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constances que l'homme d'Etat est chargé d'apprécier; que, d'ailleurs, toutes les formes politiques peuvent avoir leur utilité, et que pas une, même les moins parfaites, ne doit être rejetée, si elle est plus capable qu'une autre d'assurer une certaine forme de justice dans un Etat. En conséquence, je suis plein d'admiration pour la Politique d'Aristote et pour l'Esprit des lois, qui nous font si bien connaître et comprendre les faits innombrables et divers de l'ordre politique selon les temps, les lieux et les nations. En un mot, je fais la part aussi grande que l'on voudra à la politique empirique. Mais je maintiens qu'il y a quelque chose de juste en soi; que ce n'est ni une chimère, ni un crime de le chercher, soit dans la science, soit dans l'Etat; que l'Etat n'est pas un simple mécanisme, composé de certain ressorts, pour produire certains effets; qu'il se compose de personnes morales avec lesquelles on ne peut pas jouer capricieusement, comme avec les touches d'un instrument, qu'il est lui-même une personne morale, ayant une fin morale, des devoirs et des droits, et que s'il lui est permis d'atteindre cette destinée de diverses manieres, il ne lui est pas permis de l'ignorer entièrement J'ajouterai que les efforts qu'ont faits les peuples modernes pour améliorer leur état et pour intro

duire une plus grande justice dans leurs lois, me paraissent plutôt dignes d'exciter l'admiration et l'enthousiasme que l'horreur et l'aversion, quoique je n'aie d'ailleurs aucune complaisance pour les excès qui ont pu accompagner de telles entreprises. Quant au désordre qu'on prétend être le résultat de cette noble ambition, je n'en suis pas trop frappé: car je ne vois pas que la société du moyen âge fût plus exempte de violences, de guerres civiles, de sédition, en un mot de désordre que les sociétés modernes. J'irais jusque à dire, que la société me paraît plus solidement constituée qu'elle ne l'a jamais été, que les intérêts et les droits les plus nécessaires n'ont jamais été mieux garantis. Enfin, quant à l'argument tiré des publicistes, je m'ențiens aux exemples mêmes que l'on m'oppose. Aristote est un politique entièrement empirique : cela est vrai. Aussi a-t-il justifié l'esclavage. Comme l'esclavage était un fait universel de son temps, il n'a pas eu la moindre pensée que ce fait pût être contraire au droit et à la justice, et il a cherché à en donner la raison. Mais s'il suffit qu'un fait soit un fait pour être légitime, je demande pourquoi nous avons horreur des anthropophages. Car se nourrir de chair hu maine est aussi un fait ; et même les cannibales donnent de ce fait une raison qui n'est pas méprisable: c'est que cette chair est très-bonne. Quant à Montesquieu, j'ac

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corderai que son génie est surtout l'observation, et l'intelligence des faits; mais il faudrait l'avoir bien mallu et bien mal compris, pour croire que cet adversaire éloquent et ému de l'esclavage, de la torture, de l'intolérance, de la barbarie dans les peines, du despotisme, cet ami passionné de la liberté politique, n'a pas eu un idéal dans la raison et dans le cœur.

Au fond de toute politique vraie et élevée, il y a donc une idée morale. Mais quelle est cette idée? Et comment distinguerons-nous la politique vraie de la politique fausse ?

On distingue deux grandes doctrines en politique : la politique absolutiste, et la politique libérale. J'appelle politique absolutiste, celle qui ne reconnaît à l'individu d'autres droits que ceux que le pouvoir civil lui confère et lui constitue par sa volonté. Le principe de cette politique est cet axiome juridique : Quidquid principi placuit, legis habet vigorem: c'est le principe du bon plaisir. Quel que soit d'ailleurs le prince (roi, nobles ou plèbe), dès que sa volonté seule fait la loi, confère le droit, établit le juste ou l'injuste, l'Etat est despotique. Le despotisme peut être dans les lois ou dans les actes s'il est dans les actes, c'est le pouvoir arbitraire; s'il n'est que dans les lois, c'est purement et simplement le pouvoir absolu.

J'appelle politique libérale, celle qui reconnaît à l'individu des droits naturels, indépendants en soi du pouvoir de l'Etat, et que celui-ci protége et garantit, mais qu'il ne fonde pas, et qu'il peut encore moins mutiler et supprimer.

C'est une erreur commune à presque tous les publicistes, anciens et modernes, d'attribuer à l'Etat un pouvoir absolu. La seule différence est que les uns soutiennent le pouvoir absolu d'un monarque; les autres, le pouvoir absolu du peuple. Mais, selon la juste observation de Montesquieu, il ne faut pas confondre la liberté du • peuple avec le pouvoir du peuple: et Hobbes dit aussi avec raison, que, dans tel gouvernement, la république est libre, et le citoyen ne l'est pas. Il ne sert donc de rien d'établir la supériorité de telle forme de l'Etat sur telle autre, si l'on ne commence par garantir contre le despotisme de l'Etat, sous quelque forme qu'il s'exerce,' la liberté naturelle des individus d'où il ne faut pas conclure, cependant, que les formes politiques soient indifférentes, et que les gouvernements sans garantie valent autant que les gouvernements libres, pourvu qu'ils n'attentent pas aux droits des sujets; car, en fait, tout gouvernement irresponsable entreprend toujours plus ou moins sur les droits naturels des citoyens; et, en second lieu, on peut se demander si ce n'est pas un droit

TOM. I.

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naturel du peuple de se gouverner soi-même. Mais, ce qu'il faut établir fermement, et sans fléchir, c'est, qu'avant toute forme politique, et toute garantie de l'Etat, il y a une liberté primitive, inhérente à la nature de l'homme, un droit que la loi n'a pas fait, une justice qui ne dérive pas de la volonté des hommes. Sit pro ratione voluntas, voilà la vraie formule du despotisme.

Si la première condition de toute politique libérale est de reconnaître certains droits contre lesquels l'Etat ne peut rien sans injustice et sans despotisme, j'ose dire

qu'il n'y a pas d'acte plus grand dans l'histoire que la solennelle déclaration des droits par laquelle l'Assemblée constituante a inauguré la Révolution. On a contesté l'utilité politique et l'opportunité de cet acte célèbre, et l'on a pu donner dans ce sens d'assez bonnes raisons. Mais si la valeur politique de cet acte est sujette à contestation, sa valeur morale est considérable. Il y a eu un jour dans l'histoire, où la raison humaine, s'affranchissant de toutes les conventions politiques et de toutes les servitudes traditionnelles, a déclaré que l'homme avait une valeur propre et inaliénable, qu'on ne pouvait toucher ni à sa personne, ni à ses biens, ni à sa conscience, ni à sa pensée; elle a déclaré l'homme sacré pour l'homme, selon la grande expression de Sénèque, homo res sacra homini. Ce jour ne s'oubliera

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