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vie, afin qu'il puisse s'étendre dans les siècles des siècles. Nous devons pleurer ici-bas, pendant qu'ils se réjouissent : quand l'heure de notre triomphe sera venue, ils commenceront à pleurer. Gardonsnous bien de rire avec eux, de peur de pleurer aussi avec eux : pleurons plutôt avec les saints, afin de nous réjouir en leur compagnie. Gémissons en ce monde, comme a fait le pauvre François : soyons imitateurs de sa pénitence, et nous serons compagnons de sa gloire. Amen.

PANÉGYRIQUE

DE L'APOTRE SAINT PIERRE.

Divers états de son amour pour Jésus-Christ. Quelle a été la cause de sa chute, et par quels degrés son amour est parvenu au comble de la perfection.

Simon Joannis, amas me? Domine, tu omnia nosti, tu scis quia amo te.

Simon, fils de Jean, m'aimes-tu? Seigneur, vous savez toutes choses, et vous n'ignorez pas que je vous aime. Joan., XXI. 17.

C'est sans doute, mes Frères, un spectacle bien digne de notre curiosité, que de considérer le progrès de l'amour de Dieu dans les âmes. Quel agréable divertissement ne trouve-t-on pas à contempler de quelle manière les ouvrages de la nature s'avancent à leur perfection, par un accroissement insensible? Combien ne goûte-t-on pas de plaisir à observer le succès des arbres qu'on a entés dans un jardin, l'accroissement des blés, le cours d'une rivière ! On aime à voir, comment d'une petite source elle va se grossissant peu à peu, jusqu'à ce qu'elle se décharge en la mer. Ainsi c'est un saint et innocent plaisir de remarquer les progrès de l'amour de Dieu dans les cœurs. Examinons-les en saint Pierre.

Son amour a été premièrement imparfait ; et celui qu'il ressentoit pour le Fils de Dieu tenoit plus d'une tendresse naturelle, que de la charité divine. De là vient qu'il étoit foible, languissant, et n'avoit qu'une ferveur de peu de durée. Ce qu'il y avoit de plus dangereux, c'est que cette ardeur inconstante, qui ne le rendoit pas ferme, le faisoit superbe et présomptueux : voilà le premier état de son amour. Mais le foible de cet amour languissant ayant enfin paru dans sa chute, cet apôtre, se défiant de soi-même, se releva de sa ruine, plus fort et plus vigoureux par l'humilité qu'il avoit acquise : voilà quel est le second degré. Et enfin cet amour, qui s'étoit fortifié par la pénitence, fut entièrement perfectionné par le sacrifice de son martyre. C'est ce qu'il nous faut remarquer en la personne de notre apôtre, en observant, avant toutes choses, que ce triple progrès nous est expliqué dans le texte de notre évangile.

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Car, n'est-ce pas pour cette raison que Jésus demande trois fois à saint Pierre : « Pierre, m'aimes-tu? » Il ne se contente pas de sa première réponse : « Je vous aime, dit-il, Seigneur. » Mais, peutêtre que c'est de cet amour foible, dont l'ardeur indiscrète le transportoit avant sa chute : s'il est ainsi, ce n'est pas assez. De là vient que Jésus réitère la même demande; et il ne se contente pas que Pierre lui réponde encore de même : car il ne suffit pas que son amour soit fortifié par la pénitence, il faut qu'il soit consommé par le martyre. C'est pourquoi il le presse plus vivement, et le disciple lui répond avec une ardeur non pareille : « Vous savez, Seigneur, que » je vous aime. » Tellement que notre Sauveur, voyant son amour élevé au plus haut degré où il peut monter en ce monde, il ne l'interroge pas davantage, et il lui dit : « Suis-moi. » Et où? à la croix, où tu seras attaché avec moi : Extendes manus tuas 1; marquant par là le dernier effort que peut faire la charité. Car point de charité plus grande ici-bas, que celle qui conduit à donner sa vie pour JésusChrist Majorem charitatem nemo habet 2. Ainsi paroissent, dans notre évangile, ces trois états de l'amour que saint Pierre a ressenti pour le Fils de Dieu : et, suivant les traces de l'Ecriture, nous vous ferons voir aussi, premièrement son amour imparfait et foible par le mélange des sentiments de la chair; secondement son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence; troisièmement son amour consommé et perfectionné par la gloire du martyre.

PREMIER POINT.

Il semble que ce soit faire tort à l'amour que saint Pierre avoit pour son Maître, que de dire qu'il ait été imparfait. Le premier pas qu'il fait, c'est de quitter toutes choses pour l'amour de lui: Ecce nos reliquimus omnia 3. Et peut-il témoigner un plus grand amour, que lorsqu'il lui dit avec tant de force : « A qui irons-nous? vous » avez les paroles de la vie éternelle : » Ad quem ibimus? verba vitæ æternæ habes. Toutefois son amour étoit imparfait; parce qu'il tenoit beaucoup plus d'une tendresse naturelle qu'il avoit pour Jésus-Christ, que d'une charité véritable. Pour l'entendre, il faut remarquer quelle sorte d'amour Jésus-Christ veut que l'on ait pour lui. Il ne veut pas que l'on aime simplement sa gloire, mais encore son abaissement et sa croix. C'est pourquoi nous voyons en plusieurs endroits, que lorsque sa grandeur paroît davantage, il rappelle aussitôt les esprits au souvenir de sa mort: Loquebantur de excessu. C'est de quoi il entretenoit, à sa glorieuse transfiguration, Moïse et Elie de même, en plusieurs endroits de l'Evangile, on voit qu'il a

▲ Joan., XXI. 18.—2 Ibid., xv. 13.—3 Matth., XIX. 27.—4 Joan., VI. 69.— 5 Luc., IX. 31.

un soin tout particulier de ne laisser jamais perdre de vue ses souffrances'. Ainsi, pour l'aimer d'un amour parfait, il faut surmonter cette tendresse naturelle, qui voudroit le voir toujours dans la gloire, afin de prendre un amour fort et vigoureux, qui puisse le suivre dans l'ignominie. C'est ce que saint Pierre ne pouvoit pas goûter. Il avoit de la charité; mais cette charité étoit imparfaite, à cause d'une affection plus basse, qui se mêloit avec elle. C'est ce que nous voyons clairement au chap. xvi de saint Matthieu.

« Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, s'écrie cet apôtre: >> Tu es Christus, Filius Dei vivi. Il dit cela, non-seulement avec beaucoup de lumière, mais avec beaucoup d'ardeur. C'est pourquoi il est heureux, Beatus, parce qu'il avoit la foi, et la foi opérante par la charité. Cette ardeur ne tenoit rien de la terre; la chair et le sang n'y avoient aucune part: Caro et sanguis non revelavit tibi 2. Mais voyons ce qui suit après.

Jésus-Christ voyant sa gloire si hautement confessée par la bouche de Pierre, commence, selon son style ordinaire, à parler de ses abaissements. « Dès lors il déclara à ses disciples, qu'il falloit qu'il >> souffrit beaucoup, et qu'il fût mis à mort » Exinde cœpit Jesus ostendere discipulis suis, quoniam oporteret eum multa pati, et occidi3. Et aussitôt ce même Pierre, qui avoit si bien reconnu la vérité en confessant la grandeur du Sauveur du monde, ne la peut plus souffrir dans ce qu'il déclare de sa bassesse. « Sur quoi Pierre le prenant » à part, se mit à le reprendre en lui disant : A Dieu ne plaise, Sei>> gneur! cela ne vous arrivera pas : » Cœpit increpare illum: Absit à te, Domine! non erit tibi hoc. Ne voyez-vous pas, Chrétiens, qu'il n'aime pas Jésus-Christ comme il faut? Il ne connoît pas le mystère du Verbe fait chair, c'est-à-dire, le mystère d'un Dieu abaissé. Il confesse avec joie ses grandeurs, mais il ne peut supporter ses humiliations: de sorte qu'il ne l'aime pas comme Sauveur; puisque ses abaissements n'ont pas moins de part à ce grand ouvrage, que sa grandeur divine et infinie. Quelle est la cause de la répugnance qu'avoit cet apôtre à reconnoître ce Dieu abaissé. C'étoit cette tendresse naturelle qu'il avoit pour le Fils de Dieu, par laquelle il le vouloit voir honoré à la manière que les hommes le désirent. C'est pourquoi le Sauveur lui dit : « Retire-toi de moi, Satan, tu m'es >> à scandale; car tu n'as pas le sentiment des choses divines, mais » seulement de ce qui regarde les hommes . » Voyez l'opposition. Là il dit Barjona, fils de la colombe: ici, Satan. Là il dit: Tu es une pierre sur laquelle je veux bàtir : ici, Tu es une pierre de scan

Voyez le Sermon du Nom de Jésus. Vocabis nomen ejus. Tom. 1. pag. 247 et suiv. 2 Matth., XVI. 17.3 Ibid., 21.-4 Ibid., 22. — 5 Ibid., 23.

sed

dale pour faire tomber. Là, Caro et sanguis non revelavit tibi, Pater meus: ici, à l'opposite, Non sapis ea quæ Dei sunt, sed ea quæ hominum. D'où vient qu'il lui parle si différemment, sinon à cause de ce mélange qui rend sa charité imparfaite? Il a de la charité : Caro et sanguis non revelavit : il a un amour naturel qui ne veut que de la gloire, et fuit les humiliations: Non sapis quæ Dei sunt. C'est pourquoi, quand on prend son maître, il frappe de son épée, ne pouvant souffrir cet affront. Aussi Jésus-Christ lui dit : « Quoi, je >> ne boirai pas le calice que mon Père m'a donné à boire? » Calicem quem dedit mihi Pater, non bibam illum ?

C'est ce mélange d'amour naturel, qui rendoit sa charité lente; car cet amour l'embarrasse, quoiqu'il semble aller à la même fin. Comme si vous liez deux hommes ensemble, dont l'un soit agile et l'autre pesant, et qu'en même temps vous leur ordonniez de courir dans la même voie : quoiqu'ils aillent au même but, néanmoins ils s'embarrassent l'un l'autre ; et pendant que le plus dispos veut aller avec diligence, retenu et accablé par la pesanteur de l'autre, souvent il ne peut plus avancer, souvent même il tombe, et ne se relève qu'à peine. Ainsi en est-il de ces deux amours. Tous deux, ce semble, vont à Jésus-Christ. Celui-là, divin et céleste, l'aime d'un amour que la chair et le sang ne peuvent inspirer; et l'autre est porté pour lui de cette tendresse naturelle, que nous avons tant de fois décrite. Le premier est lié avec le dernier; et étant enveloppé avec lui, non-seulement il est retardé, mais encore porté par terre par la pesanteur qui l'arrête.

C'est pourquoi vous voyez l'amour de saint Pierre, toujours chancelant, toujours variable. Il voit son Maître, et il se jette dans les eaux pour venir à lui; mais un moment après il a peur, et mérite que Jésus lui dise: Modicæ fidei, quare dubitasti2? « Homme de peu » de foi, pourquoi as-tu douté? » Quand le Sauveur lui prédit sa chute, il se laisse si fort transporter par la chaleur de son amour indiscret, qu'il donne le démenti à son Maître ; mais attaqué par une servante, il le renie avec jurement. Qui est cause de cette chute, sinon sa témérité? Et qui l'a rendu téméraire, sinon cet amour naturel qu'il sentoit pour le Fils de Dieu? il s'imaginoit qu'il étoit ferme, parce qu'il expérimentoit qu'il étoit ardent; et il ne considéroit pas que la fermeté vient de la grâce, et non pas des efforts de la nature : tellement qu'étant tout ensemble et foible et présomptueux; déçu par son propre amour, il promet beaucoup, et surpris par sa foiblesse, il n'accomplit rien au contraire, il renie son Maître; et pendant que la lâcheté des autres fait qu'ils évitent la honte de le

1 Joan., XVIII. 11.- 2 Matth., XIV. 31.

renier par celle de leur fuite, le courage foible de saint Pierre fait qu'il le suit, pour le lui faire quitter plus honteusement : de sorte qu'il semble que son amour ne l'engage à un plus grand combat, que pour le faire tomber d'une manière plus ignominieuse.

Ainsi se séduisent eux-mêmes, ceux qui n'aiment pas Jésus-Christ selon les sentiments qu'il demande, c'est-à-dire, qui n'aiment pas sa croix, qui attendent de lui des prospérités temporelles, qui le louent quand ils sont contents, qui l'abandonnent sur la croix et dans les douleurs. Leur amour ne vient pas de la charité qui ne cherche que Dieu, mais d'une complaisance qu'ils ont pour euxmêmes c'est pourquoi ils sont téméraires; parce que la nature est toujours orgueilleuse, comme la charité est toujours modeste. Voilà les causes de la langueur et ensuite de la chute de notre apôtre : mais voyons son amour épuré et fortifié par les larmes de la pénitence.

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DEUXIÈME POINT.

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Saint Augustin nous apprend qu'il est utile aux superbes de tomber; parce que leur chute leur ouvre les yeux, qu'ils avoient aveuglés par leur amour-propre. C'est ce que nous voyons en la personne de notre apôtre. Il a vu que son amour l'avoit trompé. Il se figuroit qu'il étoit ferme, parce qu'il se sentoit ardent, et il se fioit sur cette ardeur : mais ayant reconnu par expérience que cette ardeur n'étoit pas constante, tant que la nature s'en mêloit, il a purifié son cœur, pour n'y laisser brûler que la charité toute seule. Et la raison en est évidente car de même que dans la comparaison que j'ai déjà faite d'un homme dispos, qui court dans la même carrière avec un autre pesant et tardif, l'expérience ayant appris au premier que le second l'empêche et le fait tomber, l'oblige aussi à rompre les liens qui l'attachoient avec lui: ainsi l'apôtre saint Pierre ayant reconnu que le mélange des sentiments naturels rendoit sa charité moins active, et enfin en avoit éteint toute la lumière, il a séparé bien loin toutes ces affections qui venoient du fond de la nature, pour laisser aller la charité toute seule. Que me sert, disoit-il en pleurant amèrement sa chute honteuse, que me sert cette ardeur indiscrète, à laquelle je me suis laissé séduire? Il faut éteindre ce feu volage, qui s'exhale par son propre effort, et se consume par sa propre violence, et ne laisser agir en mon âme que celui de la charité, qui s'accroît continuellement par son exercice. C'est ce qui lui fait dire, aussi bien qu'à son collègue saint Paul : « Si nous avons >> connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le con

A De Civil. Dei, lib. xiv. cap. 13. tom. vII. col. 366.

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