Sayfadaki görseller
PDF
ePub

puisse rester longtemps au fond de l'eau dont nous avons dit qu'il paissait l'herbe, sa nourriture exclusive.

On comprend qu'un animal dont la graisse et la chair se mangent, dont le cuir est exceptionnellement fort, et qui avec cela est peu farouche, soit extrêmement recherché; aussi les Indiens font-ils une chasse active aux manatis, surtout les Ottomacs, et les Guamos que l'on regarde comme étant de la même famille.

Lorsque la guerre ne les a pas dispersés, les lamentins, qui ont l'humeur sociable, forment de grands troupeaux : à l'avant-garde sont les mâles, ensuite les jeunes, puis les femelles qui terminent le cortège. (1)

C'est ainsi qu'ils remontent les rivières. Lorsque celles-ci débordent, ils se répandent dans les marais et dans les lacs du voisinage, dont le fond herbacé leur offre une ample pâture. Mais s'ils n'ont pas eu la prévoyance de rentrer à propos dans le lit du fleuve, la retraite leur est coupée lorsque les eaux se retirent, et c'est alors que les Ottomacs se disposent à les prendre.

Quelquefois toute la tribu se réunit, rassemble les canots qui forment une flotille; et la pêche se fait sous les yeux de tous. On élève les échafaudages pour y faire sécher le cuir et la chair, et l'on dépose sur le sol les grands vases destinés à recevoir l'ule.

Arrivent les petits marchands d'Angusture, et des autres ports du bas Orénoque; ils sont chargés des articles en vogue, surtout des précieuses couleurs qui tiennent lieu de soierie à l'Ottomac, et pour lesquelles celui-ci donnera le cuir, le lard et la viande boucanée de ses lamentins. Pas besoin de dire que c'est une époque de fête pour la tribu, comme l'est en Europe celle des vendanges.

Il arrive aussi à l'Ottomac de pêcher isolément. La saison est favorable, l'heure est propice, il monte dans sa pirogue et se met en quête d'un manati. Au bout de quelques instants, il aperçoit la bête qui se repose à la surface de l'eau ; il rame avec la plus grande précaution, car malgré la petitesse de ses yeux et de ses oreilles, le lamentin à la vue et l'ouïe trèsfines, et à la moindre alarme a bientôt disparu. Mais le canot approche sans bruit; l'Ottomac, se voyant à belle portée, jette son harpon, qui s'enfonce dans le cuir de l'animal. A ce harpon est une corde, munie d'un flotteur qui indique où va la bête, car vous pensez bien qu'elle a pris la fuite.

L'Ottomac suit le flotteur, ressaisit la corde qu'il a lachée, se rapproche du lamentin, le frappe de sa lance, le fait échouer sur la rive, et l'achève en lui introduisant une cheville dans les narines.

(1) Rien n'égale l'affection et le dévouement que le père et la mère ont l'un pour l'autre, et surtout pour leur petit; le pêcheur ne l'ignore pas, et cherche d'abord à tuer la femelle, sachant bien que le mâle viendra pour la défendre, et que le jeune se fera tuer

avec eux.

Il faut maintenant porter la proie au logis; vous savez qu'elle est lourde; il serait difficile de la remorquer, surtout contre le courant. Le meilleur moyen est de mettre la bête dans la pirogue; mais comment s'y prendre pour soulever un poids pareil, et le faire passer par-dessus le bord du canot? Celui-ci d'ailleurs est mobile, et fuirait devant la moindre pression.

L'Ottomac saura pourtant y parvenir; il a pour cela un moyen que vous ne devineriez pas, et qui prouve son ingéniosité. Au lieu de faire passer le lamentin par-dessus la pirogue, il coule cette dernière sous le manati, en l'emplissant d'eau juste à point; la vide ensuite avec sa calebasse transformée en écope; et, son fardeau bien ajusté, il se dirige vers l'endroit où est campée la tribu. Là il trouve de l'assistance pour décharger la bête, qui toutefois n'est pas transportée à son propre domicile; car chez les Ottomacs on est franchement communistes: les produits de la chasse et de la pêche de chacun sont propriété publique. Le chef de la tribu, assis devant sa cabane, reçoit tout ce qui s'apporte, et en fait la distribution à chaque père de famille, d'après le nombre de bouches que celui-ci doit nourrir.

Ce n'est pas seulement la pêche des manatis qui fait régner l'abondance parmi les Ottomacs; ils ont la chasse aux tortues, qui, malgré leur armure, sont néanmoins tuées à coups de flèche; puis la récolte des œufs de ces Chéloniens, véritable manne qui donnera de l'huile à profusion, huile parfaite où pétilleront les tranches de manatis; huile fine dont on s'inondera les cheveux et le corps, et dont il restera une quantité suffisante pour en acheter des harpons, des haches, des couteaux, du rouge, du noir, et peutêtre du chica, cette ambition des élégants. La récolte des œufs est donc une nouvelle source de jouissances.

Vers le mois de mars, toutes les tortues de l'Orénoque et de ses affluents, celles du moins de la grande espèce, connues sous le nom d'arau, et pesant au-dessus de cent livres, se rassemblent sur trois ou quatre points, toujours les mêmes, où elles arrivent par centaines de mille.

Ces trois ou quatre stations, placées au bord du fleuve, entre les cataractes et le confluent de l'Apure, sont de grandes plages sablonneuses de 5 à 6 mille pieds de longueur sur cent pieds de large. Celle que fréquentent les Ottomacs est dans une île située à l'embouchure de l'Ou

rouna.

Donc au printemps, un peu plus tôt, un plus tard, cela dépend de la durée de l'inondation, on peut voir, en face de l'endroit qu'elles ont choisi, toutes les tortues qui, la tête hors de l'eau, inspectent les lieux d'un air défiant. Elles ont, il est vrai, mille motifs d'inquiétude; le jaguar est prêt à saisir la première qui mettra le pied sur la rive, ou à gober ses œufs; l'alligator n'en est pas moins friand. Des grues blanches nommées zargas, et les zamuros qui sont des vautours noirs, aiment également l'œuf à la coque.

Enfin, çà et là, des Indiens postés en sentinelles avertissent les pirogues de s'éloigner pour ne pas effrayer les tortues, qui pourraient aller pondre

ailleurs.

Il faut cependant en finir; le moment est venu de confier ses oeufs à la rive. On attend le soir pour éviter l'oeil des ennemis ; le soleil se couche, les vautours s'endorment, la légion des tortues rampe sur la grève; chacune d'elles creuse un trou de trois pieds environ de diamètre, sur une profondeur égale, y dépose de cinquante à cent œufs, et les recouvre de sable, qu'elle bat avec soin. La foule est tellement serrée que beaucoup de tortues n'ont pas de place et pondent dans les nids des autres; les carapaces se heurtent, parfois les oeufs s'écrasent, il arrive des retardataires, le jour paraît, elles n'en creusent pas moins leur trou avec ardeur. Mais les Indiens sont là, ils retournent ces folles, ainsi qu'ils les appellent ; une fois sur le dos, elles ne peuvent pas s'enfuir, et on les tue sans difficulté.

Dès que les pondeuses ont regagné le fleuve, les Indiens procèdent à la récolte. On estime l'espace que peuvent occuper les nids, on le divise en autant de portions qu'il y a de tribus présentes; et chacune d'elles, travaillant en commun, exploite la part qui lui est dévolue.

Tous les nids étant découverts, les oeufs sont recueillis dans des paniers et portés dans des auges, quelquefois dans les pirogues que l'on a traînées sur la rive. Quand les auges ou les pirogues sont pleines, les oeufs qu'elles renferment sont écrasés, puis battus comme si on voulait en faire une omelette; on y ajoute de l'eau, et ce mélange est versé dans de grands chaudrons qui sont placés sur le feu. L'ébullition commence; la graisse, qui dans les œufs de tortue remplace la matière que nous nommons le blanc d'oeuf, surnage peu à peu, on l'enlève à mesure qu'elle monte et on la met dans de grandes jarres de terre que fournissent les marchands. L'opération dure à peu près quinze jours.

C'est, pendant tout ce temps-là, un mouvement incroyable; tandis que les marmites bouillotent, que les Indiens écument ou fouettent l'omelette, que les marchands font remplir leurs jarres, de petites tortues larges comme une pièce d'un écu, émergent du sable où le soleil les a couvées (car il est impossible de ne pas y laisser d'oeufs), et deviennent la proie des gamins qui, se précipitant sur elles, les croquent avec délices. Les vautours, les grues, les petits alligators prennent part à cette croquade, et cependant il reste encore assez d'araus pour que l'année suivante il y ait un million de pondeuses sur les bords de l'Orénoque.

C'est la bonne saison pour l'Ottomac; le poisson alterne avec les grillades de lamentins, le beefteck de tortue, et les tranches de queue d'alligator. Les vivres sont tellement abondants qu'ils semblent ne devoir jamais s'épuiser. Les colporteurs déploient leurs marchandises, ils ont gardé pour la fin ce qu'ils avaient de plus séduisant; c'est d'une cherté exorbitante; mais l'huile est si copieuse! l'acheteur se laisse tenter, le

marchand remplit ses cruches, et l'Ottomac ne rapporte chez lui qu'une bien petite provision de beurre et de viande.

Il se rejette sur l'alligator, dont la chair musquée est détestable; beaucoup d'Indiens la dédaignent, mais l'Ottomac n'est pas délicat; d'ailleurs les eaux grandissent, l'inondation commence, la pêche est de plus en plus difficile. Arrive le jour où les eaux atteignent leur maximum, et où il n'y a même plus d'alligator. Il faut cependant manger, avoir quelque chose dans l'estomac ; et notre homme en est réduit à tromper sa faim avec une terre onctueuse dont il avale une livre par jour; non pas que ce soit une substance nourrissante, mais elle calme l'appétit ; l'Ottomac d'ailleurs ne paraît pas en souffrir; il est au contraire l'un des Indiens les mieux por

tants.

Ce singulier comestible, nommé poya par les consommateurs, est une argile particulière. Elle se trouve au bord des eaux du pays des Ottomacs, est douce au toucher, et ressemble au mastic; elle est d'un gris jaunâtre, et devient rouge quand on la fait cuire, ce qui est une preuve qu'elle contient de l'oxyde de fer. On a dit pendant longtemps qu'on y ajoutait de l'huile de tortue et de la cassave; personne ne voulait croire qu'un morceau d'argile pût être mangé tout sec. Mais Vanquelin en a fait l'analyse, et n'y a trouvé que de la terre, contenant de la silice, et trois ou quatre pour cent de chaux.

Les Ottomacs en composent des boules de plusiers pouces de diamètre, qu'ils font légèrement durcir au feu, et dont ils forment des pyramides pareilles aux tas de boulets qu'on voit dans un arsenal. Lorsqu'ils veulent manger de cette terre, ils l'amolissent avec un peu d'eau, en rapent la quantité suffisante pour un repas, et remettent la boule à sa place. Apparemment qu'ils s'arrangent de cette argile, puisqu'ils continuent d'en faire usage quand la disette a cessé.

Du reste les Ottomacs ne sont pas les seuls qui mangent de la terre, bien que ce soient eux qui en consomment le plus ; on retrouve cette coutume chez les Sauvages de la Nouvelle-Calédonie et de l'archipel Indien; elle n'est pas rare en Afrique, et se rencontre sur les bords de la rivière Mackensie. (1)

Aux plaisirs de la toilette et de la table que se donnent les Ottomacs, pendant leur abondance, ils joignent le tort de s'énivrer. La liqueur dont ils font usage est extraite du maïs ou de la racine de manioc; mais leur ivresse est plus souvent produite par le niopo, cette poudre de feuilles de mimosa à laquelle on ajoute un peu de chaux tirée de la coquille d'un gros limaçon, et que prisent les Mondroucous avec tant de cérémonie.

(*) Echo du Cabinet de 1869, page 675.

L'Ottomac a l'ivresse mauvaise; qu'elle soit produite par l'eau-de-vie ou par le niopo, elle le rend querelleur, et va jusqu'à lui faire trouer l'habit, c'est-à-dire la peau de son voisin. Si le malheur veut qu'il ait quelque rival, c'est alors qu'il montre sa colère, et il n'est pas rare que l'affaire se termine par la mort de l'un des combattants, quelque fois de tous les deux.

Ce n'est pourtant pas à l'épée ni au pistolet qu'ils se battent; les couteaux et les massues ne figurent pas même dans ces duels; une simple égratignure suffit pour tuer les deux champions. Il est vrai que chacun des deux adversaires avait l'ongle barbouillé de curare, qui, chez les Ottomacs, est d'une force toute spéciale.

Puissiez-vous ne jamais tomber sous la griffe de ces ivrognes!

M. R.

« ÖncekiDevam »