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LES LOCALISATIONS CÉRÉBRALES

ET LA

PHILOSOPHIE SPIRITUALISTE

<< Il n'y a plus à parler de la doctrine des localisations cérébrales. Une doctrine est discutable. Les localisations cérébrales ne sont pas plus discutables que telles autres de ces grandes vérités dont les siècles se sont successivement enrichis et s'honorent. Elles ne sont pas plus discutables que les localisations spinales; ce sont les mêmes localisations fonctionnelles; le mécanisme est partout le même, de l'extrémité inférieure à l'extrémité supérieure du névraxe. »

Ainsi s'exprimaient encore en 1904 Brissaud et Souques, dans la deuxième édition du grand Traité de médecine de Bouchard-Brissaud (1). Vers cette époque, cependant, l'existence des localisations cérébrales était déjà mise en doute, et Bernheim (de Nancy) ne l'admettait plus (2). Toutefois, le mouvement anti-localisateur n'a pris une véritable importance en cérébrologie qu'à la suite des publications du Professeur Pierre Marie sur la Revision de la question de l'aphasie (3). On sait les espérances anti-spiritualistes qu'avait fait

(1) Tome IX, p. 2.

(2) Dans la SEMAINE MÉDICALE du 7 novembre 1906, Fernand Bernheim revendique pour G. Bernheim (de Nancy) l'honneur d'avoir le premier, et depuis longtemps déjà, engagé la lutte contre les localisations cérébrales. (3) SEMAINE MEDICALE, 23 mai, 17 octobre, 28 novembre 1906.

naître la prétendue constatation de centres d'images sensorielles dans l'écorce cérébrale. Pierre Marie les rappelle lui-même avec beaucoup d'humour: « La lutte commençait à devenir ardente entre le spiritualisme d'une part et, de l'autre, le matérialisme; car c'était là le nom sous lequel on s'efforçait de flétrir la libre pensée. Or, pour les purs spiritualistes, il semblait qu'il y eût quelque chose d'attentatoire à la dignité de l'âme humaine dans la doctrine qui prétendait rechercher et circonscrire dans certains points fixes du cerveau telle ou telle fonction psychique, telle ou telle faculté. Aussi peut-on facilement imaginer avec quelle animation étaient défendues, par tous les novateurs, les théories localisatrices qui, si elles triomphaient, devaient, à leur avis, saper dans ses fondements l'antique philosophie. Les passions politiques s'en mêlaient aussi et, pour un peu, chez les étudiants, la foi dans les localisations eût fait partie du Credo républicain. »

La lutte, pour être moins ardente de nos jours, n'a pourtant point cessé; aussi, peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt de nous demander quelle a été, en face de la question des localisations cérébrales, l'attitude des représentants les plus autorisés de la philosophie spiritualiste.

I

Dire qu'il existe des localisations cérébrales, ce n'est pas dire que l'âme est concentrée en des points spéciaux de l'organisme, à l'exclusion des autres; ce n'est pas dire non plus qu'il faille concevoir l'âme comme coétendue au corps, de façon à ce qu'elle soit susceptible d'être divisée en tronçons dont chacun assurerait à lui seul, sans la participation du reste de l'âme, le fonctionnement du tronçon anatomique correspondant. Cela, III SÉRIE. T. XXIII.

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sans doute, est faux. Mais si, comme on doit l'admettre, l'âme est dans le corps à la façon spéciale des esprits, c'est-à-dire tout entière, d'une totalité de perfection et d'essence, dans chacune des parties de l'organisme qu'elle informe, elle ne se trouve pourtant pas, dans chacune de ces parties, selon sa totalité d'énergie, parce que, dit saint Thomas à qui nous empruntons cette formule, l'âme n'est pas selon n'importe laquelle de ses puissances dans n'importe quelle partie du corps (1).

Or, concevoir de la sorte les rapports entre le corps et l'âme, c'est admettre déjà, en doctrine spiritualiste, la possibilité de certaines localisations. Toute la question est donc de savoir si ces localisations, même cérébrales, sont exigées de par ailleurs.

Nous disons qu'elles le sont, et par la constitution mème de notre organisme, du moins en ce qui touche son fonctionnement physiologique, sensitif et moteur. Ce fonctionnement, en effet, est en relation intrinsèque et immédiate avec les diverses unités vivantes, ou cellules, dont l'ensemble constitue le corps. Or, les cellules sont localisées; donc aussi les fonctions cellulaires. En d'autres termes, il est évident que si certaines facultés - et c'est le cas des facultés soit purement physiologiques, soit sensorielles (2), soit motrices - sont des facultés intrinsèquement organiques, c'est-à-dire spécialisées dans l'accomplissement de fonctions qui requièrent la participation intrinsèque du composé, le siège de leur activité doit être là où se trouve l'organe

cellule unique ou ensemble de cellules affecté à telle ou telle fonction. Si, en effet, l'un des constituants, l'âme, est partout dans le corps, l'autre, l'organe, est

(1) Anima tota est in qualibet parte corporis secundum totalitatem perfectionis, et essentiae, non autem secundum totalitatem virtutis: quia non secundum quamlibet suam potentiam est in qualibet parte corporis. >> Sum. theol., p. 1a, q. LXXVI, art. 8.

(2) « Est... operatio animae... quae quidem fit per organum corporale... et talis est operatio animae sensibilis. Sum. theol., p. 1a, q. LXXVIII, art. 1.

en un endroit bien déterminé. Or l'acte physiologique, sensoriel, ou moteur, ne peut se concevoir comme constitué par deux entités dynamiques distinctes, qui seraient, d'une part, l'acte de l'âme sans l'organe, et, d'autre part, l'acte de l'organe sans l'âme, accidentellement unis après que chacun d'eux a été posé à part. Il n'est qu'une seule et indivisible réalité, à savoir l'acte de l'organe vivant, et vivant par l'âme; c'est donc là où se trouve cet organe que l'âme, nécessairement, agit par cet organe.

C'est sans doute en vertu de ce raisonnement que l'ancienne Scolastique elle-même avait admis, dans l'explication de la vie sensorielle, l'existence de localisations cérébrales et périphériques. L'expérience la plus élémentaire avait depuis longtemps appris aux philosophes que le processus de nos sensations comporte, le plus ordinairement, comme point de départ, certaines modifications déterminées par un excitant externe dans les organcs sensoriels de la périphérie. Cette observation s'imposait à la philosophie spiritualiste comme à toute philosophie, et la Scolastique l'enregistra (1). Mais l'expérience va plus loin: ces modifications de nos différents organes sensoriels sont perçues par notre conscience, ce qui nous permet de les comparer entre elles et de les distinguer. Il était donc tout naturel qu'on se demandât comment et où se faisait cette comparaison, cette distinction. La Scolastique répondit qu'elle se faisait par l'intermédiaire du sens commun, et par sens commun, elle entendit une faculté qui exerçait son acte propre au moyen d'un organe encéphalique (2), le sensorium commune, que

(1) Sensus proprius sentit secundum immutationem materialis organi a sensibili exteriori. » Sum. th., p. 1a, q. LXXXVII, a. 3, ad 3um.

(2) Cum necessarium sit humiditatem praecipue in cerebro abundare in pueris, in quo vis imaginativa et aestimativa et memorativa et sensus communis organa sua habent... » Quaest. disput. De Veritate, q. XVIII, art. 8.

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les anciens physiologistes, jusque vers 1870, plaçaient soit dans le corps calleux, soit dans les couches optiques, soit dans les ventricules. Saint Thomas se contente de dire qu'il est dans le cerveau; mais certains philosophes spiritualistes de son temps rêvaient plus de précision, et l'auteur du De Potentiis animae s'enhardit jusqu'à assigner à l'organe du sens commun la « première concavité cérébrale » (1).

Quoi qu'il en soit de ce que l'on entendait au juste par cette première concavité cérébrale; quoi qu'il en soit, même, de l'existence du sens commun, dont saint Thomas croyait pourtant pouvoir établir la nécessité (2), ce que nous venons de dire prouve tout au moins que la philosophie spiritualiste ne répugne nullement à admettre la possibilité de fonctions cérébrales et d'organes sensoriels cérébraux parfaitement localisés.

Le nombre des localisations admises par la Scolastique était même relativement considérable.

A côté des sens externes et du sens commun, qui sont des facultés réceptives, elle plaçait, dans l'organisme, des facultés conservatrices, « recevoir », disaitelle, et « retenir », ne pouvant être conçus comme des actes d'une même puissance (3). Or, parmi les facultés qui se réfèrent à la conservation des impressions sensorielles, la philosophie distinguait l'« imaginative l'« estimative » et la « mémorative ».

De la faculté imaginative relève la possibilité de nous représenter certaines qualités sensibles d'objets qui ne tombent pas sous notre perception sensorielle actuelle, et de combiner ces qualités entre elles ; c'est même à ce dernier caractère que nous songeons tout d'abord, quand on nous parle d'imagination. D'autre

(1) Ejus enim organum est prima concavitas cerebri. » De Potent. animae, inter Opuse. s. Th. attributa, c. 4.

(2) Sum. th., p. 1a, q. LXXVIII, a. 4, ad 2um.

(3) De Potentis animae, c. 4, — et Summ. theol., p. 1a, q. LXXVIII, art. 4.

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