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tions terrestres dans lesquelles nous vivons ne nous apparaissent plus dès lors comme une situation invariable ou définitive, mais bien comme une phase passagère dans une longue série de transformations. Il en est de même de l'ensemble des espèces vivantes. Indépendamment de toute hypothèse au sujet de leur origine, les changements qu'ont subies la faune et la flore à travers les âges sont un fait qui s'est révélé à l'époque moderne, tandis qu'auparavant on tenait les espèces vivantes comme invariables depuis la Création. On peut même en dire autant de l'Univers astronomique que les anciens considéraient comme le type de la stabilité, ce qui, à en croire Aristote, avait fait assigner le Ciel comme demeure aux dieux immortels. Nous pensons aujourd'hui que les étoiles proviennent de la condensation des nébuleuses, qu'à partir de leur formation elles se refroidissent par rayonnement et que leurs couleurs blanche, jaune ou rouge indiquent les étapes qu'elles ont parcourues dans cette voie. Peut-être calculera-t-on un jour le moment où elles se sont allumées et celui où elles doivent s'éteindre.

La seconde raison de l'importance attachée à la notion d'évolution, c'est que certains changements se sont imposés davantage à l'attention par leur complexité et leur importance. On savait que la génération des êtres vivants comporte des stades embryonnaires très différents de l'état adulte, mais on ignorait complètement, ce que d'ailleurs nous ne commençons qu'à entrevoir, la complexité effrayante et l'intérêt scientifique incomparable de ces transformations où les êtres vivants les plus élevés dérivent d'une cellule unique.

Dès lors on ne recherche plus seulement aujourd'hui comment les êtres sont, mais encore et surtout comment et pourquoi ils se modifient. Or, si l'étude des changements sous la forme spéciale de longues séries à termes extrêmes très dissemblables est caractéristique

de la science contemporaine, il n'en est pas moins vrai que le changement lui-même et en particulier le changement continu est un fait élémentaire qui a été étudié par les philosophes de toutes les époques. Il ne s'agit donc pas d'inventer pour l'évolution une métaphysique nouvelle, mais seulement de lui appliquer avec discernement les principes anciens. C'est à ce travail que se rattachent les considérations que je me permettrai de vous soumettre dans cette conférence, en m'excusant de ce que peut-être par leur caractère trop philosophique elles cadrent peu avec les préoccupations habituelles des membres de notre Société.

Je voudrais rapprocher la notion d'évolution de la notion de causalité et examiner avec vous comment la seconde est sauvegardée dans la première. Abstraction faite des principes constitutifs qu'Aristote a appelés causes formelle et matérielle, on peut, par raison ou cause d'un fait contingent, entendre soit le principe d'où il tire son existence c'est sa cause efficiente

soit le but où il tend - c'est sa cause finale. Celle-ci n'exerce son influence que par l'intermédiaire de la cause efficiente. Le but considéré en lui-même est un effet; il n'est cause que grâce à l'agent qui le poursuit. Ce qui détermine directement l'existence d'une chose distincte de soi, c'est donc, par définition, la cause efficiente. Etudions brièvement dans l'évolution d'abord la causalité efficiente, puis la causalité finale.

Nous assistons aujourd'hui au renouvellement brillant, mais un peu tapageur d'une philosophie dont l'antiquité a connu une première efflorescence et qui n'était pas inconnue dans les temps modernes. C'est celle qui conçoit la fuite des choses dans le temps comme la réalité fondamentale, existant par elle-même.

Le пáντα pεi, tout s'écoule, d'Héraclite a trouvé dans Bergson un interprète qui unit à une information

scientifique sûre les charmes d'un style éblouissant. D'après cette doctrine, l'être qui n'est autre chose que le devenir, se réalise en des formes constamment changeantes, nouvelles et impossibles à prévoir. L'évolution de la vie s'épanouit en éventail par la vertu de sa propre fécondité, telle une fusée ou un jet de vapeur ce sont les comparaisons classiques créant à travers la retombée de la matière la variété sans cesse renouvelée et grandissante des organismes. L'évolution est créatrice, mais il n'y a véritablement ni Créateur ni choses créées. C'est un flux perpétuel sans consistance et sans appui.

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Combien peu les naturalistes qui se sont occupés de l'évolution des êtres vivants ont soupçonné de pareilles conceptions, c'est ce qui ressort à notre avis des efforts qu'ils ont faits pour trouver dans la nature des causes capables de déterminer l'apparition de formes nouvelles. Si la succession des espèces vivantes se déroule en vertu de sa propre nécessité, il est oiseux d'invoquer la sélection darwinienne ou le facteur lamarckiste du développement des organes par l'exercice et de la transmission héréditaire des caractères acquis, ou même les entéléchies des néo-vitalistes. Si l'évolution est autocréatrice, on peut constater qu'elle s'accomplit, mais logiquement il doit être interdit d'en rechercher les causes. Bergson n'admet pas cette conséquence ou du moins, s'il l'admet pour les faits futurs, il la nie pour les faits passés. Il prétend concilier avac sa conception d'une évolution toute spontanée la légitimité des études scientifiques qui tâchent d'en rendre compte. « Que l'apparition d'une espèce végétale ou animale, dit-il, soit due à des causes précises, nul ne le contestera. Mais il faut entendre par là que, si l'on connaissait après coup le détail de ces causes, on arriverait à expliquer par elles la forme qui s'est produite; de la prévoir, il ne saurait être question. » (L'évolution Créatrice,

p. 29). Le problème ontologique de l'existence des causes est ainsi transformé par Bergson en un problème logique celui de la possibilité pour notre esprit d'expliquer ou de prévoir. Et pourquoi donc, pouvant expliquer après coup, ne pourrions-nous pas prévoir à l'avance? Bergson a prévu l'objection: « dira-t-on, écrit-il, qu'on pourrait la prévoir (la nouvelle espèce) si l'on connaissait dans tous leurs détails les conditions où elle se produira? Mais ces conditions font corps avec elle, étant caractéristiques du moment où la vie se trouve alors de son histoire : Comment supposer connue par avance une situation qui est unique en son genre, qui ne s'est pas encore produite et qui ne se reproduira jamais ? On ne prévoit de l'avenir que ce qui ressemble au passé, ou ce qui est recomposable avec des éléments semblables à ceux du passé » (Ibid., p. 30). L'argument n'est pas convaincant. Ce qui est en question, ce n'est pas l'impossibilité pratique où nous sommes de connaître toutes les conditions de l'apparition d'une nouvelle espèce à cause de leur complexité, comme nous ne parvenons pas à connaître le détail exact de la situation météorologique, ce qui nous empêche de prévoir le temps. Affirmer cela serait une banalité et Bergson lui-même proteste contre cette interprétation (Ibid., p. 42). Il s'agit donc d'une impossibilité absolue de prévoir la marche de l'évolution, parce que nous ne pouvons en prévoir les conditions, ces conditions étant uniques. Pourtant, je puis connaître les conditions qui sont réalisées au moment actuel. Elles suffiront, de l'aveu de Bergson, à expliquer la genèse de la nouvelle espèce quand elle sera produite. Cette explication consistera à montrer qu'en vertu de certaines lois, les conditions données devaient amener le résultat constaté par l'expérience. Comment, dès lors, la connaissance de ces mêmes lois et de ces conditions ne peut-elle pas faire prévoir le résultat à l'avance ? C'est ce qu'il

nous est impossible de comprendre. Ou bien la nouvelle espèce est une conséquence nécessaire des lois et des conditions et on pourra la prévoir pourvu que ces lois et ces conditions soient connues; ou bien elle n'en est pas la conséquence nécessaire et alors étant donné qu'il s'agit d'un phénomène naturel—l'explication sera insuffisante. Dira-t-on que d'après Bergson l'évolution est libre? Dans ce cas son interprétation après coup au moyen de lois fatales comme celles de l'hérédité où de la sélection naturelle est aussi impossible que sa prévi

sion.

Admettre que l'évolution suit des lois rigoureuses qu'il est possible de connaître, ce n'est pas, comme Bergson semble le croire, faire profession de mécanisme. Toutes les lois ne sont pas nécessairement, même en dernière analyse, des lois physico-chimiques et l'activité des corps n'est pas nécessairement restreinte à celle que possèdent en propre leurs éléments.

Les bergsoniens admettent que l'on recherche, du moins après coup, les causes des différentes phases du procès évolutif, mais non pas de l'évolution tout entière. << Rien n'autorise, dit Leroy, à considérer le monde, c'est-à-dire, la totalité des phénomènes comme un nouveau phénomène qu'il faudrait à son tour expliquer (REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE, 1908, p. 143). « Concevons le nécessaire non pas comme une entité immobile, mais comme un spectre continu de nuances fuyantes ou plutôt comme le flux même de cette continuité spectrale » (IBID., p. 139). Je ne parviens pas à voir de différence entre ces énoncés et le panthéisme. L'examen de cette théorie nous amènerait sur le terrain de la métaphysique pure et dépasserait d'ailleurs le cadre de cette conférence. Contentons-nous de conclure de la critique que nous venons de faire de la doctrine bergsonienne que si l'on ne veut pas soustraire l'évolution à l'étude scientifique, il faut admettre qu'elle est

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