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aux coups de la destinée. Contre ces deux grands faits viendront toujours se briser l'audace des théories et la mugissante écume des révolutions.

CHAPITRE XIII.

POÉSIE DE L'INDUSTRIALISME.

THÉORIE DE FOURIER.

Quand on se donne le spectacle des efforts de l'homme pour découvrir la vérité, on ne sait s'il faut plus l'admirer que le plaindre. De nobles élans sont suivis par des déviations étranges, et de magnifiques tentatives se terminent par de burlesques avortements. Et ce n'est pas seulement dans le champ de l'action que le sublime et le ridicule sont voisins, mais aussi dans les spéculations de la pensée. Il y a, dans l'histoire des théories et des systèmes enfantés par l'esprit humain, un comique profond qui n'est pas accessible à tous, mais que l'observateur attentif finit par dégager et par goûter.

En vérité, on pourrait dire que l'homme n'est le maître de rien. Il n'a choisi ni le théâtre ni l'époque où il est appelé à vivre et à se déployer. Tout ce qui l'environne le domine. D'où lui viennent ses sentiments, ses goûts, ses talents, ses idées? Assurément, il ne se les donne pas lui-même : il les reçoit. Les influences extérieures l'emportent, le mènent, décident de ses qualités et de son sort.

Cependant, si l'individualité est forte, elle ne laisse pas de lutter contre le courant qui l'entraîne. Tout pénétré qu'il est par les influences extérieures, le fond de l'homme réagit, et alors il s'engage un combat d'où sortent les effets les plus imprévus et les plus bizarres contradictions. Cette résultante constitue à vrai dire l'originalité. Parmi les utopistes de notre époque, nous trouvons un remarquable exemple de ce conflit d'éléments divers. C'est une assez curieuse histoire.

Dans les premières années du siècle vivait à Lyon un com

mis marchand franc-comtois, que des idées extraordinaires préoccupaient. Au milieu des courses qu'il faisait comme voyageur de commerce, il songeait aux plus grandes choses, à l'humanité, au monde, aux astres, aux passions de l'homme, et il élaborait un système dont il fit imprimer la première ébauche sous le titre de Théorie des quatre mouvements. Notre courtier marron s'établit, dès les premières pages, comme le continuateur de Newton et de Leibnitz; il affirme qu'il y a analogie et unité de mouvement pour le monde matériel et pour le monde spirituel; puis il invente une théorie mathématique des passions. Du haut de sa théorie, il lance contre la civilisation les plus injurieux anathèmes. Il dénonce à l'humanité qu'elle a épuisé pendant vingt-trois siècles scientifiques la carrière des misères, des inepties et des crimes, et cela pour s'être confiée à la direction des philosophes. Qu'est-ce que représente la philosophie? L'ensemble des sciences incertaines, comme la politique, la morale, la psychologie. Or, il faut désormais régler par des méthodes fixes et mathématiques nos connaissances ainsi que nos destinées, et abroger tout ce que, jusqu'à présent, a fait et pensé le genre humain.

Et pourquoi cette immense révolution? Pour réaliser le meilleur plan de fondation industrielle, pour organiser le mieux possible une association agricole. Dans sa pratique commerciale, notre commis marchand avait observé les fraudes et les misères de l'industrie, et, pour en affranchir sans retour les sociétés, il voulait créer un monde nouveau, qui serait gouverné mathématiquement.

Un génie audacieux et étendu, une éducation subalterne et des circonstances déprimantes, ont tour à tour grandi et rabaissé Fourier. Il y avait du Pythagore dans cet homme; seulement, c'était Pythagore en boutique.

Mais, diront quelques phalanstériens enthousiastes, n'estil pas admirable, au contraire, qu'un grand esprit se soit révélé du milieu des plus infimes occupations? D'ailleurs, l'in

dustrie n'est-elle pas la raison première des progrès de l'humanité? Non, et voilà encore l'éternelle erreur du socialisme. Sans doute, il a fallu que l'humanité cherchât par le travail la satisfaction de ses besoins matériels, pour que ses sentiments moraux, son imagination, ses idées, prissent l'essor. Mais, une fois développée, la partie intellectuelle de l'homme s'est saisie de l'empire des sociétés et l'a gardé. Voilà pourquoi nous trouvons toujours les causes des grandes révolutions, soit dans l'ordre politique, soit dans l'ordre religieux. Voilà pourquoi encore le socialisme s'abuse étrangement lorsqu'il élève la convenance d'une réforme économique à la nécessité d'une réorganisation universelle.

C'est le désir de réglementer l'industrie d'une manière nouvelle et désormais immuable qui a suggéré à Fourier sa théorie de l'identité du monde physique et du monde moral par la loi de l'attraction. Nous dirions volontiers qu'à côté de la mécanique céleste il a voulu mettre une mécanique humaine qui lui répondît de tous les mouvements de nos passions.

Voilà le but marqué. Pour y atteindre, Fourier entassera plus d'hypothèses que pas un de ces philosophes qu'il a si souvent maudits. On avait cru jusqu'à présent que, lorsque l'homme s'élevait à la contemplation de Dieu, c'était pour lui une laborieuse entreprise. Erreur. Fourier déclara que l'étude de Dieu était la plus facile de toutes, qu'il déterminerait les caractères essentiels du Créateur, ses attributions, ses vues et ses méthodes sur l'harmonie de l'univers. Plein du désir d'arriver à l'identité des lois physiques et morales, il imagina de charger Dieu de tout ce qui était nécessaire à l'accomplissement de son système. Dieu aura donc la direction intégrale du mouvement; il sera dans ses desseins d'en économiser les ressorts, il exercera une justice éminemment distributive; sa pensée, sa providence, seront universelles, et il se réalisera par l'unité de système. Ce système s'appelle l'attraction passionnelle, qui est l'expression la plus haute de la volonté de Dieu.

Entre les mains de Fourier, Dieu est un artiste, un ordonnateur qui règle tout avec les moyens les plus simples, car les mêmes lois servent à l'ordre moral et à l'ordre physique. Ce que Newton avait trouvé pour le monde matériel, Fourier l'applique au monde moral; de là l'unité de l'homme avec toutes les harmonies de l'univers.

L'homme a donc dans ses passions un moyen infaillible de bonheur. Il n'a qu'à suivre l'impulsion qui lui est donnée par la nature antérieurement à la réflexion, et qui persiste, malgré l'opposition de la raison, du devoir et du préjugé. Telle est la définition que donne Fourier de l'attraction passionnelle qui se décompose en douze passions principales: cinq sensitives, quatre affectives, et trois distributives. Les cinq premières nous mènent aux plaisirs des sens, les quatre affectives forment les groupes d'amitié, d'ambition, d'amour et de famille; sur les trois distributives repose le mécanisme des caractères, et il faut en dire un mot.

N'y a-t-il pas chez l'homme un besoin constant de variété, de contrastes et de changements dans lesquels il puisse trouver des distractions, du repos, du plaisir? Ce désir d'impressions nouvelles est pour Fourier une passion principale qui tient le plus haut rang parmi les douze, qui est un agent de transition universelle, et qu'il a baptisée du nom d'alternante ou de papillone. En voici venir une autre, c'est la cabaliste. Ici nous sommes dans le monde des partis et des intrigues, intrigues politiques et amoureuses. Il y a du talent dans la cabaliste, et sa fougue est réfléchie. Il est au contraire une autre passion où l'enthousiasme domine, c'est la composite, assemblage de deux plaisirs, un des sens, un de l'âme, source des plus profondes émotions. Enfin, le résultat suprême est l'unitéisme, ou l'amour de l'ordre général, de l'harmonie universelle.

Maintenant, nous en savons assez pour saisir le vice fondamental de l'attraction passionnelle. Cette théorie subordonne de la manière la plus éclatante l'intelligence au senti

ment, et, faisant des passions l'essence même de l'humanité, elle veut néanmoins que celle-ci ait dans ses mouvements l'harmonie et la régularité des astres. D'un côté elle provoque, elle déchaîne dans l'homme ce qu'il y a de plus tumultueux et de plus désordonné, puis elle lui trace une orbite qu'il doit parcourir avec une docile constance. De cette façon, l'homme devient un mélange du règne animal et du système planétaire.

Ni si bas, ni si haut. Quelque nécessaires que soient les passions dans l'homme, il ne faut pas leur reconnaître la puissance de ces indomptables instincts de la bête, qui seuls en déterminent les mouvements et les appétits. Au milieu de nos penchants et de nos affections, l'intelligence intervient, sinon pour les dominer toujours, du moins pour travailler à les modérer, à les ennoblir. D'un autre côté, ni l'homme ni l'humanité n'ont dans leurs développements l'immuable régularité des astres. Leurs élans et leurs défaillances ne l'attestent que trop. C'est précisément ce mélange d'inconstance et de fermeté, d'impuissance et d'énergie, cette alternative de chutes et de triomphes dans la poursuite des objets désirés, qui constituent le fond de la nature et de la destinée humaine. Fourier s'abuse et nous trompe quand il affirme que les attractions sont proportionnelles aux destinées. Je le voudrais, car alors nous serions tous des dieux. N'aspironsnous pas tous au bonheur, à la vérité? Mais, si l'infini nous appelle, nous ne pouvons en jouir.

L'auteur de la Théorie des quatre mouvements, et du Traité de l'association domestique agricole, publié en 1822, a exagéré au delà de toute mesure deux idées justes, la puissance de la volonté humaine et le parti que l'homme peut tirer de ses passions pour faire de grandes choses. Fourier disait qu'il se ralliait à la vérité expérimentale et à la nature; qu'il ne croyait pas celle-ci bornée aux moyens connus, qu'il fallait sans cesse aller, par analogie, du connu à l'inconnu, et procéder par voie d'analyse et de synthèse. A ces

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