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mesure à prendre, l'administrateur est ordinairement le plus compétent, quoique même alors le bon sens public ne soit peut-être pas méprisable. Mais rechercher le principe et la nature de l'Etat, en déterminer les conditions éternelles, les formes diverses, les lois de développement, les obligations et les droits, c'est là l'objet de la science et non du gouvernement. Celui-ci est trop occupé à agir, pour avoir le temps de penser. S'il s'avisait d'agiter des problèmes spéculatifs, il négligerait les affaires et les intérêts pour le maniement desquels il existe. Il faut cependant que ces problèmes soient traités et discutés : autrement le mécanisme de l'Etat deviendrait bientôt, semblable à ces outils grossiers, admirable invention de l'enfance des âges, mais qui conservés par la routine, défendus par le préjugé, sont un obstacle à tout progrès. Sans l'examen et la critique, le monde entier se transformerait en une Chine universelle.

Il y a donc une science de l'Etat, non pas de tel ou tel Etat en particulier, mais de l'Etat en général, considéré dans sa nature, dans ses lois, et dans ses princi pales formes. C'est cette science que j'appelle la philo-` sophie politique, et dont j'entreprends l'histoire.

Mais, quoique la philosophie politique soit une science qui ait ses principes propres et ses lois particulières, quoi

qu'elle porte sur un ordre de faits qui ne doit être confondu avec aucun autre, il est utile et même nécessaire de ne point la séparer d'une autre science à laquelle elle est naturellement unie par mille liens divers, je veux dire la philosophie morale. Les publicistes anciens n'ont jamais mis en doute cette alliance de la morale et de la politique; et les plus grands d'entre eux ont été aussi les plus grands moralistes de leur temps: Platon, Aristote, Cicéron. Il n'en a pas toujours été ainsi chez les modernes; la division des sciences a été cause que l'on a vu des moralistes négligeant presque entièrement la politique, et des publicistes étrangers à la science de la morale: cette séparation même n'a pas été sans inconvénient. Néanmoins, ces deux études n'ont jamais cessé d'influer l'une sur l'autre, et elles ont une histoire commune.

Nous voudrions, dans cette Introduction, exposer les relations de ces deux sciences, et montrer par où elles se séparent et par où elles s'unissent. C'est là un sujet très-vaste et dont nous ne pourrons qu'indiquer les points principaux. Ce sera en même temps faire connaître l'esprit de ce livre, et en recueillir la pensée principale, un peu dispersée au milieu des études si variées et si complexes qui vont suivre.

Nous rencontrons sur cette question deux doc

trines opposées celle qui sépare entièrement la politique de la morale, et celle qui absorbe l'une dans l'autre. La première est celle de Machiavel, la seconde est celle de Platon. J'appelle machiavélisme toute doctrine qui sacrifie la morale à la politique, et platonisme toute doctrine qui sacrifie la politique à la morale. Examinons l'une et l'autre.

«Eh quoi! disent ou pensent les partisans avoués ou secrets de Machiavel, prétendez-vous enchaîner aux règles étroites de la morale domestique et privée, les Etats, les princes et les peuples? Les devoirs d'un chef d'Etat ne sont pas les mêmes que ceux d'un chef de famille; s'il voulait rester fidèle en tout aux scrupules d'une morale étroite, il se perdrait lui-même et son peuple avec lui. On comprend bien que les individus soient gênés et retenus par certains devoirs: sans quoi la société périrait. Mais la société elle-même n'a d'autre devoir que de se conserver; et c'est elle seule qui est juge des moyens qu'elle emploie à cet usage. Ce qui est vrai de la société en général, l'est de toutes les sociétés particulières, c'est-à-dire des diverses républiques dont le monde est composé. Ce qui est vrai de la république ou de l'Etat, l'est aussi du prince qui le gouverne et le représente. Sans doute, comme homme privé, le prince est assujetti aux mêmes devoirs que les autres

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hommes; mais, comme homme public, il ne relève que de lui-même. Ce qui est vertu dans l'homme privé peut être vice chez l'homme d'Etat, et réciproquement.

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Supposez un instant pour vraie cette chimère platonicienne d'une république ou d'un prince parfaite

ment vertueux, vous tombez dans l'impossible et l'impraticable. Sans doute il serait à désirer que les hommes fussent toujours bons; mais, comme en fait ils ne le sont pas, celui qui veut être bon au milieu des méchants est sûr d'être leur victime: si vous ne trompez pas, vous serez trompé : si vous n'employez pas la violence à propos, vous tomberez sous la violence. Voyez les grands politiques de tous les temps: Alexandre se faisant passer pour Dieu; Romulus tuant son frère; César passant le Rubicon; Auguste feignant d'abdiquer l'empire pour le posséder plus sûrement ; et chez les modernes, Philippe le Bel, Ferdinand le Catholique, Louis XI, les Borgia, les Médicis, et jusqu'au généreux Henri IV, qui acheta Paris pour une messe, en voyezvous un seul qui ait négligé pour réussir d'employer tous les moyens, tantôt l'astuce, tantôt le crime? Voilà la politique des princes: mais les républiques sont-elles plus innocentes? Est-il dans l'histoire un prince d'une plus insigne mauvaise foi que l'ont été les Romains? un tyran plus soupçonneux, plus cruel, plus terrible que

la république de Venise? un conquérant moins scrupuleux dans les moyens, plus barbare dans sa domination que le peuple anglais, le plus libre des peuples modernes ? Si vous lisez l'histoire au point de vue de la morale vulgaire, tout vous révoltera et vous ne comprendrez rien à ces grandes révolutions. Mais, pour l'homme éclairé, tout s'explique, tout se justifie, grâce à un principe supérieur, qui est, en quelque sorte, le mystère de la politique, à savoir le principe de la raison d'Etat. >>

Ainsi parlent les écoliers du machiavélisme, très fiers de paraître, selon l'expression d'un d'entre eux, « déniaisés en politique. » Mais, quoique l'expérience semble leur donner raison, la science et la conscience se refusent à leur accorder leur suffrage. Il n'est pas probable que les intérêts les plus graves des individus et des peuples soient couverts de voile et de mystère. La raison d'Etat doit céder la place à la raison publique, qui elle-même ne peut pas être en contradiction avec la conscience publique. A mesure que l'esprit humain s'éclaire, et que l'opinion pénètre dans ces arcanes de la politique, comme on les appelait autrefois (arcana imperii), beaucoup de choses deviennent impossibles, d'autres plus difficiles, et, sans qu'on puisse entrevoir encore le moment où s'opérera la réconciliation com

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