Notables fanctionnèrent d'un commun accord cet ancien ufage. Ils rejetèrent de même toute espèce d'entrave dans les élections des Députés de la Noblesse.

Ces trois votes fe fortifioient l'un par l'autre ; car l'on ne pouvoit évidemment affujettir l'Ordre du Tiers-Etat à une règle, dont on affranchiffoit les deux autres Ordres, & cette liberté, pour tous, étoit si agréable à la majorité de la Nation, que fi le Gouvernement eût effayé d'y apporter des reftrictions, il auroit compromis fon autorité. Et l'on doit rapporter à cette réflexion ce que j'ai déjà dit sur l'impuiffance où étoit le Monarque d'écarter les Députés d'aucun Ordre, lorfque rassemblés en Corps Légiflatif, leur titre d'élection étoit admis par les Etats-Généraux eux-mêmes.

It n'eft pas indifférent néanmoins d'indiquer pourquoi les élections du Tiers-Etat, en particulier, ne pouvoient

pas être affujetties à une preuve de propriété. Cet éclairciffement, qui n'a jamais été donné, fervira de réponse en même tems à la cenfure févère de plufieurs Ecrivains étrangers. Ils ont prefque tous confondu les Communes de France avec les Communes d'Angleterre, & ils ont enfuite accufé le Gouvernement de n'avoir pas fenti, que la qualité de Propriétaire & de Propriétaire territorial devoit être étroitement unie au droit de Représentation politique.

Mais falloit-il croire qu'une vérité fi fimple n'eût pas été connue du Gouvernement & des Notables qu'il avoit affemblés ?

Les Communes d'Angleterre préfentent au choix des Electeurs tous les Propriétaires du Royaume, excepté les Pairs. Et dans l'ancienne France ce n'étoit pas feulement les Pairs qui étoient hors des Communes, mais encore tous les Nobles, même les plus modernes.

Cette différence entre les deux Pays devoit être connue des Ecrivains étrangers; mais ils ont pu ignorer une difpofition fiscale qui avoit toujours éloigné les Roturiers riches de fe rendre Propriétaires de Biens territoriaux.

Ces Biens, entre leurs mains, étoient foumis à deux tributs humilians & propres à rappeler fans-ceffe l'infériorité de leur naiffance; l'un étoit la Taille, impôt fi connu par fon nom & par la haine des campagnes; l'autre un droit appelé de Franc-Fief, & qu'on exigeoit de tous les Roturiers lorfqu'ils prenoient la liberté d'acheter une Terre Seigneuriale. Auffi, parmi eux, les hommes riches, les hommes aifés & qui tenoient de leur éducation un fentiment naturel de fierté, évitoient-ils en général de fe rendre Propriétaires de Terres, avant l'époque où quelque Charge, les avoit anoblis ; mais, dès ce moment-là, ils n'étoient plus compris dans le Tiers-Etat. Auffi, la

grande participation des Communes à la poffeffion des Biens fonds dérivoit-elle de cette immenfité de petites propriétés rurales, l'héritage ou l'acquêt des Payfans & des petits Bourgeois, encore loin les uns & les autres des idées de parallèle & des fentimens qui en résultent.

On auroit donc exclu de la Repréfentation Nationale les Roturiers les plus instruits & les plus marquans dans l'ordre focial, fi l'on avoit exigé, comme en Angleterre, une propriété territoriale de la part des Députés à la Chambre des Communes.

NE pouvoit-on pas, dans cette fituation particulière à la France, attacher le droit de Représentation à une mesure de richeffe mobiliaire, fixe & déterminée?

On ne le pouvoit pas non plus, car il n'exiftoit en France aucune contribution propre à marquer les degrés de ce genre de fortune.

Le feul impôt qui auroit pu fervir de guide dans une appréciation, c'étoit la Capitation; mais dès longtems on avoit renoncé à la répartir selon l'esprit de fon institution, tant on avoit éprouvé de difficultés à la régler fur une échelle spéculative des revenus & des profits de tous les Tributaires. On s'étoit donc déterminé à la réunir dans les campagnes à l'impôt de la Taille, tandis que, dans les Villes, on l'avoit tariffée en raison des charges, des états & des profeffions.

Enfin, la Capitation n'étoit pas établie dans tout le Royaume, & un grand nombre d'abonnemens, contractés avec les Provinces & avec des Corporations, ne permettoient plus de diftinguer les premiers indices que cette taxe avoit donnés fur la différence des fortunes.

Un impôt de ce genre, & qui doit par conféquent fe rapporter au connu & à l'inconnu, au certain & au vraisemblable, ne pourra jamais fubfifter que dans les