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XXI

LEIBNIZ A MADAME DE BRINON.

Original autographe inedit de la bibliothèque royale de Hanovre.

A Hanover, ce t8 avril 1695.

Madame,

Je ne doute point que M. l'évesque de Meaux ne nous donne véritablement les lumières dont vous parlez, surtout pour l'intelligence des sentimens de son Église, et qu'il ne nous fasse voir plus de jour sur les moyens de lever le schisme. Ce n'est pas que je croye que nostre temps mérite le bonheur de voir la playe de l'Église tout à faict guérie; mais il est tousjours de nostre devoir de ne rien négliger qui puisse servir d'acheminement. Dieu ne nous demande qu'une volonté sincère et empressée de bien faire, autant qu'il nous est possible de connoistre et d'exécuter. C'est par cette marque que chacun peut sçavoir s'il est en bon estat et s'il agit par les principes de la véritable charité. Vous en avez donné de grandes preuves, Madame; vous avez voulu essayer avec nous une voye qui seroit la plus courte, s'il y avoit moyen d'y trouver une issue: c'estoit la voye des exhortations, parce que vous croyiez que nous estions à demy convaincus, et c'est la prévention ordinaire de ceux qui ne sont pas informés de l'estat de l'autre party. J'ay veu que M. de Meaux luy-mesme, tout sçavant et tout instruict qu'il est, s'estoit faict de nos ecclésiastiques protestans une idée différente de ce

que l'expérience nous fait connoistre, comme s'ils avoient trop de penchans pour l'indifférence des religions au lieu que le plus grand nombre, tant en général que parmy ceux qui sont le plus en considération, penche plustost vers la rigueur, à peu près comme chez vous; et ce sera toujours le party domi

nant.

Ainsi, Madame, je ne m'estonne point que vous ayez creu qu'il suffisoit de nous rappeler à ce que vous appelez l'Église. Mais si vous sçaviez combien les nostres parlent de l'antechrist et de Babel, vous nous sçauriez quelque gré, à M. l'abbé de Loccum et à moy, que nous nous contentions de parler simplement de l'Église romaine sans la confondre ny avec Babylone ny avec l'Église catholique. Nous luy donnons son nom propre, sans nous servir de ceux qui sont contestés et que la prévention y adjouste.

Nous avons considéré avec soin les preuves que Rome apporte pour se donner les droicts de l'Église universelle, et nous avons reconnu clairement combien elles sont sans force, et que lorsqu'une Église particulière, quelque grande et authorisée qu'elle puisse estre, rompt l'union avec d'autres qui s'élèvent contre des abus, au lieu de profiter de leurs remonstrances, c'est elle qui fait le schisme et qui blesse la charité, dans laquelle consiste l'âme de l'unité. Cette vérité est très claire, et vous avouerez vous-mesme, Madame, que si Rome eust voulu practiquer dernièrement une méthode pareille contre la France, et fust passée à l'excommunication de ceux de vostre clergé, on n'y auroit eu aucun esgard chez vous; et quand mesme le pape auroit assemblé et faict prononcer un concile

des autres nations de son party, on n'auroit eu garde en France de reconnoistre ce concile pour œcuménique. Et comme les Églises d'Allemagne, d'Angleterre, de Suède et de Danemark ont autant de droict que les Églises de France, et que c'est justement le cas dont il s'agit, il est visible qu'il ne sert de rien de leur opposer ces grands noms de l'Église et des conciles universels.

peu

Tout cela est sans réplique, et je ne sçaurois m'empescher de vous conjurer, Madame, d'y donner un d'attention; car, quand vous nous abandonneriez, nous ne nous abandonnerons point. Nostre charité est moins intéressée à la gloire d'une conversion on ne demande pas des abjurations et de vous faire quitter ces sentimens contraires à la charité, et, par conséquent, dangereux mesme pour le salut, qu'on est accoustumé d'avoir de ceux qu'on damne si aisément chez vous et mesme chez nous. C'est dans ces condamnations téméraires que consiste véritablement l'esprit de secte et la source d'une grande partie des maux du christianisme. On ne sçauroit avoir le véritable amour de Dieu quand on n'aime point son prochain; et ce n'est pas l'aimer que de se précipiter à juger qu'il est en passe d'aller bientost dans l'enfer avec le diable, et y demeurer éternellement en nemy et blasphémateur de Dieu. Quand on envisage de près ces idées affreuses, on en conçoit toute l'horreur, et on ne connoist que trop les effects qu'elles ont faicts pour acharner les uns contre les autres. De croire que nous aurons ce sort malheureux, parce que nous ne voulons et ne pouvons renoncer aux remonstrances justes que Rome n'a point voulu écou

ter, et pour lesquelles elle a passé aux excommunications, cela ne sçauroit tomber dans l'esprit d'une personne de bon sens qui veut penser avec tant soit peu d'attention.

Après cela, Madame, j'espère quasi que vous reconnoistrez nostre innocence; car on ne sçauroit nier que nous faisons plusieurs remonstrances justes et nécessaires, qui méritent qu'on y ait esgard, et que ce seroit trahir nostre devoir que d'y renoncer. Tout ce que des personnes bien intentionnées peuvent faire, de vostre costé aussi bien que du nostre, se réduit à deux poincts. Le premier est qu'il faut examiner le cahier des remonstrances, de part et d'autre, avec un esprit d'équité; et c'est à quoy M. de Meaux a si bien travaillé, comme M. l'abbé de Loccum n'y a pas non plus espargné sa peine. L'autre poinct est de déterminer ce qui se peut faire sur certaines matières où il est aisé de prévoir qu'on ne sçauroit tomber d'accord ni se relascher de part et d'autre s'il n'arrive des changemens fort extraordinaires, soit par une direction fort extraordinaire du ciel (sur laquelle on ne sçauroit compter dans les affaires sans tenter Dieu), ou par des dragonnades, parce qu'il s'agit de certains sentimens establis par les livres symboliques de l'un ou de l'autre costé, où il y a une opposition formelle; de sorte que, si l'on n'y pourvoit, tout s'aheurtera à cet écueil, et le succès des bons desseins qu'on peut avoir deviendra impossible.

Cependant, comme, par un effect de la bonté de Dieu pour son Église, ces controverses insurmontables qui restent encore ne sont que sur des poincts où la modération se peut exercer sans préjudice: des

personnes considérables et authorisées dans vostre party ont proposé un expédient approuvé des théologiens de ce pays cy, qui paroist unique, en effect, et qui consiste à déclarer que la paix de l'Église pourroit estre restablie, nonobstant ces dissensions, pourveu qu'on se soumist de part et d'autre à ce qui pourroit estre réglé dans un concile œcuménique assemblé dans les formes, selon les mesures convenables qui seront prises par avance. Et nous attendons là dessus le sentiment de M. de Meaux.

C'est à vous, Madame, qu'on est redevable de la dernière négotiation que nous avons eue avec cet insigne prélat. Car ce fut par vostre entremise que j'entray en commerce avec feu M. Pellisson, et la mention que j'avois faicte en passant, dans une de mes lettres, d'une conférence fort édifiante qui s'estoit faicte à Hanover sur les principes qne je viens de dire, donna envie à M. de Meaux d'en apprendre des particularités. On a eu cette déférence pour luy de satisfaire à son désir, dans la confiance que les lumières distinguées dont Dieu l'a doué, joinctes à la modération qu'il avoit faict paroistre, contribueroient beaucoup à un si grand bien. Il est vray que l'escrit qu'il nous envoya là dessus, tout excellent qu'il estoit à l'esgard du premier poinct, qui est la conciliation raisonnable de plusieurs controverses, ne respondit pas encore assez à nostre attente sur le second à l'esgard de l'expédient proposé sur des sentimens irréconciliables; mais c'est sur quoy nous espérons de sçavoir bientost le sien. Et c'est là le noeud de l'affaire. Car, quand il resteroit une seule question contestée, on ne sçauroit avancer sans cet expédient; et quand il

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