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« qui fut ainsi abandonnée. Caton s'était donné la mort à la « fin de la tragédie; ceux-ci la commencèrent en quelque << sorte par leur mort. On peut donner plusieurs causes de <«< cette coutume si générale des Romains de se donner la « mort le progrès de la secte stoïque, qui y encourageait; « l'établissement des triomphes et de l'esclavage, qui firent «< penser à plusieurs grands hommes qu'il ne fallait pas sur« vivre à une défaite; l'avantage que les accusés avaient de « se donner la mort, plutôt que de subir un jugement par << lequel leur mémoire devait être flétrie et leurs biens con« fisqués; une espèce de point d'honneur plus raisonnable « peut-être que celui qui nous porte à égorger un ami pour « un geste ou une parole; enfin une grande commodité pour « l'héroïsme, chacun faisant finir la pièce qu'il jouait dans le « monde à l'endroit où il voulait. On pourrait ajouter une a grande facilité dans l'exécution; l'âme, tout occupée de « l'action qu'elle va faire, du motif qui la détermine, du péril

qu'elle va éviter, ne voit pas proprement la mort, parce que <«< la passion fait sentir et jamais voir. L'amour-propre, l'a«mour de notre conservation, se transforme en tant de ma

nières, et agit par des principes si contraires, qu'il nous « porte à sacrifier notre être pour l'amour de notre être; el, << tel est le cas que nous faisons de nous-même, que nous « consentons à cesser de vivre, par un instinct naturel et « obscur qui fait que nous nous aimons plus que notre vie « même. Il est certain que les hommes sont devenus moins « libres, moins courageux, moins portés aux grandes entre« prises qu'ils n'étaient, lorsque, par cette puissance qu'on « prenait sur soi-même, on pouvait à tous instants échapper « à toute autre puissance (1). »

Néanmoins les anciens eux mêmes réprouvaient ceux qui se donnaient la mort follement et sans nécessité. Aristote dans sa Morale déclare celui qui se tue coupable envers lui-même

(1) Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, chap. xu.

et la société (1). Mais il est un suicide unique dans l'histoire et qui a toute l'irréprochable majesté d'un caractère fidèle à lui-même. Caton était comme le symbole vivant de la vieille Rome, et sa vie fut un combat perpétuel contre César, novateur conquérant et despote. Quand il s'agit de juger les complices de Catilina, César les a presque sauvés par son éloquence; il a ébranlé le sénat, engagé Silanus à se rétracter; Caton opine pour la mort, demande énergiquement le supplice des conspirateurs, et César a peine à se dérober aux fureurs des chevaliers en sortant du temple où se tenait le sénat. Cependant il est nommé consul avec Bibulus, mais il a glacé d'effroi son collègue, qui se renferme chez lui. Caton seul lui résiste et se laisse mener en prison. César, victorieux dans les Gaules, triomphe de quelques peuplades allemandes, et fait décréter par le sénat des sacrifices et des actions de grâces. Caton s'écrie qu'il faudrait le livrer aux Germaius. César passe le Rubicon, marche sur Rome. Alors dans la confusion générale, tandis que Pompée, personnage fastueux et médiocre qui n'avait su rien prévoir et ne sut rien défendre, avoue son incurie, et reconnaît les prophéties de Caton, celui-ci, toujours grave et tranquille, laissant croître sa barbe, portant dans son cœur et sur ses vêtements le deuil de la liberté, continue de prêter l'autorité de ses conseils à une cause qui se perdait en désertant le Capitole. Après Pharsale, il passe en Afrique; César victorieux l'y suit, il va prendre Caton..... Il ne le prendra pas; Caton a son épée, et saura mettre entre lui et l'insolente clémence de César un tombeau volontaire. Il est enfermé dans Utique; il lit Platon pour se distraire et non pour s'encourager, car, si Caton a résolu de se tuer, c'est en vertu de lui-même, et non pas en vertu de Platon enfin, l'instant arrivé, après avoir fait embarquer tous les siens, et le messager revenu deux fois des bords de la mer, il prend son épée, se perce, se déchire et s'achève : il

:

(1) Liv. V, chap. xi.

ne périt pas seul: Rome libre disparaît avec lui, et, dans le suicide de Caton, dans cette action si majestueuse et si pure, c'est la liberté antique elle-même qui succombe, se frappe et se déchire les entrailles.

Les Mémoires du valet de chambre de l'empereur nous apprennent que, en 1814, Napoléon à Fontainebleau essaya de se donner la mort. Il avala du poison; on le secourut, il ne mourut pas. Il ne devait pas mourir ainsi. Eussiez-vous voulu que Napoléon finit comme un sous-lieutenant amoureux, ou comme un banquier ruiné? Non, il devait vivre et reparaître, régner encore une heure, de la chute de Waterloo retourner dans un autre exil, et là, ne s'appartenant plus à lui-même, mais au monde, à la postérité, mourant sous les étreintes d'une longue agonie, le nom de la France sur les lèvres, réserver aux siècles à venir la plus magnifique épopée des temps modernes; voilà qui vaut mieux qu'un suicide (1).

Je ne sais, mais l'action de se donner la mort a perdu de sa dignité chez les modernes. Se tuer est à nos yeux une disgrâce, une infériorité, un désavantage; c'est renoncer à la parole. Que de gens se sont tués trop tôt, qui, s'ils eussent patienté quelque peu, eussent encore servi leur gloire et leur pays! Mais que dirons-nous de ces lâches suicides dont Werther est la poétique? On pouvait à toute force, au commencement du siècle, au sortir des convulsions de la République, éprouver cette vague langueur des passions qui dévorait, à l'exemple de René, ceux qui n'allaient pas s'étourdir au bivouac de nos victoires; mais aujourd'hui, au milieu de la vie publique qui nous attend et nous réclame, le suicide d'amour

(1) Napoléon lui-même a eu l'entière conscience de la grandeur de sa fin. Il a dit à Sainte-Hélène : « Les malheurs ont aussi leur héroïsme et leur gloire!... L'adversité manquait à ma carrière! Si je fusse mort sur le trône, dans les nuages de ma toute-puissance, je serais demeuré un problème pour bien des gens : aujourd'hui, grâce au malheur, on pourra me juger à nu. » (Mémorial de Sainte-Hélène, t. II. p. 53, édit. de 1824.) (Note de la 3e édition.)

serait pour un jeune homme une impardonnable lâcheté. Ayous des passions: bien ! mais à travers leurs orages sonà la patrie et ne mourons que pour elle.

geons

C'est donc aux mœurs que la législation doit abandonner le jugement du suicide; cette action d'une moralité si variable et si délicate échappe à sa juridiction et à sa grossière analyse.

La pénalité n'est autre chose que la moralité sociale en pratique; elle redresse, instruit, améliore le coupable et les autres qui, témoins de la faute, assistent à l'expiation. Le châtiment n'est qu'un moyen, et non le but de la pénalité même ; la société est bien obligée de mulcter celui qui a failli, mais elle ne punit pas pour punir; elle punit pour améliorer. Les peines ne sont donc que des formes et des moyens transitoires; parcourez-en toute l'échelle, la prison, les bagnes, l'infamie, la mort; vous reconnaîtrez que ces accidents si durs et si apres ne sont que les instruments variables et perfectibles de la pénalité, qui doit toujours marcher au même but par des voies toujours progressives. Aussi le droit pénal doit être soumis à des révolutions bienfaisantes, légitimer à chaque instant ses prescriptions et ses règles par leur conformité avec les faits observés dans l'homme et dans la société. On conçoit que, dans la pratique des lois et des transactions civiles, on s'en remette quelquefois à l'usage, à l'autorité du temps, au respect de l'antiquité. L'homme vénère volontiers ce qu'il trouve établi, et il est aussi enclin à la paresse qu'au désir d'innover. Mais, quand il doit infliger des corrections et des peines, le législateur est condamné à un examen perpétuel de leur convenance; il ne lui suffit pas d'avoir eu raison hier, il doit avoir raison aujourd'hui et sur tous les points: aussi, dans le droit pénal, l'autorité du temps et de l'histoire n'est rien sans la sanction de la philosophie, qui, à toute heure, vigilante, infatigable, doit réviser et perfectionner son ouvrage.

Si la pénalité a pour but d'instruire et d'améliorer les hommes, elle doit être nécessairement temporaire, rémissible

et réparable. Lui forger une éternité, c'est nier les conditions. mêmes de l'humanité. Quand une société marque un homme d'une flétrissure indélébile, elle lui déclare par le bourreau qu'elle ne reconnaîtra plus son repentir, puisqu'il est dégradé du rang d'homme, et qu'il va disparaître pour toujours dans le pecus des bagnes. Comment les victimes stigmatisées répondent-elles à la société? Par une immoralité plus profonde encore. Toute nation qui, dans ses lois, n'a pas encore supprimé la marque, ne doit pas en ajourner plus longtemps. l'abolition. L'humanité, comme le pauvre, n'a pas le temps d'attendre.

La peine de mort a des inconvénients; le plus grand est de frapper un coup irréparable. Mais elle a d'assez beaux côtés. Elle appelle l'homme à l'énergie, à la force; elle exalte ses facultés, et ne le flétrit pas. Quand la société demande à un homme qui a commis un crime de mourir pour l'expier, le coupable, en mourant noblement, arrache presque notre admiration; car partout où l'humanité sent la force, elle se reconnait et s'estime. La peine de mort ne saurait être pour nous un texte de déclamations; il faut reconnaître que le genre humain l'a continuellement appliquée sans remords; que, dans des époques de discordes et de révolutions politiques, dans cette arène où chacun combat et disparaît à son tour, la mort légale peut moissonner les hommes, mais au moins ne les avilit pas. Ainsi, dans les convulsions révolutionnaires de 1793, nous avons vu tout un peuple faisant entrer la mort violente dans les chances ordinaires de chaque jour, et mourant avec une facilité toute française.

Toutefois il n'est pas moins vrai que la peine de mort doit suivre les progrès de la civilisation, et que, selon toutes les vraisemblances morales et historiques, elle disparaîtra naturellement, comme un dernier hommage rendu à la charité du genre humain.

La législation n'a pas assez de la pénalité pour être véritablement l'institutrice de la société. A l'action des peines

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