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Les faits qu'il décrivait dans ses premières publications étaient tellement étranges que les histologistes de l'époque - nous n'étions heureusement pas du nombre -ne les accueillaient qu'avec le plus grand scepticisme. Cette défiance était telle qu'au Congrès des anatomistes tenu à Berlin en 1890, Cajal, devenu depuis lors le grand histologiste de Madrid, se trouvait seul, ne soulevant autour de lui que des sourires incrédules. Je le vois encore prendre à part Kölliker, à cette époque le maître incontesté de l'histologie en Allemagne, et l'entraîner dans un coin de la salle des démonstrations, lui montrer sous le microscope ses admirables préparations et le convaincre ainsi de la réalité des faits qu'il prétendait avoir mis en lumière. Cette démonstration fut tellement décisive que, quelques mois plus tard, l'histologiste de Wurzbourg confirmait tous les faits avancés par Cajal.

On comprendra sans peine que, dans ce moment d'ébullition scientifique, nous n'avions pas le temps de penser à améliorer une situation matérielle dont l'importance n'était que secondaire. Qu'importaient une place un peu étroite et des murs un peu humides alors que tant de belles choses captivaient notre attention et notre enthousiasme dans le champ rétréci, mais combien lumineux, du microscope!

C'est dans ce petit et modeste laboratoire, à cette époque de vie scientifique intense, que le Chanoine Mercier, professeur de philosophie thomiste, est venu s'initier à l'anatomie fine du système nerveux. C'est de ce petit laboratoire que sont sortis mes premiers travaux d'anatomie nerveuse. C'est là que le Docteur Isidore Martin, le premier de mes élèves, a fait son travail couronné au Concours universitaire. Je garde à ce laboratoire un souvenir ému et reconnaissant puisque j'y ai vécu dix ans, les plus actifs de ma vie professorale. Il a été pour moi, ce trou de laboratoire, la

démonstration éclatante de ce fait reconnu d'ailleurs depuis longtemps, c'est que les grands Instituts, les temples élevés à la science, s'ils sont nécessaires pour montrer au grand public l'estime dont on l'entoure et dont on doit l'entourer, sont souvent nuisibles à un travail réellement productif. J'ai toujours estimé pour ma part, permettez-moi cette expression un peu banale mais qui rend admirablement ma pensée, j'ai toujours estimé qu'il vaut mieux avoir un peu d'argent et pas de coffre-fort, qu'un superbe coffre-fort et pas d'argent.

Après m'être acquitté, d'une façon bien imparfaite, de mes devoirs de reconnaissance envers tous ceux qui ont bien voulu, de près ou de loin, s'associer à cette manifestation et contribuer à sa réussite, il me reste encore un devoir beaucoup plus impérieux à remplir : celui de me souvenir, en ce jour de fête et de triomphe pour moi, de l'homme incomparable, du savant enthousiaste et généreux que la Providence a placé sur mon chemin dès le début de mes études universitaires et qui a su éveiller en mon àme l'amour de la science pour la science dont il était lui-même si profondément imprégné. J'ai nommé feu le Chanoine Carnoy.

Pour faire de la science, disait-il souvent dans son langage particulier qui était, comme toute sa personne, franc, loyal, ouvert, ennemi des détours et des circonlocutions, pour faire de la science il faut avoir le diable au corps. Et franchement il l'avait, ce pionnier ardu de la Biologie cellulaire que j'ai vu des journées entières courbé sur le microscope à l'époque où il étudiait les ceufs devenus célèbres d'Ascaris, l'auteur de tant de travaux remarquables sur la structure interne de la matière vivante par excellence, le protoplasme et le noyau qu'il héberge, travaux qu'il avait rêvé de réunir en un livre malheureusement resté inachevé.

C'est en 1882 que j'ai eu le bonheur de suivre ses leçons. En février 1883, après l'examen de la candidature en sciences naturelles, il voulut bien me recevoir comme assistant à son cours de Cytologie et m'ouvrir les portes de son laboratoire au Collège du Pape.

En 1884, il mit à exécution une idée qui le poursuivait depuis longtemps, celle de créer une revue de biologie cellulaire dont le nom, LA CELLULE, résumait toute son activité scientifique et qui devait, sous ses auspices, porter le nom de ses élèves dans tous les laboratoires de biologie. C'est à la même époque qu'il fit paraître le premier volume de sa Biologie cellulaire dont il me fit l'honneur de m'offrir un exemplaire en hommage. Le moment de l'apogée de son activité scientifique correspondait done, heureusement pourmoi, avec mes premiers essais de travail personnel dans son laboratoire.

Travaillez, travaillez toujours, répétait-il sans cesse. C'était en quelque sorte sa devise. Et quand, novice encore, on lui exprimait la crainte de voir s'épuiser peut-être les sujets de recherches, il vous regardait de son air un peu narquois, les paupières légèrement plissées et le sourire aux lèvres : « Soyez sans inquiétude. Il en restera pour vos arrière petits-enfants ».

Insensiblement nos relations devenaient plus fréquentes, plus cordiales, plus intimes. Il exerçait sur ceux qu'il avait remarqués une attraction à laquelle il était impossible de résister. A partir de 1886 nous étions un petit groupe d'élèves préférés: Gilson, Denys, Meunier et quelques rares autres. Plusieurs fois par semaine on se réunissait dans sa maison hospitalière où il habitait avec son excellente sœur et où il mettait à la disposition de ceux qu'il s'était attachés sa table, sa cave, les fruits de son magnifique jardin de Rumillies, son temps, son argent, toute sa personne.

C'est lui qui me fit nommer en octobre 1887 à la chaire d'anatomie dont le bon et sympathique Ledresseur, encore un nom dont j'aime à me ressouvenir en ce jour, voulut bien se désister en ma faveur.

Dans le cours de ma carrière professorale, à ces moments curieux de la vie où, pour on ne sait quel motif, dans un état plus ou moins net de subconscience on laisse sa pensée remonter le cours des années écoulées, je me suis plus d'une fois surpris à me demander, m'arrêtant à l'influence considérable que Carnoy avait exercée sur ma destinée, ce que je serais hien devenu si ce maître n'eût pas été là.

Probablement un médecin consciencieux de ses devoirs dans quelque ville de second ordre ou dans une localité plus ou moins importante de l'agglomération anversoise. Jamais à coup sûr le professeur honoré et respecté que vous fêtez aujourd'hui. S'il en est ainsi, vous comprendrez sans peine l'émotion qui m'étreint le coeur en pensant à ce maître disparu et vous me permettrez de lui adresser, en ce jour de triomphe pour moi, un souvenir ému d'affection et de reconnaissance.

Pour rester dans les traditions académiques et pour donner à ce discours le caractère qu'il réclame, je devrais encore, avant de finir, traiter devant vous quelque question doctrinale. Mais on vous a tant parlé de neurologie déjà que je craindrais d'abuser en en parlant à mon tour. Il est un point toutefois sur lequel je désire insister pendant quelques instants.

Dans un des entretiens que j'ai eus avec le Président du Comité organisateur, il m'a demandé comment l'idée m'était venue, il y a vingt-cinq ans, de diriger mon activité scientifique vers l'étude du système nerveux. Cette question m'a vivement surpris et j'ai dû la laisser sans réponse. Depuis lors j'ai fait à plus d'une reprise

mon examen de conscience. J'ai essayé de revivre par la pensée les premières années de mon enseignement universitaire. Malgré tous mes efforts, je ne suis pas parvenu à me rappeler quand, comment ou pourquoi j'ai abordé l'étude de la structure interne des centres nerveux. Je crois en toute franchise que j'ai fait cela un jour par hasard, comme se font plus ou moins par hasard toutes les recherches de laboratoire. Pour autant que mes souvenirs sont fidèles, voici, je crois, comment les choses se sont passées. J'étais en 1888 en correspondance avec Cajal à l'occasion des travaux que nous avions publiés tous les deux sur la structure interne de la cellule musculaire. Un jour il m'écrit qu'il abandonne ses recherches sur les muscles pour s'occuper des centres nerveux et cela parce que, appliquant sur le système nerveux embryonnaire une des formules de la méthode de Golgi connue depuis 1875, il avait obtenu des résultats remarquables. J'ai contrôlé ses dires et j'ai trouvé qu'il avait raison. Le premier pas était fait, les autres ont suivi tout naturellement. La chose a donc été bien simple. Le point de départ de mes recherches est dû à un pur hasard et, peut-être, à la chance d'avoir réussi dans mes premières tentatives.

C'est ainsi que se fait d'ailleurs tout travail scientifique. L'homme de laboratoire ne commence pas ses recherches avec l'idée arrêtée de trouver la solution d'un problème fixé d'avance. Il étudie le problème pour voir si la voie dans laquelle il s'engage, le côté par lequel il l'aborde peuvent conduire à une solution et, dans le cours de ses recherches, il a bien soin de faire abstraction des idées qu'il pourrait avoir pour se laisser guider uniquement par les faits que ses travaux mettent en lumière. Il arrive ainsi à des résultats qui sont bien souvent l'opposé de ceux qu'il avait entrevus.

C'est à ce procédé, où le hasard joue le plus grand

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