indépendans, fe développèrent fous diverfes formes. On s'étoit accoutumé à être fenti, à être remarqué, & l'on chercha dans la fociété les encouragemens & les récompenses que l'on ne trouvoit plus à la Cour. Ce fut donc à la ville que l'opinion publique vint établir fon empire ; & bientôt elle y difpenfa des prix & des couronnes, que l'on mit en parallèle avec les honneurs dont les Rois avoient la diftribution. Le Régent, Louis XV & fon petit-fils, chacun à la manière de leur efprit & de leur caractère, furent fouvent embarraffés de cette autorité toujours croiffante, & ce ne fut pas fans répugnance qu'ils fe virent, eux & leurs Miniftres, dans une forte de néceffité de tranfiger avec elle. On l'eût volontiers laiffée la maîtreffe de décider en fouveraine du goût & de l'efprit, de l'éloquence & des talens agréables; mais depuis longtems l'opinion publique avoit franchi cette ligne ; & quand l'état des affaires

attira les regards, elle ne craignit point de fe prononcer avec hardieffe, & contre le Gouvernement & contre fes mesures. Les livres férieux fe multiplièrent, & les Auteurs, avertis par l'efprit du tems, se livrèrent à des difcuffions fur les droits du Peuple ou fur les devoirs de l'Administration. Et tandis que, fous Louis XIV, l'illustre Fénélon avoit expié dans l'exil quelques leçons allégoriques, toujours adoucies par la dextérité du courtisan & par le charme d'une langue harmonieuse & poétique, on vit de nos jours une foule d'Ecrivains approfondir, fans danger & fouvent dans un ftyle barbare, les plus importantes questions de l'économie politique, & cenfurer encore, avec fécurité, les fautes des Miniftres & les erreurs ou l'infouciance de l'Autorité Suprême. Ils furent lus cependant, & ils eurent, dans tous les rangs, des adeptes & des fecta

teurs.

On vit de plus, & c'étoit une bizarrerie

fingulière, on vit les mêmes perfonnes, qui profitoient à la Cour des faveurs du Prince, revenir dans la fociété prendre leur part des louanges qu'on accordoit aux fentimens d'indépendance & au courage de la liberté. On célébroit les Américains, on raisonnoit fur la Conftitution d'Angleterre ; & comme le Tréfor Royal à la fin dépouillé n'attiroit plus à lui le même nombre de pourfuivans, on croyoit qu'il étoit tems de jouer un rôle dans la politique, & pour s'y préparer, chacun parloit du Peuple & de fon infortune.

Beau langage, fans doute, mais difficile, à concilier avec un luxe fans bornes & avec toutes les vanités qui lui fervoient d'accompagnement. Ah! combien les mœurs étoient encore en contraste avec les principes dont on commençoit à faire parade, avec les droits politiques que l'on cherchoit à rétablir. Tous les liens étoient. relâchés, toutes les Autorités étoient importunes, & le joug même de la décence

paroiffoit affoibli. Les jeunes gens étoient devenus dominans ; & jetés dans le mon

de avant d'avoir eu le tems d'éclairer leur jugement, ils croyoient pouvoir fe ranger parmi les penfeurs fans autre contingent qu'un petit nombre d'idées générales, de ces idées qui mènent à tout & qui ne fuffifent à rien.

Cependant il étoit manifefte que chacun afpiroit à se composer une réputation d'esprit ou de caractère. On vouloit faire quelque chofe de foi, on le vouloit par vanité, on le vouloit par inquiétude, on le vouloit par ennui, & l'on envioit aux derniers courtifans de Louis XV l'honneur de s'être marqués dans l'oppofition.

La jeuneffe des Parlemens s'uniffant à l'efprit du tems, eut auffi le défir de paroître & de faire effet; & fe laffant toutà-coup de vivre obscurément au milieu des procès & des querelles particulières, elle chercha le bruit & la renommée; & pour fortir avec éclat de fon enceinte,

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elle donna le fignal d'un grand facrifice perfonnel, en dénigrant elle-même, en attaquant la première, les prétentions politiques & les plus anciennes prérogatives des Cours Souveraines.

On marchoit ainfi de plufieurs points différens vers un but encore vague & mal défini; mais tous les mouvemens fe rapportoient à un mécontentement de la fituation présente, à un goût général d'innovation. Néanmoins auffi longtems que le Peuple, refferré dans le cercle étroit de fes pensées habituelles, n'en franchif foit point les bornes, il étoit facile au Gouvernement de dominer la claffe inquiète & raisonneuse de la société, & de l'arrêter au paffage des idées spéculatives à l'action & à la volonté. Mais l'immenfité des impôts, leur inégale répartition, le défordre abfolu des Finances, & ces fignaux de détreffe que l'on déployoit continuellement aux regards d'une Nation impatiente d'être foulagée du poids