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tomber aujourd'hui dans cette préoccupation, alors si naturelle.

A cette accusation contre le passé, on a voulu opposer de nos jours une apologie complète, voir dans l'histoire la réalisation entière des idées de l'humanité, et trouver légitimes tous les faits accomplis. Je me sépare ouvertement de cet optimisme historique, et je ne saurais transiger avec lui. Sans doute, dans toutes les entreprises de l'humanité, il y a l'intention du bien; mais le résultat ne correspond jamais entièrement à la pensée. Si l'histoire était la reproduction complète de ce qui doit être, de la philosophie, d'où viendrait donc cette succession de chutes et de progrès? d'où viendraient les révolutions? quelle serait la raison de ces éclipses de la vérité et du bon droit? pourquoi ces immolations de tyrans, et pourquoi les réveils de la liberté? Non, l'histoire n'est pas un miroir sans tache où l'homme puisse refléter purement son image; elle est le développement progressif, mais altéré, de l'humanité; la représentation successive, imparfaite et tronquée de notre nature (1).

Nous ne saurions non plus la comprendre qu'en vertu de nous-mêmes, de notre siècle et de notre foi non qu'il faille imposer au passé des règles à priori, des formules dont la largeur apparente devient toute mesquine quand on veut y encadrer la réalité ; mais il est impossible d'aborder et d'observer l'histoire sans un cœur d'homme, sans cette inévitable partialité qui seule donne à notre estime son prix et sa valeur. On pourra l'écrire d'une plume pittoresque, y semer

(1) J'avais déjà, dans la théorie du droit positif (Introduction à l'Histoire du Droit, chap. m), observé ce mélange de bien et de mal qui constitue l'histoire : « A la philosophie s'est associée l'histoire, tantôt pour l'exprimer, tantôt aussi pour lui mentir. » M. Gans, dans le Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik, qui se publie à Berlin, en examinant mon livre avec autant de bienveillance que de profondeur, m'a opposé un optimisme qui est la conséquence naturelle de la philosophie de son école; mais j'avoue que ce savant critique ne m'a pas ébranlé.

les portraits, y dérouler les descriptions; mais que toujours l'homme se fasse reconnaître dans l'artiste ; que toujours la nature humaine soit en jeu et en saillie, et la philosophie en tête pour absoudre ou pour condamner. Loin de nous reposer dans l'optimisme historique en regardant les siècles écoulés, demandons toujours à l'histoire plus qu'elle ne nous aura fourni. C'est la destinée de l'homme de ne pouvoir se contenter jamais; glorieuse inquiétude, inépuisable exigence qui le fait roi du monde. Dans sa course de tous les jours, le génie de l'humanité ressemble à ce Juif marqué d'une empreinte fatale, qui ne saurait s'arrêter nulle part, pour lequel il n'y a pas de repos, du moins pas ici-bas.

L'histoire est infinie, et on risque de s'y égarer sans une méthode rigoureuse. Or, dans le but que nous poursuivons de trouver la justification historique des progrès de la liberté humaine et de la sociabilité dans ses droits les plus chers, il est raisonnable d'aller droit à l'Europe, où s'est accomplie l'émancipation de l'homme, et d'omettre l'Orient, qui en a caché dans ses temples la mystérieuse enfance. Mais voici quelque chose de plus heureux encore : dans le Latium, dans un coin de l'Italie, s'élève une ville qui réfléchit, à travers mille traditions altérées et lointaines, les dernières inspirations du génie oriental, qui participe moins indirectement de la Grèce, et qui cependant, originale et indigène, forme entre les premiers âges du monde et les temps modernes un lien, un centre, une solidarité précieuse.

Sur le mont Palatin s'est rencontrée une troupe de Pélasges et d'Aborigènes qui les premiers supportent dans l'histoire la responsabilité du nom de Romains. Ils se sont abouchés avec d'autres habitants à mœurs rudes et simples, avec les Sabins; réunis à eux, ils s'adjoignent encore d'autres hommes d'une civilisation plus avancée, quelques fragments d'un peuple qui occupe déjà dans l'histoire une grande place, des Étrusques. Pélasges, Aborigènes, Étrusques et

Sabins, se trouvent ainsi convoqués pour composer un peuple unique dans l'histoire, qui ne prendra aucun de leurs noms, mais celui de Romain, et saura le donner au monde :

Hanc olim veteres vitam coluere Sabini;

Hanc Remus et frater: sic fortis Etruria crevit :
Scilicet et rerum facta est pulcherrima Roma,
Septemque una sibi muro circumdedit arces (1).

Florus est plus explicite encore sur la triple origine de Rome Quippe cum populus romanus Etruscos, Latinos, Sabinosque miscuerit, et unum ex omnibus sanguinem ducat, corpus fecit ex membris, et ex omnibus unus est. (Lib. III, c. xvIII.) (2).

Rome n'a pas commencé par une monarchie tempérée, comme l'ont écrit quelques-uns (3) les nations ne débutent pas par des transactions, et les premiers fondements de Rome ont été posés par une aristocratie héroïque. Le patriciat de l'Etrurie se distingue déjà de la civilisation asiatique, car le Lucumon étrusque réunit le double caractère du prêtre oriental et du guerrier (4). Le patriciat romain offre encore un progrès nouveau; plus décidément politique, il soumet la religion à l'État, et, se séparant tout à fait de

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(1) Georgic., lib. II, vers. 532, etc. Voy. notre analyse de Niebuhr, et les conjectures émises sur le sens historique de ces vers de Virgile. (2) La phrase suivante de Cicéron, dans sa République liv. II. chap. vII), n'est pas moins claire : « Populumque et suo et Tatii nomine, et Lu« cumonis qui Romuli socius in Sabino prælio occiderat, in tribus tres « curiasque triginta descripserat........... »

.....

(3: «Quo facto, primum vidit judicavitque (Romulus), idem quod Spartæ « Lycurgus paulo ante viderat, singulari imperio et potestate regia tum << melius gubernari et regi civitates, si esset optimi cujusque ad illam vin « dominationis adjuncta autoritas. » (De Rep., lib. II, cap. 1x.) — Ainsi, Cicéron attribue à Romulus des idées de balance de pouvoirs.

(4) Voyez sur ce point notre analyse des Étrusques, par Otfried Müller; voyez aussi la Symbolique de Creuzer, Niebuhr, dans son premier volume, et Micali.

la théocratie, constitue une élite de citoyens, pères et fondateurs de la patrie, patres, sous la direction de chefs élus par eux, qui les président quand ils délibèrent, les mènent au combat, et rendent arbitrairement une assez grossière justice, reges. Le même patricien peut être roi, général d'armée et pontife. Cette simultanéité de fonctions et de charges se continue jusqu'aux derniers temps de la république. César fut nommé grand-prêtre, et ce n'était probablement pas à cause de la régularité de sa conduite. Cicéron était plus jaloux de sa campagne de Cilicie que de ses meilleurs discours. Il y avait chez ces hommes un besoin immense de réunir les gloires les plus diverses; l'individualité moderne est un peu mesquine si on la compare à de pareilles puissances.

Si Rome n'eût été qu'une aristocratie, elle eût doublé l'Étrurie, sans trouver son originalité. Autour des trois collines où campaient les premiers Romains, était répandue une population latine à laquelle les trois premières tribus firent la guerre. Victorieuses, elles poussèrent cette population dans leur propre enceinte, dans ce petit village qui avait les destinées du monde, et la groupèrent ensuite sur d'autres collines. Ancus est le premier chef qui ait travaillé puissamment à recruter les Latins.

Quem juxta sequitur jactantior Ancus
Nunc quoque jam nimium gaudens popularibus auris (1).

Tarquin l'Ancien et surtout Servius Tullius constituèrent cette seconde partie de Rome, plebs in trigenta tribus redacta; et voilà la commune romaine tout à fait humble et faible, entre l'esclavage et l'indépendance, enrôlée sous les 'enseignes de la noblesse, et n'existant encore que sous son bon plaisir. Cependant les chefs de l'aristocratie s'égarèrent

(1) Eneid., lib. VI.

à opprimer leurs égaux; mais Tarquin le Superbe échoua dans cette folie, et fut banni lui et les siens, gens Tarquinia. C'est l'expulsion d'un homme, d'un tyran, mais non pas une révolution; j'en trouve la preuve dans le consulat annuel remplaçant la royauté viagère, et qui n'apporte à la chose romaine aucun changement essentiel. Mais les patriciens n'ont chassé un oppresseur que pour le devenir eux-mêmes, et vis-à-vis de la commune leur conduite est aussi aveugle que celle de Tarquin vis-à-vis d'eux. Ils ne font des terres que des répartitions iniques, chargent les plébéiens de dettes et ne veulent leur communiquer aucuns droits civils. La commune développe alors une fermeté modeste, et commence avec calme une lutte longue et acharnée. Elle n'ira pas, comme les esclaves de Saint-Domingue, porter le fer et la flamme aux habitations de ses oppresseurs; non. Méconnue dans ses droits, elle se retire, elle fait scission, elle va camper sur le Mont-Sacré secedit..... Le sénat est effrayé ; il envoie courir après; Ménénius se charge de conter aux plébéiens la fable des membres et de l'estomac : on connaît la chronique; enfin, après plusieurs pourparlers, il demeure convenu que la commune aura un officier qui lui appartiendra et stipulera pour elle. Ces tribuns n'ont aucunes fonetions positives; seulement ils s'opposeront, ils empêcheront, ils ne voudront pas ; la superbe aristocratie leur définit leurs attributions dans un seul mot, veto, et les fait souvent attendre sous le vestibule du sénat. Mais plus tard ils y entreront en maîtres, et le tribunat, si petit à son origine, grandira tellement dans la conscience populaire, que, lorsque Auguste et Tibère arriveront à la pourpre, ils s'appelleront tribuns (1).

(1) Si l'on avait besoin d'une nouvelle preuve de l'importance du tribunat, on la trouverait dans le de Legibus de Cicéron (liv. III, chap. vin), où il place dans la bouche de son frère Quintus une violente accusation contre cette magistrature populaire, se réservant d'en parler lui-même avec plus de modération.

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