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LES

Grandes Énigmes de la Géologie "

(1)

Si j'ai accepté le très grand honneur de prendre la parole au milieu de vous, ce n'est point pour vous entretenir de la guerre, de l'immense guerre, tour à tour terrible et morne, que nous avons traversée ensemble et dont beaucoup d'entre nous saignent encore : non, car tout ici nous en parle, et les pierres mêmes de cette cité se lamentent et crient, au souvenir des jours d'invasion et des jours de servitude. Ce n'est pas non plus pour vous entretenir de la paix bienheureuse car il suffit de regarder le spectacle que la Belgique offre au monde depuis la conclusion de l'armistice, pour comprendre ce qu'est la paix et combien le peuple belge y excelle après avoir tant excellé dans la pratique des vertus guerrières. Mon dessein est tout autre il est de vous introduire, un instant, dans le domaine scientifique qui m'est familier, dans le domaine où j'ai coutume de conduire les très jeunes gens qui sont mes élèves; et de vous montrer quelquesuns des grands sphinx qui y trônent, silencieux et immobiles, pareils à ceux qui trônent au milieu des sables, dans le désert d'Égypte, et dont la seule vue évoque, en l'âme du voyageur, des pensées vertigineuses et des rêves sans fin.

(1) Conférence faite à Louvain, le 27 novembre 1919, à l'assemblée générale de la Société scientifique de Bruxelles.

Quel est ce domaine? la Géologie. Et qu'est-ce que la Géologie ? C'est l'histoire de la Terre, l'histoire de la planète qui nous porte; reconstituée, cette histoire, et racontée, en remontant le plus loin possible dans le passé; en remontant, si l'on peut, jusqu'à l'heure, solennelle entre toutes, où la Vie est apparue sur le globe et où ont commencé les temps géologiques. Qu'une pareille histoire soit d'une reconstitution difficile; qu'elle devienne de plus en plus incertaine, imprécise et lacunaire, au fur et à mesure que l'on remonte l'échelle de la durée : c'est l'évidence même ; et vous savez tous que la Géologie est une science particulièrement énigmatique. Sans doute, il n'est pas de science qui ne soit énigmatique. Toutes sont des jardins d'énigmes on s'y promène à l'ombre des mystères, et chaque fleur que l'on y cueille est un mystère nouveau. J'ai même dit autrefois, et je répète volontiers, que la Science est faite pour donner à l'homme le sens du mystère; qu'elle est évocatrice d'énigmes, plutôt qu'explicatrice; qu'elle est, avant tout et surtout, un héraut de l'Infini. Mais il y a des sciences plus mystérieuses que la plupart des autres, parce qu'elles vont plus loin dans le monde créé, parce qu'elles s'approchent davantage des origines et des causes, parce qu'elles confinent à la métaphysique, parce qu'elles font constamment appel à l'une de ces notions primordiales et cependant peu claires et mal comprises qu'on appelle l'Espace, le Mouvement, le Temps. La Géologie est ainsi. Elle nous parle sans cesse du Temps, de même que l'Astronomie, sa sœur, nous parle de Mouvement et d'Espace. Comme l'Astronomie, et tout autant qu'elle, la Géologie nous fait une âme de philosophe, une âme de métaphysicien. L'Astronomie nous apprend que tout est soumis à des lois; que rien, dans l'immense Espace, n'est livré au hasard. La Géologie nous montre que ces lois, tout en étant pré

cises et inéluctables, ne sont pas immuables; qu'aucune construction de l'Espace n'échappe au pouvoir du Temps; que le Temps aura raison de tous les systèmes ; qu'il verra l'évolution, puis la destruction de tous les mondes, jusqu'au jour fatidique où il sera lui-même congédié, comme un serviteur désormais inutile.

L'abondance des énigmes est un des charmes de la Géologie, une des raisons de l'attrait incontestable qu'elle exerce sur les jeunes esprits. Parmi ces énigmes, il en est qui, de toute évidence, ne seront jamais résolues, sphinx dont le front et les yeux se cachent dans la brume, à une hauteur inaccessible. D'autres sont moins hautaines, moins fermées, plus accueillantes, presque humaines; on peut espérer les résoudre, tôt ou tard; tout au moins est-il possible d'en approcher, d'explorer et d'éclairer leurs abords: et rien n'est plus passionnant que d'affronter ainsi de difficiles problèmes, qui ne paraissent pas nécessairement insolubles et dont la solution se dérobe toujours au moment où nous croyons la saisir. Telles sont, par exemple, l'énigme des Plissements de la surface, l'énigme du Feu ou des Volcans, l'énigme du Sel, l'énigme des Effondrements, l'énigme du Métamorphisme. Et voici, tout à côté, deux énigmes bien autrement redoutables, deux sphinx au visage de ténèbres, l'énigme de la Vie et l'énigme de la Durée. Voulez-vous que nous fassions le tour de ces sept monstres? J'aurais pu facilement vous en présenter davantage, car notre cheptel est une multitude. Mais la contemplation des sept que j'ai choisis suffira certainement pour vous donner une haute idée des problèmes au milieu desquels nous vivons, nous, les géologues; et peut-être, si je ne suis point inférieur à mon rôle, laissera-t-elle en vous quelque impression.

Commençons, si vous le voulez bien, par l'énigme des Plissements de la surface. C'est un fait, connu de

tout le monde, que le visage de la Terre se déforme continuellement. Le changement est imperceptible, pour nous, d'un jour au jour suivant, d'une année à l'année suivante; il est réel pourtant, et, pendant que je vous parle, la face terrestre se modifie. D'une période géologique à une autre, ses divers traits se sont transformés, parfois totalement. Un homme qui aurait vécu pendant l'ère primaire, ou pendant l'ère secondaire, et qui, après un sommeil fabuleusement prolongé, se réveillerait maintenant et regarderait la planète, ne reconnaîtrait plus rien de son ancienne géographie: les mers sont différentes et aussi les montagnes. Cette incessante déformation procède de quatre causes : l'érosion, qui use les reliefs; la sédimentation, qui comble les creux; les mouvements verticaux, qui soulèvent momentanément un continent ou un fond de mer, et qui, par contre, au même instant, abaissent les régions voisines; enfin, les plissements, qui sont la manifestation extérieure des déplacements horizontaux ou tangentiels. Des quatre causes que je viens d'énumérer, deux seulement, les deux dernières, sont énigmatiques. Nous constatons leurs effets; mais nous ignorons et la raison de leur existence et la vitesse, assurément variable, de leur action. Pourquoi cette portion de la surface s'abaisse-t-elle, et pourquoi cette autre portion s'élève-t-elle ? Pourquoi se forme-t-il, ici, tout un système de plis parallèles, comme si un fuseau du sphéroïde s'écrasait par le rapprochement de ses deux bords? Ces mouvements ont-ils été lents ou rapides, par rapport à la durée énorme des intervalles de temps qu'on appelle les périodes géologiques? Questions auxquelles nous ne pouvons pas répondre.

L'importance de la quatrième cause saute aux yeux. Les déplacements horizontaux, ou tangentiels, de la surface sont le trait le plus caractéristique de la déformation terrestre. Chacune de nos chaînes de montagnes

est un faisceau de plis, à peu près parallèles, faisceau rectiligne sur de longs parcours et devenant, çà et là, sinueux, comme s'il se moulait sur le bord accidenté d'un obstacle résistant; dans chacune d'elles, le nombre des plis est énorme; beaucoup de ces plis sont déversés, et presque tous dans le même sens; le déversement va souvent jusqu'à les coucher les uns sur les autres, et l'on constate alors que certains de ces plis couchés ont cheminé sur leur substratum de plis, en se laminant, en s'étirant, en diminuant d'épaisseur, parfois en se tronçonnant; ailleurs, tout un paquet d'assises ou de roches apparaît, venu de loin, posé sur le système plissé, sans que l'on puisse dire si ce paquet est un fragment de pli couché, ou un morceau transporté en surface, par simple translation et sans plissement préalable, du bord de la région soumise au resserrement et à l'écrasement; ailleurs encore, on croit voir un coin gigantesque, formé d'autres roches et d'autres assises, venu de loin lui aussi, mais souterrainement, et parce qu'il a été chassé violemment entre deux zones superposées de l'empilement des plis et des nappes. On peut, dans certains cas, évaluer l'amplitude du déplacement horizontal qui se traduit par ces divers phénomènes : elle dépasse souvent cent kilomètres; elle peut aller à plus de deux cents kilomètres. Ni le processus des déplacements, ni leur amplitude, ne paraissent avoir sensiblement changé au cours des âges: les très vieilles chaînes de montagnes, aujourd'hui presque entièrement ruinées et dont nous exhumons péniblement la lointaine histoire, sont faites comme l'Himalaya, les Alpes, les Montagnes Rocheuses et les Andes; on y trouve les mêmes phénomènes de plis couchés et de charriages, ct les transports de plis et de nappes n'y ont été, dans leur ensemble, ni plus grands, ni moindres. Il est donc bien vrai de dire que la surface terrestre se déforme en se plissant ou en se ridant.

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