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forces proportionnées à ma bonne volonté ! Croyezmoy, je vous en supplie, quand je vous dis que je suis extresmement esloigné de me faire un jeu d'esprit de ces importantes matières. Vous m'exhortez de ne songer à rien, un mois durant, qu'à l'examen de ma religion. Mais qu'est-ce qu'un mois, Madame, au prix de tant d'années que j'y ay employées depuis l'aage de vingt-deux ans? Car ce fut alors que j'entray au service d'un électeur de Mayence, et qu'un monsieur de Walenburch, évesque titulaire et suffragant de Mayence, si fameux par ses escrits, un monsieur de Boinebourg, principal ministre de ce prince, qui estoit un des premiers hommes de son temps, tous deux nouveaux catholiques et autres, prirent la peine de me vouloir faire suivre leur exemple, sans parler de feu monseigneur le duc Jean-Frédéric, qui fut mon maistre par après, et qui avoit tant de zèle et de lumières. Si l'intérest ou l'ambition avoient esté mes idoles, jugez si un jeune homme auroit résisté à de si puissans attraicts, qui estoient contrebalancés par ma conscience toute seule. Je ne négligeois pas de m'esclaircir; au contraire, mon application aux controverses a surpassé de beaucoup ce que ma profession pouvoit exiger. J'ay reconnu de bonne foy les avantages de vostre party, mais j'ay reconnu aussi qu'ils sont effacés par des raisons certaines bien plus fortes. Quant aux changemens intéressés, je crois que, si on en peut moins compter parmy ceux qui sont nés chez vous que parmy ceux qui sont nés protestans, comme vous faites remarquer, ce n'est pas parce que vos gens soyent plus instruicts, mais plustost parce qu'ils sont moins instruicts et

ne veulent rien entendre, et parce qu'ils sont moins tentés chez nous. Où trouverez-vous des gens plus ignorans sur la religion qu'en certains pays de vostre party? Ces gens sont les plus attachés à leur opinion et les plus esloignés d'entendre quoy qu'on leur puisse dire, malgré que leur attachement vient de prévention. Mais mettez-les à des épreuves un peu fortes, comptez les renégats d'Alger, et vous verrez ce que c'est que leur constance.

Je suis bien esloigné de l'indifférence des religions dont vous m'accusez, Madame. Si j'estois logé là, je me serois faict des vostres dans des temps où je le pouvois faire avec bien de l'avantage. Mais j'ay creu qu'il est très dangereux pour le salut d'estre de vostre party, tant qu'il ne se corrige point, et qu'il est encore plus dangereux d'y entrer de nouveau, tant qu'il est dans cet estat. Vous dites que la vérité ne se partage point. Nous nous trompons (dites-vous, Madame), ou vous vous trompez. Ce que vous dites est vray lorsqu'il s'agit d'une certaine vérité ou question précise; mais, lorsqu'on parle en général, il se peut que l'un se trompe dans l'un, et l'autre dans l'autre. Ne voyons-nous pas, dans les questions qui s'agitent dans vostre party, par exemple sur l'infaillibilité du pape, que la vérité se partage; et que; selon le clergé de France, Rome se trompe en s'esloignant d'eux, et ne se trompe pas en s'esloignant de nous ? Et Rome fait le mesme jugement de vous autres. La question n'est pas si l'on ne se trompe jamais, mais la question est si l'erreur est damnable et accompagnée d'opiniastreté. Je puis dire que ce n'est pas mon caractère de ne vouloir jamais avoir

tort; j'ay pris plaisir de me rétracter publiquement quand j'ay obtenu de plus grandes lumières. Et pour ce qui est de l'esprit philosophe dont vostre amy vous a diet qu'on doit se défaire, c'est comme si quelqu'un disoit qu'on doit se défaire de l'amour de la vérité car la philosophie ne veut dire que cela. Il a peut-estre entendu une philosophie de secte, mais je suis très éloigné de cette manière de philosopher; car c'est proprement estre dans une secte, quand on donne trop à l'authorité des hommes et à la cabale d'un certain party.

Enfin souffrez, Madame, qu'à mon tour je vous prie, pour l'amour de Dieu, de considérer vousmesmes, vous et vos amis, si vous n'estes pas dans un estat très dangereux. Vous avez de grandes lumières, bien au delà de vostre sexe; je vous ay veue désapprouver les superstitions d'une manière très judicieuse. Mais cela ne suffit pas pour mettre la conscience en repos : il faut travailler avec zèle à corriger ceux qu'on trouve dans l'erreur, et, quand l'espérance de le faire est perdue, il faut rompre hautement avec ceux qui défigurent l'Église de Dieu; autrement on prend part à leur damnation, en fermant les yeux sur ces abus publics. Combien de gens n'y a-t-il pas, dans vos églises et dans vos monastères, qui tournent tout leur amour vers la saincte Vierge ou quelqu'autre sainct, sans en avoir pour Dieu, qu'ils devroient pourtant aimer sur toutes choses? N'est-il pas surprenant que l'esprit soit plus occupé de l'honneur d'une créature que de Dieu mesme? Le rosaire et les prières publiques et les chansons le marquent assez. Ne faudroit-il pas met

tre une différence presque infinie entre le Créateur et la créature, dans les expressions de nostre affection, et de l'honneur qu'on rend à l'un et à l'autre, surtout dans le culte public; de sorte que les créatures n'y devroient presque point paroistre qu'indirectement et comme en passant? Et cependant on fait tout le contraire. De plus, on publie et on croit des miracles ridicules, et, quelque habiles que soyent les jésuites de France, ils ne se peuvent défaire encore de l'entestement ordinaire des religieux pour les contes témoin la vie du père Lallemant, qu'on vient de publier dans le Journal des Sçavans, et où l'on rapporte de plaisantes choses, qu'une personne de jugement parmy vous aura honte de raconter devant des protestans. Cependant, quand quelque personne éclairée et zélée de vostre Église ose s'élever contre ces fables, on est seur de voir bientost son livre flétri de quelque censure dans l'Index, pour ne rien dire des mortifications où l'auteur est exposé luy-mesme, surtout s'il est religieux de quelque ordre. Tout va à soustenir la bagatelle et à estouffer les lumières qui sont encore restées parmy vous; que seroit-ce s'il n'y avoit plus de protestans, dont l'appréhension oblige encore un peu vos gens d'aller bride en main! Aussi voit-on une différence immense entre les pays qui sont my-partis ou qui l'ont esté depuis peu, et entre ceux qui sont purement romains depuis longtemps. Enfin la dévotion du peuple de vostre Église est presque toute sensuelle; l'esprit et la vérité y sont comme comprimés. J'ay remarqué souvent, quand on parle chez vous du bon Dieu, que le vulgaire entend et adore un petit morceau blanc et rond

qu'un prestre porte; on y attache la plus grande dévotion. Jugez, Madame, jugez, je vous en conjure, si ces idées contiennent la souveraine substance, qui est seule adorable et qui veut toute nostre âme, et si ce n'est pas la déshonorer terriblement que d'en penser ou parler d'une manière si indigne! Aussi ces étranges abus pratiqués parmy les chrestiens ont beaucoup contribué à donner de l'horreur aux mahométans pour le christianisme. Mais je vay trop loin et je ne finirois jamais si je voulois m'estendre sur ce suject: il n'y a que trop de matière. Le cœur doit saigner aux personnes zélées pour l'honneur de Dieu, quand elles y pensent. Je vous crois estre de ce nombre, Madame; aussi je vous conjure encore une fois de donner gloire à Dieu plustost qu'aux hommes, et de penser et faire penser fortement aux remèdes de ces grands et déplorables maux, au prix desquels toutes les erreurs ensemble que vous vous figurez dans les protestans ne sont rien, quand vous les leur attribueriez avec justice.

XX

MADAME DE BRINON A LEIBNIZ.

Extrait d'après l'original autographe inédit de la bibliothèque royale de Hanovre.

Ce 23 mars 1695.

Elle a reçu sa lettre. Elle se résout à l'abandonner aux lumières qu'il pourra tirer de la réponse de M. l'évêque de Meaux, qu'elle souhaiterait qu'il envoyât. «Mais c'est un pasteur si occupé de son troupeau qu'il trouve tou jours sur son chemin quelques nécessaires interruptions. » — Ce n'est pas à une solitaire et simple religieuse comme elle à se mêler d'une si grande affaire. « Le reste de ce que vous me proposez de faire me tireroit de ma place et de mon devoir. »

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