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intense que la moindre pression, que le poids même de ses couvertures, exaspérait, dans la région abdominale, à droite. Gêné, pour me parler, par la présence de sa femme et de sa fille, il insista pour qu'elles sortissent de la chambre, et alors il s'exprima à peu près ainsi :

"Je suis parti de chez mon patron avec le haquet chargé de pièces de vin, comme d'habitude. J'ai touché sur ma route des sommes pour 800 francs. Vers les cinq heures, au moment où je revenais vers la maison, dans une rue du quartier du Temple, un cocher de fiacre envoya, sans raison, un coup de fouet à la tête de mon cheval. L'animal se cabra; je le saisis par la bride pour empêcher un malheur, et je reprochai à cet homme sa brutalité. Il descendit de son siége. Nous nous sommes colletés quelques instants. Tout à coup, il me lâcha, recula de quelques pas et me porta, de toute sa force, un coup de poing dans le ventre. Ce coup fut si violent que je tombai aussitôt sans connaissance. Quand je revins à moi, je me trouvai dans la boutique d'un marchand de vins. Diverses personnes s'empressaient de me porter secours. On m'avait fait boire du vulnéraire; on me mouillait les tempes d'eau vinaigrée, etc. Mais alors je vis un autre malheur. Dans la bagarre, mon cheval avait eu peur ; il avait reculé, et en reculant il avait poussé la voiture dans la devanture d'un magasin de glaces; tout a été brisé. Le haquet était entré jusqu'aux roues dans la maison; à chaque mouvement du cheval, c'était un nouveau désastre. Je verrai toute ma vie cette boutique remplie de morceaux de glaces, mon cheval piétinant sur le trottoir, dans le verre cassé, les plaques de marbre de la devanture brisées, etc., etc. Le cocher, cause de tout, avait pu s'enfuir avant qu'on eût pu prendre son numéro. Je dus, une fois que ma voiture fut dégagée, pour qu'on me laissât partir, signer un papier par lequel je me reconnaissais responsable de l'accident. Depuis ce moment, je souffre beaucoup à l'endroit où j'ai été frappé; on a beau mettre des cataplasmes avec du laudanum, rien n'y fait. Le soir, j'ai rendu mes comptes et pansé mes chevaux comme d'habitude. Le lendemain, j'ai encore travaillé; mais hier, j'ai dû rentrer et me coucher dans la journée, et je me sens très malade. D'un moment à l'autre, mon pa. tron, à qui je n'ai encore rien dit, va apprendre cette belle nouvelle. Il n'a jamais voulu s'assurer. C'est lui qui paiera d'abord, mais il exercera son recours contre moi. Il ne peut pas y avoir pour moi moins de cinq ou six mille francs de dégats, et nous voilà ruinés. Ni ma fille ni ma femme ne savent rien. Jugez quel coup cela va être pour tout le monde." Et ce malheureux, en proie au plus violent désespoir, pleurait à chaudes larmes.

En sortant, je pris des informations, et il me fut assuré qu'il ne s'était rien présenté d'extraordinaire dans sa conduite; qu'il n'avait pas fait d'excès depuis longtemps, et que le mardi en question, particulièrement, il était dans un état parfaitement régulier. Sa femme, sa fille, son patron, tout le monde enfin était dans la plus complète sécurité. Je conseillai de continuer les cataplasmes, la tisane rafraîchissante, etc. On devait me prévenir en cas d'aggravation du mal. Huit jours se passèrent sans que j'entendisse parler de rien. Désireux de savoir comment s'était terminée cette malheureuse affaire, j'allai les voir un soir. Je fus assez surpris de les voir tous les trois gais comme d'habitude. En partant je demandai au mari de m'accompagner un peu, sous prétexte du peu de sûreté de ce quartier. A vingt pas de chez lui je lui dis:

Eh bien ?

Eh bien! me dit-il, monsieur le Docteur, il n'y a pas un mot de vrai dans tout ce que je vous ai raconté. Rien n'est arrivé. C'est un rêve que j'ai fait une nuit, et j'ai vécu pendant trois jours sous le coup de ce rêve.

-Mais, lui dis-je, cette douleur si vive du ventre?

-Rêve, rêve. C'est dimanche matin, après une nuit d'insomnie et de tourments épouvantables, que je fis un somme d'une heure environ. Quand je me réveillai, ce rêve avait disparu. Il me tenait depuis la nuit du mercredi au jeudi. Ne pouvant pas croire que j'avais été aussi stupide de me martyriser ainsi l'esprit pour rien, je me suis levé, j'ai été parcourir tout le trajet que j'avais fait avec ma voiture le mardi, jour de l'accident. J'ai vu le magasin du miroitier parfaitement intact ; j'ai été chez le marchand de vin où j'étais sûr d'avoir signé un papier: il m'a affirmé que rien de ce que je lui disais n'avait eu lieu; qu'il n'y avait eu ni co cher de fiacre, ni batterie, ni glaces cassées, etc., etc."

E. Y.

LA FILLE DU BANQUIER. (*)

I.

OU L'ON FERA CONNAISSANCE AVEC QUELQUES-UNS DES PRINCIPAUX

PERSONNAGES DE NOTRE HISTOIRE.

La scène s'ouvre en Bretagne.

Alfred de Moidrey et Henri Delagrave étaient camarades de collége. L'intimité qui existait entre ces deux jeunes gens était pour tout le monde un sujet d'étonnement. Jamais, en effet, on ne vit deux personnes qui se ressemblassent moins et pour le caractère et pour l'extérieur. De Moidrey était grand et blond. Ses yeux bleus, sa chevelure dorée et son air franc et ouvert le faisaient tout d'abord remarquer, et l'on se sentait attiré vers lui par une irrésistible sympathie.

Delagrave, au contraire, était froid et réservé ; il avait un teint olivâtre, des cheveux noirs comme les ailes d'un corbeau, et les yeux sombres comme la nuit. Ses lèvres minces et serrées, ses sourcils toujours froncés indiquaient l'audace et la résolution.

Alfred de Moidrey avait peu ou point de secrets: il pensait librement, et, ce qu'il pensait, il était toujours prêt à l'exprimer.

Delagrave, lui, avait beaucoup de mystères pour ses amis, et sa bouche ne trahissait jamais sa pensée. Il semblait avoir adopté et mettre en pratique cette maxime de Talleyrand" que la parole a été donnée à l'homme pour lui servir à mieux dissimuler ses opinions."

De Moidrey devait à l'imprévoyance de son père et de son grand-père de n'avoir hérité que de domaines grevés d'hypothèques. Il était noble par son origine, et pauvre, tandis que Delagrave, fils d'un marchand de Paris, les méchants prétendent qu'il prêtait sur gages, était riche, c'est-à-dire riche en espérance; car le vieux Delagrave entassait toujours or sur or, et Henri avait bien soin de répéter partout qu'il était seul héritier de la fortune de son père.

Alfred de Moidrey et Delagrave avaient pour ami commun un nommé Rodolphe Mortagne qui, disait-on, avait de grandes obligations pécuniaires à Isaac Delagrave, le père de Henri, obligations que l'on consentit à annuler, en partie du moins, pour prix de certains services que Rodolphe Mortagne voulut bien se charger de rendre.

C'était, d'ailleurs, un garçon remarquable à tous égards, que Rodolphe Mortagne. Doué d'une facilité prodigieuse pour apprendre quoique ce fût, il parlait plusieurs langues, et il n'était pas de prix qu'il ne lui eût été facile de remporter au collége, pour peu qu'il eût voulu s'en donner la peine; mais ses ambitions étaient tout autres. Son temps, lorsqu'il ne

() Nous commençons aujourd'hui une nouvelle Légende, non moins entraînante que celle de la Maison Blanche.

l'employait pas à ses études favorites, il le dépensait dans les folies et la débauche. Toutes les observations que se permettaient de lui adresser les gens sensés, il les recevait en haussant les épaules, et en répondant que la vie de l'homme ne durant guère plus qu'un songe, le mieux était d'en jouir le plus possible.

Ses connaissances variées, son entrain extraordinaire, sa manière de vivre grandiose et généreuse, tout cela combiné l'avait rendu l'admiration et l'idole d'un cercle de jeunes gens qui, tous, riches en fortune et en santé, vidaient avec avidité la coupe du plaisir, en savourant tous les parfums et fermant l'oreille ou souriant d'un air incrédule à ceux qui les avertissaient qu'ils pourraient, un jour, trouver la lie au fond de cette coupe.

Alfred de Moidrey, Henri Delagrave et Rodolphe Mortagne étaient donc liés entre eux par une de ces amitiés que l'on contracte dans la vie de collége, lorsque survint un événement tout à fait imprévu, qui jeta entre eux la pomme de discorde, et amena la haine là où avaient jusqu'alors régné l'amitié, la confiance et la gaieté.

Dans une réunion qui avait lieu, comme cela arrivait fréquemment, chez le jeune Mortagne, Henri Delagrave raconta qu'il avait fait dernièrement la connaissance d'un certain gentilhomme campagnard du voisinage, avec lequel le hasard l'avait mis en relation. Il ne le connaissait que depuis peu de temps, dit-il, mais chaque jour il était allé lui faire une visite.

-Il faut qu'il ait des qualités bien extraordinaires pour captiver ainsi notre ami, qui, généralement, ne se recommande pas par son côté sérieux, fit observer Rodolphe Mortagne.

-Il possède sans doute quelque secret dans l'art de vivre, qu'il a promis de lui communiquer, répliqua un des jeunes gens.

-Le pauvre homme n'a jamais étudié l'humanité que dans ses livres, répondit Delagrave; et encore a-t-il eu bien soin de ne choisir pour cela que des ouvrages aussi purs que lui.

-Je parie qu'il a une fille, et que c'est là l'attraction qui conduit Delagrave chez ce gentilhomme laboureur. Allons, ajouta-t-il, je vois à ton air embarrassé, que j'ai deviné; voilà donc pourquoi nous ne le voyons plus.

-Prends garde, Henri, s'écrièrent tous les jeunes gens, si tu te prends à aimer, tu vas devenir grave, rangé, et c'en est fait de ta joyeuse existence.

-Et quelle est celle qui a su te plaire ? demanda Mortagne.

-Pour me servir du langage des païens, répliqua Delagrave, je dirai qu'elle est belle comme Vénus, mais j'ajouterai qu'elle affecte d'être prude et chaste comme Diane.

-Serait-ce donc sérieux? demanda Rodolphe avec un de ces sourires cyniques qui, déplacés chez les hommes de tous les âges, sont tout à fait révoltants quand on les voit grimacés par un jeune visage.

-Certainement, répondit Delagrave, je n'ai pu voir cette jeune fille sans l'aimer, et ce que je croyais d'abord n'être qu'un caprice est devenu une passion, mais j'ai des ressources, et du moment que je possède la confiance du père, je saurai m'en montrer digne.

-Et quand tu auras réussi, nous fêterons ta victoire, dit Mortagne en emplissant son verre, et en l'élevant vers ses compagnons. Allons, Henri, continua-t-il, dis-nous le nom de ton gentilhomme d'Arcadie, et, comme de pareils pères sont nos bienfaiteurs à tous, nous boirons à sa santé.

Henri Delagrave hésita.

En parlant comme il venait de faire il n'avait été entraîné que par l'influence du vin; car, quelque étrange que cela puisse paraître, Henri Delagrave aimait cette charmante et pure jeune fille dont il parlait si légèrement. Mais il était tout entouré de l'atmosphère du vice. Il avait entendu ses amis, les uns après les autres, raconter leurs folies et s'en faire des titres de gloire. Les pires instincts de son âme s'étaient éveillés, et son orgueil se révolta à l'idée que l'on pourrait croire que lui, le fameux Henri Delagrave, était moins heureux, sous ce rapport, que ses gaies et joyeux compagnons.

Aussitôt qu'il eut cédé à cet entraînement de la vanité, il s'en repentit; mais tous les yeux s'étaient fixés sur lui, toutes oreilles étaient ouvertes, il n'y avait plus moyen de reculer.

Et cependant, il hésitait encore.

Ses amis s'aperçurent de son embarras et du changement de ses manières; tous le prirent pour objet de leurs sarcasmes et de leurs plai

santeries.

-Il est jaloux! cria l'un: il a peur que nous allions lui voler le cœur de celle qu'il aime.

-Pourquoi aussi ne veut-il pas nous dire son nom? demanda un autre. -Je parierais que c'est celui d'une dame que nous connaissons parfaitement, et qui n'a de mérite que le mystère dont on l'entoure, dit un

troisième en riant.

-Laissez donc! ajouta Rodolphe Mortagne; tout cela est une vanterie de notre ami. Il a imaginé le portrait, donnons-lui le temps, à présent, de lui trouver un nom.

Henri Delagrave, qui emplissait son verre d'une main fiévreuse, se tourna vers Rodolphe.

-C'est-à-dire que je suis un menteur, n'est-ce pas ? Est-ce là ce que vous avez voulu faire entendre ?

-Certainement non, mon cher Henri, répondit Mortagne. Dieu me garde de jamais me servir vis-à-vis de vous d'expressions aussi inconvenantes. Je pensais seulement que vous avez l'imagination un peu vive, et pas autre chose. Beaucoup de nous se plaisent à bâtir des châteaux en l'air, et je ne vois pas de raisons pour que, si cela vous plaît, vous n'adoriez pas une femme formée du même élément.

Le visage de Delagrave s'anima d'une violente colère.

-Je vous dis, s'écria-t-il, que j'aime cette jeune fille, et que...

Il hésita encore; mais les éclats de rire de ceux qui l'entouraient achevèrent de le vaincre, et il mit une sorte de bravade à finir la phrase qu'il avait commencée.

Douze verres se choquèrent.

-Bravo! cria-t-on. Son nom? son nom?

Henri Delagrave hésita de nouveau, car il sentait que ce qu'il faisait était infâme.

-Son nom? son nom? répéta-t-on de toutes parts.

-Hélène de Charnac, répondit Delagrave dont les lèvres frémissaient, agitées par un tremblement nerveux.

Toute la société se leva le verre en main.

Mais avant que Delagrave eût eu le temps de répéter le toast qu'il lui avait fallu tant d'efforts pour porter, une voix claire et retentissante se fit entendre, et domina les cris de l'assemblée.

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