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qui lui plaît, et qui est content de faire une chose. Un peuple libre est donc un peuple qui est heureux comme il est, fût-il privé de tout ce que nous considérons comme essentiel à la liberté. Comme il y a mille manières d'entendre le bonheur, il y en a mille d'entendre la liberté. Chacun prend son plaisir où il le trouve, et je serais. très-esclave, si vous vouliez me rendre libre à votre manière et non pas à la mienne. Mais, à ce compte, un esclave très-content de son sort serait un homme libre. Une femme, en Orient, est peut-être beaucoup plus heureuse et contente dans un sérail, que s'il lui fallait gagner sa vie du travail de ses mains. Devonsnous dire qu'elle est libre? J'avoue qu'il faut tenir compte de l'opinion des hommes, quand on veut les rendre libres, et je ne sais si on rendrait service aux Chinois et aux Turcs en leur accordant toutes les libertés européennes : mais là n'est pas la question. Il s'agit de savoir si le plaisir de son état suffit à constituer la liberté, si un chien, content et fier de porter la chaîne, est par là même un chien libre. Quant à décider s'il serait juste, par respect pour la liberté du chien, de lui ôter sa chaîne et de l'envoyer mourir de faim dans les bois, c'est une tout autre question.

Il y a donc des libertés naturelles indépendantes de la loi civile, mais qui reconnues et garanties par cette loi,

deviennent les libertés civiles; et la politique libérale est celle qui maintient contre toute atteinte ces libertés essentielles; or, cette politique est la vraie; car seule, elle a égard à la dignité de l'homme, qui est le vrai principe de son bonheur.

Mais il est facile de voir que cette politique ne peut pas se séparer de la morale. Car c'est la morale qui nous apprend que l'homme n'est pas une créature sensible, née pour jouir et pour satisfaire ses penchants, mais une créature raisonnable, née pour accomplir librement une destinée morale; que cette destinée lui est imposée par une loi qui commande impérieusement sans contraindre nécessairement, et qui s'appelle le devoir; que c'est le sentiment d'être soumis à une loi si haute qui rend l'homme respectable à ses propres yeux, et le sentiment d'y avoir failli qui le remplit de mépris pour lui-même ; que cette loi en s'imposant à son libre arbitre, est précisément ce qui fait de lui une personne, tandis que ce qui n'obéit qu'aux lois fatales et aveugles de la nature, est une chose; qu'en tant que personne morale, il est ou doit être, pour tout homme, un objet de respect; que nul, par conséquent, ne peut se servir de lui comme d'un moyen, c'est-à-dire comme d'une chose pour satisfaire ses penchants; que c'est enfin dans cette personnalité inaliénable qu'est le fondement du droit.

Si, comme le dit Bossuet, il n'y a pas de droit contre le droit, s'il y a une éternelle justice antérieure à l'Etat, quel que soit le principe que l'on admette à l'origine de la société politique, quel que soit le souverain auquel on décerne le droit de disposer des hommes, il faut reconnaître d'abord une première souveraineté, infaillible, inviolable, de droit divin: c'est ce que M. Royer-Collard appelait la souveraineté de la raison. Cette souveraineté s'impose aux républiques comme aux monarchies, aux princes, aux nobles, aux bourgeois, aux plébéiens; elle domine tous les systèmes politiques; elle est la loi que Pindare appelait « la reine des mortels et des immortels. »

Mais si la politique libérale admet comme premier principe la souveraineté de la justice et la raison, si elle ne place pas tout d'abord la liberté et le droit dans une forme politique particulière, est-ce à dire toutefois qu'elle soit indifférente entre les formes de gouvernement, et que satisfaite d'avoir sauvé spéculativement les droits naturels de l'homme, elle les livre sans garantie à la volonté sans limites et sans frein des pouvoirs humains? Non sans doute. Une politique aussi hardie dans ses principes, aussi complaisante dans ses applications, se montrerait en cela bien peu clairvoyante et bien peu courageuse. Sans doute l'expérience nous apprend que les

formes de gouvernement doivent être surtout jugées dans leur rapport avec le caractère, les mœurs, les traditions, la civilisation du peuple pour lequel elles sont faites. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a, poar la politique comme pour la morale, un optimum, dont les peuples on: le droit et le devoir de s'approcher, lorsqu'ils le peuvent et qu'ils en sont dignes : ce meilleur, c'est le gouvernement d'un peuple par lui-même, ou, pour parler plus exactement, l'intervention d'un peuple dans son gouvernement; en un mot, la liberté politique, sauvegarde de toutes les libertés. La liberté politique vaut, sans doute, comme le moyen le plus sûr et le plus solide de défendre le droit et les personnes ; mais elle vaut surtout par elle-même: elle donne un noble exercice aux facultés de l'esprit et aux facultés de l'àme; elle fortifie les caractères, développe l'esprit d'initiative, le sentiment de la responsabilité; elle est dans un peuple ce qu'est le libre arbitre dans l'individu un peuple libre est une personne arrivée à l'âge de raison. Quelques personnes, ne voyant dans la liberté politique qu'un moyen, contestent qu'elle soit un bon moyen d'assurer le bonheur des peuples, et trouvent que le pouvoir absolu est meilleur pour produire ce résultat. Ils ne voient pas que la liberté politique est un bien en soi-même et qu'à ce titre elle fait partie du bonheur d'un peuple, pour ceux-là du moins qui font

:

consister le bonheur, non dans de stériles jouissances, mais dans l'exercice de l'activité morale, et dans le sentiment de la force. Quant à son influence sur le bonheur matériel, l'expérience et l'histoire nous apprennent que ✓ les États les plus libres ont toujours été les plus riches

et les plus puissants; mais c'est surtout par supériorité morale que la liberté politique l'emporte sur le pouvoir absolu.

Si nous revenons à notre point de départ, nous dirons que le lien entre la politique et la morale est l'idée du droit. L'objet de la politique n'est pas de contraindre à la vertu, mais de protéger le droit. Sans doute, l'Etat repose sur la vertu, comme nous l'avons dit, mais la vertu n'est pas son objet. C'est aux citoyens à être vertueux : c'est à l'Etat à être juste. Pour que la justice existe dans l'Etat, il faut que l'individu jouisse de toutes les libertés auxquelles il a droit: c'est là le devoir de l'Etat; mais pour que l'usage de ces libertés ne soit pas nuisible, il faut que l'individu sache en user pour les autres et pour l'Etat c'est là le devoir strict du citoyen. On voit comment le droit et la vertu s'allient pour produire l'ordre et la paix, comment la politique et la morale se distinguent sans se combattre, et s'unissent sans se mêler.

On trouvera peut-être que c'est trop restreindre l'ac

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