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rades voulait l'emmener avec lui.» Le geste de leur chef était approuvé. Tous ne connaissaient alors que l'obéissance passive et repoussaient l'obéissance intelligente, la marotte de nos jours. Si dure que soit la discipline, elle doit être respectée. L'armée n'est forte qu'avec un chef indiscuté, assez puissant pour inspirer aux soldats l'accomplissement d'un devoir, si contraire à son repos et à son bonheur. Oui, certes, contraire à son bonheur.

Qu'est-il, en effet, le soldat, quelle est sa vie même en temps de paix ? « Pendant que vous dormez, écrivait, un jour, un aumônier militaire qui le connaissait, le soldat veille sur vos personnes et vos propriétés ; pendant que vous riez, le soldat souffre ; pendant que vous faites des festins, le soldat jeûne; pendant que vous vous précipitez à l'agiotage, aux tripots de la Bourse, le soldat chemine difficilement d'étape en étape; il traverse le désert le pistolet au poing, attiré dans une embuscade, traqué par l'ennemi; il grelotte de froid, suffoque de chaleur; il a les pieds gelés dans la neige; il a le front rembruni par le soleil; et toutes ces souffrances et tous ces tourments, il les endure allégrement, sans avoir souvent cinq centimes dans sa bourse, sans faire aucun calcul et par simple dévouement au bien de tous. Souffrir est tellement son lot, que jusque dans les revues où vous venez chercher un amusement il est soumis à une dure contrainte. Il attend, l'estomac vide, sous le faix des armes et du havresac, parfois brûlé par les feux de l'été, parfois trempé par une pluie battante; il attend, une, deux, trois heures... Il doit être fixe, immobile; s'il avance d'un pied il sera mis à la salle de police. »

Mais toutes les actions de Bonaparte envers l'armée ne tendaient qu'à rendre faciles aux soldats ces

sacrifices; non seulement faciles, mais sacrés. Il leur avait fait aimer la gloire; il les en comblait ; il les enivrait de ses promesses prestigieuses, et ils s'abandonnaient à lui tout entiers. Ce fut pis, lorsqu'il eut à sa disposition les hochets dont il allait satisfaire la vanité humaine. Malgré la résistance du corps législatif, malgré l'opposition du Tribunat, une Légion d'honneur fut instituée et composée de ceux qui seraient décorés des insignes de l'Ordre. Depuis le simple grenadier jusqu'au général, tous les soldats pourraient faire partie de cette légion; et afin de conquérir cette nouvelle illustration, si conforme à notre caractère national, de quels traits audacieux ne seront point capables ceux qui combattront dans les rangs de l'armée ? Se figure-t-on l'exaltation belliqueuse qui dut envahir le cerveau du plus obscur conscrit, en se disant à lui-même : << Sois brave, et tu montreras sur ta poitrine la croix qui orne celle de ton officier. Tu seras son égal dans l'honneur et tes camarades te porteront envie et toutes les femmes t'admireront. Et toi, simple paysan naguère, tu seras à l'avenir M. le Chevalier. » La même décoration pour tous; c'est l'égalité républicaine qui va enfanter les héros.

Écoutons le récit du grenadier Coignet, le jour qu'il reçut des mains de Bonaparte le titre de chevalier de la Légion d'honneur et la croix qui en était le symbole.

«... On appela Jean Roch Coignet. J'étais sur le deuxième gradin. Je passai devant mes camarades; j'arrivai au parterre et au pied du trône. Là, je fus arrêté par Beauharnais, qui me dit : « Mais on ne passe pas. » Et Murat lui dit : « Mon prince, tous les légionnaires sont égaux. Il est appelé ; il peut passer. » Je monte les degrés du trône. Je me

présente droit comme un piquet devant le Consul qui me dit que j'étais un brave défenseur de la patrie et que j'en avais donné des preuves. A ces mots : « Accepte la croix de ton Consul », je retire ma main droite qui était collée contre mon bonnet à poil et je prends ma croix par le ruban. Ne sachant qu'en faire, je redescendis les degrés du trône en reculant, mais le Consul me fit remonter près de lui, prit ma croix, la passa dans la boutonnière de mon habit, et l'attacha à ma boutonnière avec une épingle, prise sur la pelote que Beauharnais tenait. Je redescendis, et traversant tout cet étatmajor qui occupait le parterre, je rencontrai mon colonel, M. Leprince et mon commandant Merle qui attendaient leur décoration. Ils m'embrassèrent tous les deux, au milieu de tout ce corps d'officiers et je sortis du dôme... Je ne pouvais avancer, tant j'étais pressé par la foule qui voulait voir ma croix. Les belles dames qui pouvaient m'approcher, pour toucher à ma croix, me demandaient la permission de m'embrasser. J'ai vu l'heure où j'allais servir de patenne à toutes les dames et messieurs, qui se trouvaient sur mon passage. »

A ce récit, on comprend la transformation opérée dans cet homme. Il écrit avec fierté, la phrase de Murat: « Tous les légionnaires sont égaux. » Il a autant d'honneur que son colonel, autant que son commandant. On peut être certain, qu'à la prochaine bataille, il accomplira une autre action d'éclat.

Ainsi, après quatre ans de Consulat, Bonaparte avait réussi; il était empereur 1. Il avait réalisé les

1. Le général Pelleport a laissé des Souvenirs qui montrent sous un jour saisissant, tout ce qu'il fallut de génie à Bonaparte pour arriver au sommet de la puissance, en précisant le point de départ. Bonaparte arrive, et voici

projets qui le hantaient depuis sa victoire de Lodi. Ses rivaux étaient écartés, ou avaient disparu. Il s'était élevé au-dessus de tous ses émules, et à sa voix cinq cent mille hommes vibraient à l'unisson de son âme.

Ni sans périls, ni sans difficultés il était parvenu au pouvoir suprême. Que de complots il dut éviter; que de conspirateurs écraser! Simple consul il se savait des admirateurs, mais il n'était pas encore le maître. Kléber, Masséna, Augereau, Moreau et ses lieutenants pouvaient barrer la route à son ambition. Le hasard le servit. Kléber mourut assassiné; Masséna se laissa séduire par la liberté donnée à ses concussions; Augereau se rallia dès le premier jour, sentant son infériorité devant celui que cinquante victoires avaient illustré, et la jalousie de Moreau perdit ce général, en le poussant à s'associer à des hommes trop compromis ou déconsidérés, Pichegru et Georges. Quant aux lieutenants les plus dévoués à Moreau, ils furent privés de commandement;

le discours qu'il tient aux officiers. Il les réunit, se place dans le cercle.<«< J'ai suivi avec un grand intérêt, leur dit-il, les opérations de la dernière campagne, soit en Espagne, soit en Italie. J'ai applaudi au courage et au dévouement des deux armées. Je connais vos souffrances. Je sais que souvent pour vous procurer du pain, vous avez vendu les objets précieux que vous possédiez, ceux mêmes que vous teniez des mains les plus chères. J'ai la confiance, qu'avec votre courage et la discipline, vous sortirez glorieusement de cette position. De l'autre côté de l'Apennin, vous trouverez un pays fertile qui pourvoira à tous vos besoins. Avant d'y pénétrer, vous aurez des marches forcées à faire, de nombreux combats à livrer. Vos efforts réunis surmonteront toutes les difficultés. » Ce discours ne produisit qu'un médiocre effet sur la troupe. Elle ne pouvait avoir confiance dans les promesses d'un jeune homme dont elle connaissait à peine le nom. La taille petite et grêle du général en chef, son accent corse que les orateurs des compagnies exagéraient pour amuser leurs camarades, rien ne fut oublié, pas même ses cheveux portés à l'incroyable. Néanmoins, nous nous préparâmes à combattre pour la gloire de la France et l'honneur de nos armes... Le lendemain, me trouvant chez le chef de bataillon Suchet pour affaires de service, je fus étonné des propos qu'il tenait sur le général Bonaparte. « Ce Corse, disaitil, n'a d'autre réputation que celle d'un bon chef de pièce, acquise au siège de Toulon. Comme officier général, il n'est connu que des Parisiens. Cet intrigant, ajoutait-il, ne s'appuie sur rien. »

Delmas et Lecourbe, éloignés de Paris ou exilés ; les autres dirigés sur Saint-Domingue, pour y réprimer la révolte des noirs; mais en réalité pour y mourir de la fièvre jaune ; ce qui eut lieu.

Au surplus, Bonaparte s'était appliqué à modifier peu à peu l'esprit de ses lieutenants et par eux celui de l'armée. La gloire, depuis le Consulat, se confondait avec l'intérêt. Il ne sépara plus l'honneur d'une action d'éclat, d'une récompense en argent, ou d'une faveur. Il distribua des préfectures, des recettes, des places, à ceux qui tenaient par quelque côté à ses officiers triomphants. Une victoire devint une raison de richesse pour soi ou sa famille. Sans doute, on ne combattait, disait-on, que pour défendre nos frontières menacées et affermir la paix. Mais ceux qui la voulaient, la guerre, y voyaient surtout une occasion d'enrichissement. Et comme la source des beaux profits dépendait de Bonaparte, le dévouement à sa personne remplaçait forcément le dévouement à la patrie. L'armée était donc à lui, avant d'être à la France. Ce n'était plus à la République ni à la liberté que l'on se sacrifiait, c'était en vue d'un titre de noblesse, d'un don en argent, ou d'une terre seigneuriale. Il tenait, en sa main, toute l'armée par l'intérêt.

Si les anciens conventionnels, tribuns ou sénateurs, s'opposèrent si vivement à la création d'une légion d'honneur, c'est qu'ils comprenaient bien, qu'avec l'appas des galons, des rubans et des croix, Bonaparte serait tout puissant, maîtres des consciences, en satisfaisant ce besoin de gloriole que tout homme porte en soi. On se précipiterait vers

1. Un jour, traversant les Tuileries, Lecourbe apercevant Bonaparte à sa fenêtre, écrit Menneval, lui lança un regard plein de haine.

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