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prestiges, nos enchantements et nos lois contraires à la nature, et s'élève au-dessus de tous comme un maître, lui dont nous avions fait un esclave, c'est alors qu'on verra briller la justice, telle qu'elle est selon l'institution de la nature (1). »

Tel est le résumé que Platon nous donne de la morale et de la politique sophistique dans l'admirable discours de Calliclès. J'avoue qu'il ne faut point juger une doctrine sur le témoignage d'un écrivain ennemi mais il me semble que si Platon a prêté quelque chose à ses adversaires en cette occasion, c'est une grandeur et un souffle poétique dont il n'y a pas trace dans ce qui nous reste d'eux. Si dans le Théétète, Platon attribue à Protagoras plus de métaphysique qu'il n'en a eu vraisemblablement, on peut dire qu'il prête à Calliclès dans le Gorgias plus d'éloquence et de profondeur que n'en a eu aucun sophiste. Mais ce qui résulte évidemment de ce dialogue, c'est que la sophistique était sortie de l'Ecole, qu'elle avait pénétré dans le monde, qu'elle était devenue la philosophie des honnêtes gens de ce temps-là. Les doctrines que Platon met dans la bouche de Calliclès ne s'inventent pas à plaisir : elles sont trop naturelles, trop conformes au cœur humain, trop vraisemblables enfin, pour qu'il soit nécessaire d'y voir l'œuvre de l'imagination et de la passion d'un adversaire.

Quoi qu'il en soit de la vraie valeur de la sophistique, il est un mérite qu'on ne saurait lui contester, c'est d'a

voir suscité un contradicteur admirable qui a été con

(1) Voy. Gorg., p. 79 sqq., p. 97 sqq. Nous citons partout la traduction de M. Cousin.

duit, en la combattant, à donner à la philosophie morale la méthode et l'autorité de la science.

Si la science n'existait qu'à la condition d'avoir une forme didactique et systématique, il ne serait pas exact de dire que Socrate a créé la science de la morale: car jamais ses idées n'ont pris une forme régulière; il les exprima toujours librement, et selon le hasard des circonstances. Enfin il ne paraît pas avoir jamais cherché à les lier entre elles, et à en former un tout. Mais cette forme précise et savante qu'un Aristote ou un Kant aiment à donner aux idées, ne peut pas être le commencement de la science: elle en est le dernier achèvement. Il suffit pour qu'une science existe, qu'elle soit en possession d'une méthode. Or, c'est là ce que Socrate a donné à la morale.

La méthode de Socrate se compose de deux parties distinctes l'examen de soi-même, et la recherche des définitions.

Que Socrate n'ait pas employé ces deux procédés avec une parfaite rigueur, c'est ce qu'il est assez inutile de faire remarquer car la pleine et entière conscience de la méthode scientifique n'appartient qu'aux époques trèsavancées. Mais il a certainement connu, compris et pratiqué lui-même la méthode de l'observation intérieure et la méthode des définitions: c'est ce qui ressort avec évidence des Mémoires mêmes de Xénophon, où le génie scientifique de Socrate est plutôt amoindri qu'exagéré.

Ne le voyons-nous pas d'une part transformer en un principe philosophique cette maxime célèbre du võt GEAUTOV, et déclarer qu'on ne peut être juste et sage qu'en la pratiquant? Et lui-même, dans la plupart de

ses théories morales, ne s'appuie-t-il pas sur la con-
naissance de la nature humaine? Je citerai pour
exemple sa théorie de la tempérance (1). L'opposition
qu'il établit entre la contrainte volontaire que chacun
s'impose à soi-même et la contrainte que l'on subit in-
volontairement, entre la servitude de l'homme livré
aux passions et la liberté de celui qui se commande à
soi-même, ces belles analyses, et d'autres encore, qui
seront plus tard le fond du stoïcisme, ne sont-elles
pas, quoique exprimées d'une façon familière et toute
populaire, de vraies études de psychologie morale?
Il en est de même de la théorie de la justice (2), sur
laquelle nous reviendrons. Lorsqu'il interroge Hippias
sur la nature des lois, et lui demande s'il ne reconnaît
pas l'existence de lois universelles qui commandent à “
tous les hommes, chez tous les peuples, dans tous les
temps, c'est la conscience elle-même qu'il interroge, et
c'est elle qui lui répond. Enfin, lorsque dans sa théo-
rie générale de la vertu, il confond, à tort sans doute,
mais avec assez d'apparence de vérité pour avoir été
trompé, la vertu et la connaissance (3), n'invoque-t-il pas
en sa faveur ce fait psychologique incontestable, c'est
que personne ne recherche volontairement ce qu'il croit
son mal, et ne fuit volontairement ce qu'il croit son
bien? C'est assez pour qu'il soit permis de dire après
toute l'antiquité, que Socrate a tiré sa morale de la
connaissance de soi-même.

La recherche des définitions n'était pour Socrate qu'une conséquence de la connaissance de soi-même. Car se con

(1) Xén. Mẻm. 1. 1, C. 5, 6, 1. I, C. 1, 1. IV, C. 5.

(2) Liv. Iv, c. 5, 4, 6.

(3) Liv. iv, c. 6.

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naître, c'est savoir ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas, c'est par conséquent se rendre compte de ses idées, c'est les distinguer entre elles, en un mot les définir. Aristote attribue à Socrate l'invention des définitions (1), et Xénophon nous dit qu'il exerçait ses disciples à expliquer l'essence de chaque chose (ὅ τι ἂν ἕκαστον ET) (2). Il nous en donne, au reste, un grand nombre d'exemples. L'une des idées auxquelles Socrate appliquait le plus fréquemment cette méthode d'analyse et d'examen, est l'idée du bien. Ses résultats ne sont pas sans doute très-heureux, puisqu'il ne réussit pas à la distinguer de l'idée de l'utile ou de l'avantageux; mais c'est le procédé lui-même qui est remarquable et digne d'intérêt. On le voit d'abord ramener le bien à l'utile, puis l'utile au bien, puis l'un à l'autre, par le moyen d'une idée intermédiaire, l'idée du beau. Socrate applique la même méthode à toutes les idées morales, le courage, la piété, la justice : ces définitions témoignent, il est vrai, de la plus grande inexpérience, mais en même temps d'un grand instinct scientifique.

Il ne faut cependant pas attacher une importance exagérée aux doctrines philosophiques que Socrate a pu tirer d'une méthode encore dans l'enfance, et discuter ses idées comme on ferait celles d'Aristote ou de Platon. Par exemple, lorsqu'il confond la vertu et la connaissance, il est évidemment entraîné par l'analogie des idées de la vertu à la sagesse, de la sagesse à la prudence, et de la prudence à la connaissance. Or, si l'on se souvient que dans son sens primitif le mot copos signifiait à la

(1) Mét. M., 4.

(2) Xén. Mém, m, 8, tv, 8, 6.

fois sage, habile et prudent, on conviendra que la doctrine de Socrate est plutôt une suite de cette première confusion qu'une doctrine véritablement originale. J'en dirai autant de la confusion du bien et de l'avantageux, qui n'a certainement pas dans Socrate le sens qu'elle eut plus tard dans l'épicuréisme. Ce n'est pas encore une théorie précise, c'est une théorie mal démêlée. J'en donnerai pour preuve l'analyse que Socrate fait de la tempérance (1). Il confond perpétuellement les deux points de vue qu'Épicure et Zénon se sont partagés plus tard. Tantôt il la loue à cause de sa beauté, de sa dignité, de la liberté qu'elle nous assure, et dont elle est le témoignage, tantôt à cause des jouissances qu'elle procure et des maux qu'elle nous évite. Ce sont là sans doute deux motifs très-légitimes, mais il faut les séparer et en distinguer le prix. Autre chose est flétrir l'intempérance, parce qu'elle nous rend esclaves des passions, nous éloigne des belles actions, nous force à des actions honteuses, nous ôte la liberté, c'est-à-dire le pouvoir de bien faire; autre chose est la signaler comme l'ennemie des plaisirs mêmes qu'elle promet, et comme un obstacle à des plaisirs d'un ordre supérieur, le plaisir de servir nos amis, notre patrie, notre famille. Dans le premier cas, la tempérance est belle et désirable par elle-même; dans le second, elle n'est qu'un moyen distinction que les stoïciens ont mise plus tard en pleine lumière, et que Socrate n'avait pas aperçue. Jamais il ne s'est élevé scientifiquement jusqu'à l'idée d'un bien qui fût bon par soi-même, indé

(1) Voy. pl. haut, p. 9, n. 1.

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