orient dans sa lettre au pape Symmaque ; en 518, par Jean, patriarche de Jérusalem, dans une lettre synodale souscrite de trente évêques de sa province; en 536, par le patriarche Mennas de Constantinople, dans un décret approuvé par soixante-onze évêques; en 845, par le concile de Meaux où assistait Hincmar de Reims; en 878 et 879, par le pape Jean VIII, dans ses lettres à Basile, empereur d'Orient; plus tard, mais toujours avant Boniface, par saint Bernard, par Pierre le Vénérable, par Hugues de Saint-Victor, par Guillaume, archevêque de Sens, par Pierre de Blois, par Innocent III 1.

Quant à la remarque que Moïse ne dit pas dans les principes, mais dans le principe que Dieu créa le ciel et la terre, elle est fondée

1 Theod. Ancyr. Homil. contra Nestorium. Labbe, 3, col. 1024; Epist. Eccl. orient. ad Symmach. Labbe, t. 4, col. 1304; Epist. Joan. Hieros. Labbe, t. 5, p. 190; Conc. Const. sub Mennâ, act. 4. Labbe, t. 5, p. 90; Conc. Meld. Labbe, t. 6, p. 1816; Epist. Joan. VIII ad Basil., imp. Labbe, t. 9, p. 66; S. Bernard, epist. 237; Petr. Vin., 1. 6, epist. 24; Hug. Victor, l. 2, De Sacrament. fidei, pars 2, cap. 4; Guillelm. Senon. Exhort. ad Alex. III; Petr. Bles., epist. 144 ad Celestin. III, Innoc. III, sermo 1, in consecr. sui pontif.

sur l'interprétation la plus relevée qu'ont donnée du premier mot de la Genèse et les docteurs de la synagogue et les Pères de l'Église 1, savoir, que le principe dans lequel Dicu créa le ciel et la terre, c'est la Sagesse éternelle, le Verbe, le Fils, par qui toutes choses ont été faites, qui lui-même, dans l'Évangile, s'appelle le principe, et que saint Paul appelle également le principe dans lequel toutes choses ont été créées et tiennent ensemble. Saint Ambroise, en rappelant les divers sens que l'on donne à cette première parole, mais qui ne s'excluent pas l'un l'autre, dit positivement : « C'est donc dans ce principe, c'est-à-dire dans le Christ, que Dieu a fait le ciel et la terre, parce que toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien n'a été fait. Ce qui a été fait était vie en lui, parce que c'est en lui que tout subsiste 2. »

Or, ce Christ, alpha et oméga, principe et fin de toutes choses, ce Christ à qui a été donnée toute puissance au ciel et sur la terre, n'a établi qu'une loi pour toute créature humaine; qu'un interprète infaillible de cette loi, l'Église catholique; et dans cette Église, qu'un chef, un organe nécessaire. Donc, pretendre que la puissance temporelle est indépendante, soit de la loi divine, soit de l'Église catholique, soit du Pape, c'est supposer nécessairement que pour la puissance temporelle, il est un autre principe que le Christ; que ce n'est pas dans ce seul principe, mais dans plusieurs, que Dieu a créé et qu'il gouverne le ciel et la terre: c'est tomber nécessairement dans un dualisme de manichéen.

Ainsi, et pour ce qu'elle décide, et pour les preuves sur lesquelles elle s'appuie, la bulle Unam sanctam est conforme à la tradition des Pères et des docteurs 3.

1 Voir Jansen. in Pentateuch., et les lettres de M. Drach, rabbin converti. 2 In Hexaemer., l. 1, c. 4.

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3 La Providence vient de mettre au jour un document des plus importants relatif à cette bulle mémorable *, et qui prouve une fois de plus combien l'histoire, même celle de notre auteur qu'on accuse si à la légère d'exagération, est loin encore de la vérité exacte et de la pleine justice, combien enfin il y a à gagner dans la voie qu'il a si laborieusement et si intrépidement ouverte en France. Ce Gilles de Rome, un Colonna de cette famille qui va renouveler sur la joue du vicaire de Jésus-Christ le soufflet du valet de Caiphe, cet archevêque de Bourges, un des grands représentants de l'épiscopat français, derrière lequel Bossuet se retranche contre Boniface VIII, ce docteur auquel il attribue, après les protestants et tout le monde après lui, le traité demi-schismatique des deux Pouvoirs, et à qui il fait dire: Nulle puissance sur les choses temporelles n'a été adjointe par le Sei

* Voir le Journal de l'instruction publique, 24 et 27 février 1858. L'ouvrage découvert par M. Jourdain, à la bibliothèque Impériale, est in-4° et porte le n° 4222 de l'ancien catalogue des manuscrits latins.

Le même jour, 18 novembre 1302, que Boniface publia cette fameuse décrétale, il excommunia par une autre quiconque empêcherait

gneur au pouvoir des clefs (Defens. eccl., 1. 3, cap. 25), ce précepteur de Philippe le Bel enfin dont on fait le patriarche du gallicanisme, voici qu'il est l'auteur probable de la bulle Unam sanctam. Il en a été au moins, et à coup sûr, le précurseur ou l'apologiste; et les phrases les plus capitales de cette bulle se lisent dans un ouvrage de sa main intitulé du Pouvoir ecclésiastique. Voici le résumé de cet ouvrage. Il est divisé en trois livres. Le premier établit la position du pouvoir ecclésiastique vis-à-vis du pouvoir civil. Le Pontife romain est cet homme spirituel qui juge de tout et de tous, n'ayant lui-même d'autre juge que Dieu. C'est à lui que le Seigneur s'adresse par la bouche de son prophète quand il dit : « Je t'ai établi sur les nations et sur les royaumes pour que tu arraches et détruises, que tu fondes et édifies. » Les preuves en sont dans la dîme due à l'Église et offerte à Melchisedech par Abraham, au nom de tous les croyants, dans le privilege de bénir les puissances séculières, dans l'établissement même de ces puissances issues de la consécration sacerdotale quand elles ne l'ont pas été d'un brigandage triomphant, dans cette règle de l'univers que les corps sont régis par les esprits, dans la priorité historique du sacerdoce, ce qui vient le premier devant rester le premier et Abel avec son sacrifice ayant précédé Cain, le fondateur des cités mondaines, et Nemrod, l'organisateur violent du premier des empires. La société a donc deux glaives qui la régissent, mais subordonnés l'un à l'autre, tous deux entre les mains du Pape et devant se mouvoir à son ordre, comme les facultés de l'âme et les organes du corps à l'ordre de l'âme.

Le second livre pose le pouvoir ecclésiastique vis-à-vis des biens civils, traçant les limites de ce pouvoir comme le premier a défini son caractère. Il a quatorze chapitres et le premier neuf. Non-seulement l'Église peut posséder des biens temporels, mais tous les biens temporels sont sous sa dépendance, en dernière analyse, relevant des corps qui relèvent des àmes qui relèvent d'elle-même. Le propriétaire d'un champ ou d'une vigne ne peut les posséder justement s'il ne les possède sous l'autorité et par l'autorité supérieure de l'Eglise. « Nous sommes d'injustes possesseurs si nous ne possédons pour servir Dieu,» dit l'auteur. L'Église, quand elle absout un pécheur, lui rend littéralement son droit de propriété dont il était vraiment déchu par son crime; et si elle tolère habituellement une situation contraire, si elle laisse le droit naturel établir toutes sortes de liens valables parmi les infidèles, ce n'est que parce qu'elle le veut bien, dans l'intérêt de l'ordre temporel qu'elle a grandement à cœur et qui importe tant au salut des âmes; mais aver son droit toujours réservé d'intervenir sitôt qu'elle le jugera à propos au nom d'un intérêt supérieur. « Il est évident, dit Gilles de Rome, que le pouvoir terrestre et l'art de gouverner les peuples selon ce pouvoir terrestre, c'est l'art mème de disposer la matière pour la disposition du pouvoir ecclésiastique. Le pouvoir terrestre doit être sujet du pouvoir ecclésiastique comme il suit lui-même, tous ses organes, tous ses instruments, il doit les ordonner pour l'obéissance, au moindre signe, au pouvoir spirituel; et comme les organes et instruments du pouvoir terrestre sont le pouvoir civil, les armes de guerre, les biens temporels qu'il a, les lois et les constitutions qu'il fait, il faut que tout cela, lui-même, dis-je, et tous ses instruments, il ordonne tout pour le commandement et le bon vouloir du pouvoir ecclésiastique. »

Dans la troisième partie, le précepteur de Philippe le Bel établit que cette doctrine de la suprématie de l'Église sur les princes et sur les choses civiles n'altère

ou molesterait ceux qui allaient à Rome ou qui en revenaient. Philippe n'était nommé ni dans l'une ni dans l'autre. Boniface voulait moins se venger que prévenir les suites d'un si mauvais exemple.

point la notion de l'autorité temporelle, mais l'assied au contraire, la consacre et l'élève. Les biens sont pour le corps, le corps pour l'àme, l'àme pour l'Église qui conduit tout à Dieu. Mais les biens sont des biens cependant et les corps des corps; et Dieu, la cause première qui donne leur activité propre aux causes secondes, a voulu que les corps humains eussent dans le monde une providence spéciale qui leur procurât d'office ce qui convient à leur entretien périssable pendant qu'ils sont au service des âmes impérissables. Cette providence établie de Dieu, ce sont les princes temporels; ils ont leurs droits imprescriptibles comme les corps qu'ils représentent, et l'Église ne peut les abolir non plus que l'àme ne peut abolir le corps, sous peine de sacrilége et de suicide. Ils possèdent leur sphère, comme elle possède la sienne; ils ont droit d'y agir comme elle dans la sienne; César est César comme Dieu est Dieu et il faut rendre à chacun ce qui lui revient; mais il faut reconnaitre que les causes inférieures sont sujettes des supérieures; qu'elles doivent respecter leur position si elles veulent qu'on la respecte; que si elles compromettent l'ordre, on peut intervenir pour les y ramener ou les briser; que l'âme est tenue à se sauver malgré le corps, s'il veut obstinément la perdre; « et que dans l'Église, pour conclure par les paroles de Gilles de Rome, si grande est la plénitude de la puissance que ce qu'elle peut est sans poids, sans nombre et sans puissance mesurée quelconque. »

Telles sont les idées de cet ouvrage, un des plus considérables de la tradition ecclésiastique, et par sa doctrine et par les circonstances singulières dans lesquelles elle a été formulée. Le style est calme, serein, pieux, et comme l'expression d'une conviction nette, chaleureuse, inébranlable. Il étonnera bien des lecteurs après le premier qui nous en a fait la révélation, et une telle raison au service de si « étranges maximes, » comme il les appelle, sera longtemps un problème, jusqu'au jour où de vieux préjugés faisant place à une réflexion impartiale, on reconnaîtra que ce sont là précisément les allures de la vérité. L'ouvrage est dédié à Boniface VIII, par son humble créature. » Convoqué par le Pape, au concile de Rome en 1302, le primat d'Aquitaine n'avait point hésité à s'y rendre malgré les menaces du roi, son élève. Les liaisons personnelles de Gilles avec Boniface, le séjour qu'il fit à Rome après la conclusion du concile, son grand savoir, son courage plus grand encore ne permettent pas de douter de l'ascendant exceptionnel qu'il exerça sur cette assemblée. Il y porta certainement son ouvrage ou du moins les matériaux de son ouvrage. Or, la bulle qui est l'œuvre de ce concile, en est le résumé et est tissue en grande partie avec des textes qu'on y lit mot pour mot. Il est plus que probable que Gilles, s'adressant à Boniface VIII et rapportant les paroles de la bulle fameuse, la citerait comme bulle si son ouvrage n'avait sur elle la priorité de fait. Quoi qu'il en soit de ces probabilités qui paraissent approcher de la certitude, c'est une chose éternellement mémorable que le précepteur de Philippe le Bel, le représentant de l'Église de France en ce temps critique, nœud du moyen âge et des temps modernes, se dresse en face du roi tout comme Boniface VIII luimême; et ce ne sera pas une des moindres surprises de notre siècle quand verra le jour un tel ouvrage que les ennemis du Saint-Siége et les flatteurs des rois ont trouvé le moyen d'étouffer dès sa naissance, en imposant de la manière la plus odieuse à la postérité sur l'auteur et sa doctrine, et ayant le succès de leur imposture durant bientôt dix siècles. (Note des éditeurs.)

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