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plus grande et plus libre, de penser et de raisonner, la politique scholastique fut renversée de fond en comble: les questions générales furent morcelées, brisées en une infinité de questions particulières; le but disparut devant les moyens, et le droit devant le fait la religion et la morale s'évanouirent dans un commun naufrage; et la logique laïque, victorieuse de la logique officielle, inaugura son entrée sur la scène de la philosophie politique par le machiavélisme.

Au reste, cette révolution n'a eu lieu dans la science, que parce qu'elle avait eu lieu dans les faits. L'habileté des souverains, la pénétration, la sagesse ou l'artifice, en un mot, l'art de tirer parti des événements par tous les moyens possibles, avait succédé à la violence ouverte qui avait été l'arme universelle du moyen âge; à la générosité qui accompagnait parfois la violence, et à la piété naïve qui la corrigeait, les princes du xve siècle substituèrent une prudence peu scrupuleuse qui opposait la ruse à la force, et quelquefois à la ruse elle-même. C'est l'esprit de ce temps dont les héros sont Louis XI, Ferdinand d'Aragon, Gonsalve de Cordoue, etc. C'était sans doute une application peu noble de l'intelligence, mais enfin un témoignage de l'empire nouveau et croissant de l'esprit et de la pensée dans la sphère politique. Machiavel fut l'écho de ces principes, et l'interprète de cette importante révolution.

Au reste, quoique la méthode de Machiavel soit en germe la méthode d'observation et d'expérience, on peut dire cependant qu'il ne l'a pas encore appliquée d'une manière suffisamment scientifique. Si l'on ne considère que son esprit, il en est peu qui lui soient supé

rieurs : c'est un génie mâle, net, plein de finesse et de fermeté, et d'une pénétration admirable. Mais sa méthode est très-imparfaite. Il ne classe pas les problèmes; il ne les subordonne pas les uns aux autres ; il tâtonne souvent dans la solution; il ne groupe pas suffisamment les faits; il en rassemble souvent qui ne sont pas du même ordre, qui ne prouvent pas la même chose; enfin, il manque tout à fait d'enchaînement. Mais il a des parties admirablement traitées. Je citerai, par exemple, son chapitre des conspirations, où la matière est étudiée à fond, et en parfaite connaissance de cause. C'est un chef-d'œuvre de netteté, de vigueur, d'expérience et de réflexion..

En résumé, Machiavel a fondé la science politique moderne, en y introduisant la liberté d'examen, l'esprit historique et critique, la méthode d'observation. Par là, il mérite la reconnaissance de la philosophie. Mais, par malheur, la première application qu'il a faite de cette nouvelle méthode a été une doctrine détestable et médiocre, qui a eu une trop grande part dans les malheurs et les crimes de la politique au XVIe siècle. On peut rejeter sur son temps la faute de cette doctrine; mais il ne faut ni l'excuser, ni la justifier. L'astuce et la violence se font assez d'elles-mêmes leur place dans les affaires humaines, sans qu'il soit nécessaire que la science vienne les couvrir de sa haute autorité.

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CHAPITRE II.

ÉCOLE DE MACHIAVEL.

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Guiccardin Sentences politiques. Opposé à Machiavel en politique, aussi peu scrupuleux en morale. Scioppius: Pædia politices. Justification raisonnée du machiavélisme : opposition de la morale et de la politique. — Juste Lipse: Les politiques. Demi-machiavélisme : critiques et concessions. — Fra-Paolo : Le Prince. Machiavélisme pratique. Principe de la raison d'Etat. Caractère odieux de cette politique.

Gabriel Naudé. Les coups d'Etat. Machiavélisme de cabinet. Apologie de la Saint-Barthélemy. - Décadence du machiavélisme au xvir siècle. Il va se perdre dans le despotisme. Le cardinal de Richelieu : son testament. Sa belle doctrine sur la fidélité aux engagements. Caractère despotique de ce livre. Réfutations de Machiavel. AntiMachiavel de Gentillet. Médiocrité de cet ouvrage et des autres écrits du XVIe siècle contre Machiavel. Anti-Machiavel de Frédéric II. Conclusion sur le machiavélisme.

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Un génie tel que Machiavel ne passe pas sans laisser de traces, et sans exercer une influence durable. Or, il nous semble que Machiavel a exercé une double influence: l'une générale, l'autre particulière. En général, il peut être considéré comme ayant déterminé toutes les recherches politiques, qui furent si nombreuses au XVIe siècle, et particulièrement en Italie. Il répandit le goût de ces matières; il enseigna l'usage de l'histoire dans la politique; il excita la controverse, et ainsi fut le maître de ceux mêmes qui le combattaient. Mais outre cette influence générale, qui fut évidemment utile et heureuse, il en eut une plus particulière par ses doctrines, et on peut dire qu'il a formé une école, qui a

duré tout le xvi° siècle, et a persisté jusqu'au siècle suivant école composée d'écrivains divers, dont les uns atténuent, les autres exagèrent la pensée de Machiavel, et qui ont tous un dogme commun le droit du mensonge et de la fraude en politique.

Parmi les écrivains qui, sans avoir précisément reçu l'influence de Machiavel, ont respiré le même air que lui, et sont arrivés à des maximes analogues, je citerai le célèbre Guicciardin, l'historien des guerres d'Italie, homme de plume et homme d'épée, serviteur des Médicis, et enfin ami de Machiavel lui-même, dont il ne partageait pas les idées politiques. Machiavel, dans le fond de l'âme, était un démocrate. Guicciardin était partisan de la monarchie. Le meilleur gouvernement, suivant lui, était le gouvernement d'un seul entre les mains d'un homme de bien. « Le peuple, disait-il, ne demande la liberté que pour avoir la justice. Si donc le gouvernement d'un seul ou de plusieurs prenait pour guide la justice, et assurait à chacun le sien, il ne resterait plus aucun motif de désirer la liberté. Aussi les philosophes anciens ne louaient pas tant les villes où régnait la liberté que celles où régnait la justice (1)

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Mais si Guicciardin est opposé à Machiavel dans ses opinions politiques, il s'en rapproche par le caractère cauteleux et équivoque de certaines de ses maximes. Sans être aussi condamnables que celles de Machiavel, elles sentent cependant le xv° siècle et l'Italie; et elles peuvent servir à prouver que le machiavélisme n'a pas été seulement la doctrine d'un homme, mais celle de

(1) Avis et conseils en matière d'État. Anvers, 1525, trad. en franç. 1577, It.

toute une époque. Que diront les ambassadeurs de cette maxime? « Lorsqu'un prince veut circonvenir un autre prince par le moyen d'un ambassadeur, il doit commencer par tromper celui-ci, qui poursuivra avec plus de zèle l'affaire qui lui est confiée, s'il pense qu'il agit sérieusement que s'il est obligé de feindre. Et en général, il faut user des mêmes précautions lorsqu'on veut se servir de quelqu'un pour inspirer à un autre une fausse idée (1). » Guicciardin va cependant moins loin que Machiavel en conseillant la fraude il ne l'admet guère que comme une exception. « La candeur et l'ouverture est louée par tous les hommes, ditil; c'est une belle marque d'une âme généreuse: cependant elle est quelquefois nuisible. Au contraire, la fraude est utile: cependant elle est détestée, elle porte avec elle je ne sais quelle honte, et si elle est nécessaire, c'est seulement à cause de la méchanceté et de la perfidie des autres. Enfin, on hésite avec raison sur celle des deux que l'on doit choisir. J'estime qu'il faut se servir de l'une habituellement, mais qu'il ne faut pas mépriser l'autre. Ainsi dans l'usage ordinaire de la vie, il faut préférer la première, afin de se faire la réputation d'homme sincère; néanmoins il est certains cas où la dissimulation peut être employée, et elle sera utile à ceux qui se feront croire des autres d'autant plus facilement, qu'ils auront fait croire d'abord à leur sincérité et éloigné tout soupçon d'artifice. Je blâme donc celui qui se sert continuellement de ruses et de mensonges. Mais j'excuse celui qui s'en sert quelque

(1) lb. r.rx.

TOM. I.

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