Sayfadaki görseller
PDF
ePub

XIII.

LES QUATRE OBJECTIONS.

M. Portalié conteste enfin la valeur des quatre objections résumées par moi dans la Quinzaine (1). C'est l'objet principal de son second article (2). Je crois que sur ce point encore sa critique fait entièrement fausse route. Mais, avant de le montrer, il faut que je présente deux remarques préliminaires.

D'abord, les objections dont il s'agit supposent et impliquent la notion intellectualiste du dogme; elles n'ont toute leur force que par cette conception sousjacente; elles sont suspendues à ce postulat; et ainsi à les approuver ce n'est pas le dogme lui-même qu'on déclare << en déroute », mais bien une certaine théorie du dogme. En m'attribuant d'y souscrire sans réserve, M. Portalié commet une erreur d'interprétation d'autant plus inexplicable que j'avais pris soin d'en avertir explicitement (3). Il ne faudrait pas entendre simpliciter ce que je n'affirme que secundum quid.

On a paru croire aussi quelquefois que je ne voyais aucune modification souhaitable à introduire dans l'état d'esprit des philosophes contemporains. Erreur complète! Je suis fort loin d'accepter cet état d'esprit pure

1. Pages 6-12 du présent volume.
2. Etudes du 5 août 1905.
3. Pages 14-15 du présent volume.

ment et simplement tel qu'il est, fort loin de l'admirer et de l'approuver sans réserves. Les nombreux articles que j'ai publiés dans la Revue de Métaphysique et de Morale sont là pour en témoigner. J'y dénonce avec insistance, comme un mal aujourd'hui répandu partout, l'abus de la dialectique abstraite, de l'analyse conceptuelle, de la dissociation discursive, bref cet intellectualisme qui fait de la pensée une fonction à part séparée de la vie et de l'action, sans autre rôle que celui de contempler passivement du dehors des choses immobiles, et qui dégénère trop souvent en une sorte de mathématisme (1). J'y propose une notion moins abstraite, moins statique, plus souple, plus réelle, plus vivante, plus morale, de la connaissance, de la vérité, de la certitude. En un mot, j'y demande aux philosophes cela même que je demande aussi aux théologiens. J'avais bien dit, ce me semble, qu'ils étaient d'accord au fond sur un certain postulat; c'est ce postulat que j'attaque; ma critique porte donc autant sur les uns que sur les autres. En vérité, ce sont au contraire ceux qui adoptent l'attitude intellectualiste dont il faut dire qu'en fait, et quelles que puissent être leurs intentions ou leurs illusions, ils accordent à la mentalité philosophique moderne le bien fondé de ses tendances. Et alors les quatre objections que j'ai résumées deviennent en effet irréfutables.

Quoi qu'il en soit, reprenons une à une ces quatre fameuses objections, pour en rétablir le sens exact qu'on a souvent méconnu et pour écarter certaines mauvaises réponses qu'on leur a faites.

PREMIÈRE OBJECTION.

- Je maintiens que le recours à l'autorité comme premier principe de certitude est totalement irrecevable dans l'ordre de la pensée pure. C'est là un simple truisme, à propos duquel je ne comprends pas qu'on puisse me chercher noise. Il y a bien

1. Il n'y a pas d'erreur que j'aie combattue avec plus d'insistance que le mathématisme. Par quel étrange contre-sens en est-on venu à croire que je m'en inspirais?

longtemps qu'on l'a dit: l'esprit humain ne cède jamais qu'à l'autorité de l'évidence ou à l'évidence de l'autorité. Dans tous les cas, son adhésion s'appuie en dernier ressort sur une évidence (1).

Mgr Turinaz part de là pour m'accuser de détruire toute la notion catholique de la foi (2). Par quelle incroyable méprise en est-il venu à me comprendre ainsi (3)? Je ne conteste en aucune manière que le motif, ou objet formel, de la foi soit l'autorité de Dieu. Mais enfin, avant de produire l'acte de foi, il a fallu que je me convainque de cette autorité elle-même. C'est là une condition prérequise. L'appel à l'autorité pure, c'est-à-dire à l'autorité invoquée comme premier principe sans justification préalable, est chose également irrecevable dans l'ordre de la philosophie et dans l'ordre de la foi (4). Sans doute nous n'adhérons pas au dogme propter intrinsecam rerum veritatem naturali rationis lumine perspectam, mais bien propter auctoritatem ipsius Dei revelantis qui nec falli nec fallere potest (5). Néanmoins le motif de foi ne peut nous mouvoir à l'assentiment qu'après intervention des motifs de crédibilité. Voilà l'enseignement catholique traditionnel. Et je n'ai pas dit autre chose.

Mais de ce qu'aucune foi n'est possible sans une évidence préalable, n'allons pas conclure au caractère scientifique de cette évidence. M. Portalié me demande si je refuse à Dieu le pouvoir de parler aux hommes? ou si je doute qu'il ne puisse ni errer ni tromper? ou enfin si je conteste le fait de la révélation? Rien de tout cela. Seulement je soutiens que ni le fait du témoignage divin ni les droits et prérogatives de la parole divine

1. Inutile de dire que cette évidence n'est pas forcément d'ordre mathématique, ni même d'ordre exclusivement intellectuel.

2. Première brochure, pp. 20-22; seconde brochure, p. 10. 3. Le passage de Qu'est-ce qu'un dogme? auquel il renvoie ne signifie pas du tout ce qu'il lui fait dire.

4. Dans l'ordre de la foi, ce serait le fidéisme; et je n'ai pas besoin de rappeler tous les textes qui condamnent ce système.

5. Concile du Vatican, Const. Dei Filius, chap. III, § I.

Dogme et Critique

22

ne sont des réalités d'ordre scientifique, des réalités que l'on puisse constater ou vérifier par des procédés proprement scientifiques; et j'en déduis que la révélation ne doit pas non plus être assimilée à un enseignement scientifique (1). Ce n'est point une nouveauté, cela, ni une thèse hétérodoxe: Si quis dixerit fidem divinam a naturali de Deo et rebus moralibus scientia non distingui....., anathema sit (2). »

Qu'on y prenne garde. Si l'on pouvait établir scientifiquement que Dieu existe, qu'il a parlé, qu'il a dit telles et telles choses, par quel miracle psychologique arriverait-on à faire que l'adhésion de foi ne repose point essentiellement sur ces démonstrations scientifiques? Or la foi ainsi obtenue ne serait nullement la foi catholique véritable.

Une conséquence découle de là. L'autorité n'est point un principe de certitude recevable dans l'ordre de la connaissance théorique et spéculative. C'est donc que la foi, pour autant qu'elle s'appuie sur l'autorité divine, c'est-àdire pour autant qu'elle est foi catholique proprement dite et non simple croyance naturelle, n'appartient pas à l'ordre de la connaissance théorique et spéculative.

Pour me confondre, M. Portalié rappelle, d'après M. Fonsegrive, que les savants eux-mêmes s'en rapportent souvent au témoignage d'autrui sans examen personnel ni vérification directe. Et il ajoute : « Pourquoi donc, contre l'autorité divine, se retrancher derrière l'autonomie de notre raison, qui cède si facilement à l'autorité humaine? » En vérité je ne vois pas du tout l'analogie: 1o ce que le savant ne vérifie pas lui-même pour gagner du temps, il pourrait le vérifier; 2o les résultats qu'il admet ainsi sont semblables à ceux dont il a fait une vérification directe; 3o en tout cas il ne

1. Quand je dis non scientifique, prière de ne pas lire antiscientifique. Prière aussi de ne pas me faire nier que l'autorité divine ou la révélation soient des réalités: ce sont des réalités transcendantes à l'ordre scientifique, des réalités infiniment plus réelles que les réalités dites scientifiques.

2. Concile du Vatican, Const. Dei Filius, chap. III, can. 2.

prétend qu'à des conclusions toujours réformables. Je verrais plutôt l'analogie en faveur de ma thèse; car, ce que le savant admet sur la foi d'autrui, ce ne sont que des faits, c'est-à-dire des données traduites en langage d'action; mais, pour les propositions théoriques, il les vérifie toujours avant de s'en servir effectivement.

J'ajoute que M. Portalié semble se faire une idée bien étrange de l'autonomie. On dirait qu'à ses yeux autonomie implique individualisme. Conception de la liberté vraiment étonnante chez un catholique! Pour moi comme pour tous les philosophes modernes sans exception, l'autonomie véritable est un caractère de l'esprit humain, non de chaque individu. Or, oui ou non, s'il arrive que tel savant individuel accepte des résultats par voie d'autorité, dira-t-on la même chose de l'esprit humain quand il élabore la science? Vraiment, s'il y a quelque part une << illusion grossière, » c'est bien dans l'analogie qu'on a voulu m'opposer.

Liberté n'est pas licence anarchique. Autonomie ne signifie pas indépendance absolue, encore moins souveraineté du caprice individuel. La liberté de l'esprit, c'est ce caractère même de son action d'être premier principe dans l'ordre de la matière aussi bien que dans celui de la législation rationnelle (1): en sorte que cette action, présupposée par toute chose, ne saurait à son tour sans cercle vicieux être expliquée ou gouvernée par rien de physique ou d'abstrait. Pareillement, dire que l'esprit est autonome, c'est dire qu'il n'existe point pour lui d'autre nécessité que la nécessité morale, que l'obligation; c'est dire qu'il est au-dessus de toute contrainte matérielle comme de tout assujettissement fatal à un code extérieur; c'est dire enfin que pour lui dépendance ne peut être que soumission consentie et qu'il y a toujours pour lui possibilité de révolte malgré le devoir de soumission. Quant à ce qui concerne l'individu, pour

[ocr errors]

1. Voir Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1901, l'esquisse d'une théorie de la matière. Voir aussi Bulletin de la Société française de Philosophie, séance du 26 février 1903, pp. 109 et 114.

« ÖncekiDevam »