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le secret des difficultés que Montaigne eut à surmonter. Les Essais étoient à l'index, et on peut dire que ces deux faits, l'index pour l'ouvrage et la bourgeoisie pour l'auteur, hurloient de se trouver ensemble. De telle sorte, qu'à tout prendre, il n'y auroit encore rien de surprenant que les personnes qui apprécioient Montaigne lui eussent offert la bourgeoisie, et que la raison d'état cùt seule suscité des difficultés.

Nous trouvons un nouvel exemple de ce parti pris sur la vanité de Montaigne dans l'interprétation que M. Gründonne à cette partie des Essais où Montaigne, se reprochant ses fréquents déplacements, suppose qu'on lui fait cette observation : « Votre

maison est-elle pas suffisamment fournie?... La majesté royale a y a logé plus d'une fois en sa pompe! » A cette occasion, M. Grün subtilise pour établir d'abord que c'est la maison, que ce n'est peut-être pas Michel Montaigne qui a reçu une royauté; puis il pèse les pompes et discute les royautés; il mesure la distance qui sépare la cour de France de celle de Navarre, et Catherine de Médicis de Jeanne d'Albret. Il oublie que Marguerite a dit Notre cour étoit si belle et si plaisante que nous n'a«vions rien à envier à la cour de France. » Il se décide pour le roi de Navarre, probablement parce qu'il est moins grand seigneur que le roi de France; mais il a soin de faire remarquer que l'entourage du prince n'étoit pas brillant, que sa cour se composoit de quelques gentilshommes toujours à cheval avec lui; tout cela pour amener ce trait railleur qu'une hospitalité accordée dans de telles conditions « étoit plus honorable qu'oné« reuse!» Le hasard a d'étranges ironies! Alors que M. Grün imprimoit ces lignes, je faisois imprimer quelques notes autographes de Montaigne, où, en moins d'une feuille, notre auteur inflige à son biographe quelques bons démentis! Montaigne rend compte de la visite que, le 19 décembre 1584, le roi de Navarre lui a faite (note 29 des Éphémérides). Il cite nominativement

quarante-quatre des personnes qui accompagnoient le prince, « les plus grands noms de la contrée! le prince de Condé, « MM. de Lesdiguières, de Poix, de Lusignan, etc.; il dit qu'en

«viron autant allèrent coucher au village (soient donc quatre<< vingt-huit maîtres), outre les valets de chambre, pages et « soldats de la garde du roi. » Sans aucun doute, plusieurs de ces visiteurs avoient plus d'un suivant, à quoi il faut ajouter les gardes; de telle sorte que, sans rien exagérer, on peut compter deux à trois cents personnes au moins. Mais ce n'est pas tout cette troupe étoit à cheval; elle avoit avec elle des équipages de chasse, puisque « au partir de céans Montaigne fit « élancer un cerf en sa forêt, lequel promena le roi deux jours. >> Tout cela, ce me semble, est quelque peu princier. Nous sommes loin du petit nombre de cavaliers de M. Grün; plus d'un roi de France a été reçu avec moins d'éclat, et pour un gentilhomme de six mille francs de rente, qui se vantoit de n'avoir accepté d'aucun roi un double en paiement ou en don, une telle hospitalité me paroît au moins aussi onéreuse qu'honorable. Montaigne même pourroit être soupçonné d'en avoir jugé ainsi; car, dans une lettre aux jurats de Bordeaux, du 10 décembre 1584 (neuf jours avant la visite), il dit, en homme qui sentoit la lourdeur de la charge: « Toute cette cour de Sainte-Foy est sur « mes bras, et se sont assignés à me venir voir. » Et en effet, du 9 au 11, le roi de Navarre étoit à Sainte-Foy.

Je profite de l'occasion pour rectifier ce que j'ai antérieurement imprimé sur le lieu de cette chasse, et ce que M. Grün reproduit. J'ai dit, sur des renseignements inexacts, que la forêt se nommoit Bois du Cours, et qu'elle étoit vers le château de Guiron. On me fait remarquer qu'il n'existe pas de château de Guiron, et que c'est nécessairement GURÇON qu'il faut dire. Quant à la forêt, il se peut que son nom ait varié, mais elle porte aujourd'hui celui de Saint-Claud ou de Bretanord; Montaigne en payoit ia rente et rendoit hommage à l'archevêque de Bordeaux, comme pour la terre de Belveyron et autres. (Communication de M. de Cazenave, descendant de Mattecoulon, frère de Montaigne.)

M. Grün me paroît s'abuser encore sur le caractère qu'il prête à son Montaigne magistrat : il le représente comme «< un peu

a dépaysé dans sa compagnie, évitant de jouer un rôle person<< nel, calme au milieu des passions de ses collègues, gardant « fréquemment le silence, et peu porté à se jeter dans les luttes « ardentes, etc. >>

Quelques notes des registres du Parlement contredisent cette appréciation, et j'en citerai deux pour montrer que Montaigne avoit l'esprit de corps, et qu'à l'occasion il étoit mauvaise tête.

Le Parlement avoit vu avec déplaisir la réunion de la Cour des aides; il s'y étoit opposé autant qu'il avoit été en lui. Le fait étant consommé, la Cour s'étoit rabattue sur les détails; elle avoit refusé la publication des lettres patentes; elle cherchoit à maintenir les nouveaux conseillers dans une position inférieure, malgré l'édit qui prescrivoit que les deux Cours ne fissent dorenavant qu'un même corps et collège.

La Cour, par arrêt du 14 janvier 1557 (vieux style), avoit décidé que les conseillers des requêtes (anciens de la Cour des aides) ne viendroient pas d'eux-mêmes aux assemblées des Chambres, mais qu'ils attendroient qu'ils en eussent la permission de la Cour, qu'ils feroient demander. - Le 19 suivant, les président et conseillers ci-dessus désignés, entre lesquels se trouve Michel Eyquem de Montaigne, viennent sans être appelés, et représentent leur droit d'assister aux Chambres assemblées. La Cour leur enjoint de sortir; ils refusent, contestation à ce sujet, et le droit ne fut accordé qu'après plusieurs mois (1557).

Mon second exemple a trait à une discussion relative à M. Descars, que M. Grün rapporte, mais son récit s'arrête au moment où Montaigne apparoît. M. Descars, lieutenant du roi en Guyenne, ami de Montaigne et de La Boëtie, avoit eu des difficultés avec le premier président au sujet de quelques prérogatives. Il demandoit que le président fût récusé dans les causes où lui, Descars, intervenoit. Le président, à son tour, dit que, pour juger cette question de récusation, au moins les conseillers, qui sont les familiers et les commensaux de M. Descars, devroient se récuser eux-mêmes. La Cour répond à cette attaque en sommant

son président de nommer les membres auxquels il fait allusion. Le président nomme onze conseillers, dont l'archevêque, G. de La Chassaigne, Michel Eyquem de Montaigne. (M. Grün s'arrėle ici, en faisant connoître la décision qui intervient.)

Mes notes vont plus loin, et j'y vois : « Quand ce vint le tour « de Michel de Montaigne à parler, il s'exprima avec toute la « vivacité de son caractère, et dit qu'il n'y avoit lieu qu'ils sor<«< tissent, et que le premier président n'étoit recevable de pro« poser de récuser aucun par forme de remontrance ou autre«ment, lorsque lui-même étoit récusé; puis il sortit en disant « qu'il nommoit toute la Cour. Il est rappelé. La Cour lui or<«< donne de dire ce qu'il entend par ces mots, qu'il nommoit « toute la Cour; sur quoi ledit Eyquem a dit qu'il n'avoit au<«< cune affection en la présente matière ni inimitié aucune con« tre le premier président, ains sont amis et l'a été ledit pre« mier président de tous ceux de la maison dudit Eyquem; mais « voyan l'ouverture mauvaise que l'on faisoit à la justice, que « jacta erat alca, et que l'on recevoit les accusés contre les ar» rêts de la Cour, à récuser d'autres juges qui n'y avoient nul « intérêt non plus que lui; il avoit dit que si cela étoit permis, il « pourroit aussi récuser toute la Cour, mais n'entendoit pour <«< cela nommer aucun, et se départoit de son dire en ce qu'il « avoit nommé toute la Cour, »

Puis intervient la décision, mais mes notes contredisent M. Grün qui semble croire que le président seul est recusé; elles portent que la Cour ordonne qu'en l'absence du président et des conseillers nommés par ledit premier president, sera procédé au jugement des récusations présentées par M. Descars.

M. Grün s'est bien aatrement mépris sur Montaigne à l'occasion du dernier acte de sa mairie, et la gravité de l'accusation m'oblige à entrer dans quelques détails.

Au 22 mai 1585 Montaigne est à Bordeaux, il écrit au maréchal de Matignon la longue et belle lettre que M. de Vieil-Castel m'a mis à même de publier; dans les premiers jours de juin il se rend près du roi de Navarre, puis il quitte Bordeaux et nous

ne retrouvons plus de renseignements que dans des lettres, dont unc, du 30 juillet 1585, donne à penser que les jurats avoient invité Montaigne à entrer dans la ville, ravagée alors par une cruelle épidémie, pour assister aux élections qui se faisoient à cette époque M. Grün appréciant la réponse de Montaigne y voit la preuve qu'il refuse de se rendre à la prière des jurats, que le soin de sa conservation le fait reculer devant son devoir : le courage lui manqua, dit M. Grün, et là dessus il rappelle le dévouement de Belzunce à Marseille, de Rotrou à Dreux, de Montausier en Normandie, dans des circonstances analogues. M. Grün fait même bruyamment ressortir le courage de Matignon, qui était à cette époque à Bordeaux, et il ne s'aperçoit pas que son indignation retombe de tout son poids sur le célèbre maréchal qui, bien que maire nouvellement élu et en pleine activité, quitta la ville peu de jours après le moment où Montaigne hésitoit à y entrer. M. Grün ne trouve pas suffisante cette accusation sur le fond, il incrimine même la forme et fait remarquer, en soulignant, que Montaigne termine sa lettre en souhaitant à ses frères longue et heureuse vie! comme si celle formule n'étoit pas alors habituelle, inévitable et partant sans conséquence; et si Montaigne avoit eu la finesse de voir dans ce protocole l'ironic cruelle que M. Grün veut y trouver, et l'avoit supprimée, M. Grün n'auroit pas manqué d'en faire encore la remarque.

Cette opinion de M. Grün a fait un chemin rapide, tant la nouveauté exerce de séduction! Tous les comptes-rendus flétrissent la lâche conduite de Montaigne, lamentable défaillance qui, d'après un critique, donne la clef des imperfections des Essais, et explique pourquoi les Bordelais n'ont pas encore élevé de statue à ce philosophe! La phrase consacrée est, que c'est là une PAGE QU'ON VOUDROIT POUVOIR ARRACHER.... Il eût été plus juste et plus court de ne pas l'écrire!

Quelques paroles d'indulgence, dont M. Grün fait aumône. à Montaigne, m'autorisent à penser qu'il regrettera le triste. triomphe qu'il a obtenu.

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