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20 1A62 no. 1

Juin 1902.

NOTRE BUT

Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui battez les rues, manifestant, jetant au milieu de nos discordes la bravoure et l'espoir de vos vingt ans? Nous allons à l'humanité, à la vérité, à la justice. E. ZOLA.

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Voici une nouvelle Revue, les Annales de la Jeunesse Laïque. A quel besoin répond-elle ? Que sont les jeunes qui la fondent? Quel but se proposent-ils d'atteindre ?

Ces jeunes sont des Français, des républicains, qui ont de la jeunesse l'enthousiasme ardent.

Emancipés de toute croyance en des dogmes étroits, rêvant d'une Humanité affranchie, émus par les cris de souffrance qu'ils entendaient de tous côtés s'élever autour d'eux, ils se sont tournés vers les jeunes Français, leurs camarades, et leur ont tendu la main pour les convier à s'élancer avec eux vers les sereines hauteurs que baigne déjà d'une aurore empourprée le soleil de justice. Des huées les ont accueillis, des poings fermés se sont tendus vers eux, et à leur confiant appel, seuls des cris de haine ont répondu.

Jetant alors les yeux autour d'eux, ces fils de la Révolution se sont aperçus qu'ils étaient une poignée à peine et, dès le premier jour où ils se sont efforcés de vivre conformément à l'Idéal de Vérité et de Justice qu'ils s'étaient tracés, ils ont dû combattre et souffrir. Leurs maitres ont appelé présomption ce légitime désir de comprendre et de juger par soi-même, leurs camarades ont répondu par des injures et des coups à leurs naïves tentatives d'apostolat; dans leurs familles mêmes, ils se sont heurtés à l'opposition de leurs parents, mécontents de les voir s'engager dans une voie aussi dangereuse.

A l'âge des illusions, ces jeunes gens ont fait la dure expérience de la vie. Ils se sont aperçus que, dans notre République Française, l'amour de la Liberté, de la Vérité, de la Justice, le courage civique, fondements nécessaires d'une démocratie, étaient absents de la plupart des cœurs.

Ils ont constaté que depuis trente ans la plupart de nos gouvernants se sont employés à faire une République sans républicains, sans mœurs républicaines; que ces crises qui, tous les dix ans, troublent notre pays et menacent de faire de notre France révolutionnaire un Bas-Empire de décadence, proviennent de ce que, durant trente années, on n'a rien fait pour l'éducation politique du peuple; ils ont compris que la République ne sera qu'un vain mot tant que ne sera pas définitivement fondée la famille républicaine.

Ces jeunes gens, élevés dans le culte des principes de la Révolution, entendirent avec stupeur de jeunes Français approuver hautement les crimes historiques les plus affreux, faire l'éloge des massacres de la Saint-Barthélemy et

des Dragonnades, glorifier les émigrés de Coblentz et de Quiberon, pousser ces cris sanguinaires de « Mort aux Juifs! Mort aux dreyfusards! » dire hautement leur haine de la République et appeler de tous leurs vœux le sauveur, le général triomphant, ivre de carnage, qui doit étrangler «la Gueuse » et ordonner la saignée nécessaire. Recherchant les causes d'un tel état d'esprit, ils s'aperçurent vite que ces malheureux n'étaient que des égarés, que les vrais responsables étaient leurs éducateurs. Ils se dirent qu'il n'était pas possible que dans le pays de Rabelais, de Diderot, de Voltaire, toute velléité de pensée libre fut éteinte chez les jeunes, ainsi que tout enthousiasme pour les causes nobles et généreuses, qu'il serait facile de démontrer l'inanité de ces sophismes qui confondent la grandeur de la France et celle de l'Eglise, l'honneur de l'armée et le déshonneur de quelques individus, le patriotisme et la haine de l'étranger. Ils se dirent qu'il était beau de tenter une telle conversion, que c'était une tâche nécessaire si nous ne voulions pas voir détruit par un triomphe momentané de l'esprit du passé, le patrimoine des libertés acquises par nos aïeux au prix de leur sang. C'est de cette idée que sont nées les Annales. Faire l'éducation républicaine des jeunes générations de notre pays, tel est donc le but que se sont proposés d'atteindre les fondateurs des Annales de la Jeunesse Laïque. Pour cela, ils se sont adressés à ces maîtres de la pensée moderne, à ces écrivains, à ces vaillants qui, dans une crise récente, purent, grâce à leur courage, sauver du moins l'honneur de la France; ceuxci ont répondu avec empressement à leur appel, et c'est ainsi que nous avons le légitime espoir de voir bientôt nos Annales Laïques lues dans les familles, former le cœur et l'esprit de tous les jeunes Français et donner à leur éducation une orientation laïque et républicaine.

Fondées grâce au concours de vaillants de tous les partis, les Annales de la Jeunesse Laïque ne seront inféodées à aucun. La profession de foi philosophique, politique, sociale et artistique de leurs fondateurs tient tout entière dans ce beau vers de F. Gregh:

Aimer le vrai, rêver le beau, dire le juste.

Au milieu des nuages qui couvrent encore les sommets des monts, on voit poindre la lueur qui éclairera demain l'Humanité libre et se dessiner les lignes harmonieuses de la Cité future. En face du vieux rêve sémite de l'Evangile, de l'esprit chrétien fait tout entier de renoncement à la vie, à l'action, contempteur de la beauté, de l'amour, de tout ce qui rend la vie noble et heureuse, nous voyons naître la foi nouvelle, faite de l'union de la sagesse antique et de la science moderne. L'amour du Beau, qui fut la religion des Grecs et qui a fait d'eux des civilisateurs du monde; l'amour du Vrai, dont Erasme, Galilée, Etienne Dolet, Pascal, Voltaire, Diderot ont été les apòtres; l'amour du Juste, véritable religion qui a eu, elle aussi, ses prophètes et ses martyrs, depuis les Jacques du Moyen-âge jusqu'aux superbes révoltés d'hier; tels sont les trois facteurs principaux de cette foi nouvelle qui sera celle de l'Humanité de Demain. Tel est notre Credo.

Par ces mots : Jeunesse française, nous désignons les jeunes filles au même titre que les jeunes gens, bien convaincus que l'émancipation de l'Humanité ne sera qu'un beau rève tant que la femme ne sera pas émancipée, puisque vouloir des citoyens laïques dans un pays, en abandonnant la femme aux sugestions du confessionnal, les enfants à la direction du prêtre, c'est se condamner à recommencer toujours la même tâche, à consumer tous ses efforts dans la défense des conquêtes accomplies, remises en jeu, à chaque fois que des générations nouvelles arrivent à la vie. Elle n'a que trop duré cette conception de la femme enfant, à la tête légère, éprise de rubans et de fêtes, véritable bibelot d'ornement, jouet destiné à l'amusement de l'homme.

Nous avons de la femme une conception plus noble; nous rêvons de créatures courageuses, au regard clair, au grand cœur, semblables à la calme héroïne dont notre maître E. Zola a tracé le portrait dans « Fécondité », capables de partager en ces temps de luttes nos espoirs et nos souffrances. Ces vaillantes compagnes, aujourd'hui l'exception, seront les femmes françaises de demain, du jour où l'on aura tourné vers un Idéal de Vérité et de Justice sociale ces trésors de dévouement que contient tout coeur de femme et qu'a captés jusqu'ici le mysticisme des dogmes.

Est-il besoin de le dire, les Annales de la Jeunesse Laïque, fondées pour travailler à l'éducation intégrale de tous les jeunes Français, sont destinées par là même à combattre tout d'abord ce préjugé qui veut que des jeunes gens de 18 ans ne s'occupent pas de politique et qui exige de ces mêmes jeunes, deux ans plus tard, des opinions droites et fermes dans les questions les plus déli

cates.

Mais les Annales ne feront pas seulement œuvre d'éducation politique, Notre ambition est plus haute et le choix de nos collaborateurs la justifie. Une des causes de souffrances les plus pénibles pour les jeunes gens de notre époque véritablement émancipés est l'anarchie morale dans laquelle nous nous débattons. Est-il pour l'être humain un autre devoir que celui de laisser son individualité se développer et s'épanouir librement? Dans quelle mesure doit-il se sacrifier pour autrui et n'est-ce qu'une duperie ou bien la chose la plus grande qui soit au monde, que de mourir pour une idée? Ces questions angoissantes, tout jeune homme se les pose au moment d'entrer dans la vie, alors qu'il forme de ses rêves l'Idéal de Beauté et de Justice auquel il tâchera de conformer son existence. Nous demanderons à nos maîtres d'y répondre, nous leur demanderons de nous livrer les résultats auxquels les ont conduits sur ce point leurs méditations, leur expérience de la vie, et c'est fortifiés par de tels conseils que nous nous apprêterons à engager la lutte, au nom de la Vérité contre les Dogmes, au nom du Droit contre la Force, au nom de la Justice contre toutes les iniquités sociales.

LA RÉDACTION.

CE QUE C'EST QUE D'ÊTRE LAÏQUE

Etre laïque, ce n'est pas limiter à l'horizon visible la pensée humaine, ni interdire à l'homme le rêve, et la perpétuelle recherche de Dieu c'est revendiquer pour la vie présente l'effort du devoir.

Ce n'est pas vouloir violenter, ce n'est pas mépriser les consciences encore détenues dans le charme des vieilles croyances; c'est refuser aux religions qui passent le droit de gouverner l'humanité qui dure.

Ce n'est point hair telle ou telle église ou toutes les églises ensemble; c'est combattre l'esprit de haine qui souffle des religions, et qui fut cause de tant de violences, de tueries et de ruines.

Etre laïque, c'est ne point consentir la soumission de la raison au dogme immuable, ni l'abdication de l'esprit humain devant l'incompréhensible; c'est ne prendre son parti d'aucune ignorance.

C'est croire que la vie vaut la peine d'être

vécue, aimer cette vie, refuser la définition de la terre vallée de larmes », ne pas admettre que les larmes soient nécessaires et bienfaisantes, ni que la souffrance soit providentielle; c'est ne prendre son parti d'aucune misère.

C'est ne point s'en remettre à un juge siégeant par delà la vie, du soin de rassasier ceux qui ont faim, de donner à boire à ceux qui ont soif, de réparer les injustices et de consoler ceux qui pleurent; c'est livrer bataille au mal au nom de la justice.

Etre laïque, c'est avoir trois vertus: la charité, c'est-à-dire l'amour des hommes; l'espé rance, c'est-à-dire le sentiment bienfaisant qu'un jour viendra, dans la postérité lontaine, où se réaliseront les rêves de justice, de paix et de bonheur, que faisaient en regardant le ciel, les lointains ancêtres; la foi, c'est-à-dire la volonté de croire à la victorieuse utilité de l'effort perpétuel.

Ernest LA VISSE,

Notes sur les Trublions

Que le Nationalisme est le Parti de la Guerre

Le Nationalisme est le parti de toutes les brutalités et de toutes les violences. C'est le parti de la guerre civile. Nous l'avons vu, lors des funérailles du Président Faure, quand un des chefs trublions, envers qui les amis sont bien ingrats aujourd'hui, se pendit à la bride d'un cheval militaire.

C'est le parti de la guerre étrangère. Les Trublions fomentent la guerre entre peuples. Ils nous font paraître cette monstruosité sauvage d'être les ennemis d'un peuple ou d'une race, c'est-à-dire de hair stupidement ce que la raison ne saurait concevoir que par abstraction. Ils haïssent des abstractions. On conçoit encore qu'on se batte contre des moulins à vent. En voyant ces rois ailés des plaines faire de grands ronds dans l'air, le chevalier de la Triste-Figure crut que c'était des géants prompts à ravir les veuves et les orphelines. Il coucha la lance et fondit sur eux. Son illusion est généreuse et peut encore s'expliquer. Mais hair un être de raison, un peuple, une race, c'est de la mythologie furieuse, c'est de l'allégorie féroce.

Pour se faire un objet de haine, il faut d'abord se le figurer. Comment les Trublions se figurent-ils donc les races, les peuples? Il me vient un soupçon. Vous avez vu les villes de France représentées sur la place de la Concorde sous l'aspect de femmes roides et massives, coiffées de murailles. Il y a une vingtaine d'années, un homme grimpa, la nuit, sur les

genoux de l'une d'elles (c'était, je crois, la ville de Lille) et lui cassa le nez. Surpris et interrogé par les gardiens de la paix, il donna pour raison qu'il ne pouvait souffrir la tête de cette femme-là. Je soupçonne les Trublions de se figurer les nations étrangères et les races infidèles, sous l'aspect de grandes femmes disgracieuses, comme les statues de la place de la Concorde.

Un peuple n'est ni aimable ni haïssable en masse, puisqu'il renferme tous les contraires, femmes, hommes, vieillards, enfants, riches et pauvres, oisifs et laborieux, les heureux et les malheureux, les hommes aux belles pensées et les brutes malfaisantes. Haïr un peuple, haïr une race, quelle démence! Une race est faite d'hommes bien différents les uns des autres, dont quelques-uns sont aimables, quelques-uns détestables et la plupart dignes de pitié.

Certes, un peuple doit se défendre quand on l'attaque, et la France a non seulement ses biens, son sol heureux, mais encore son génie, sa pensée à défendre. Mais qui la menace? Les Trublions sont comme ces petits chiens qui aboient aux chevaux débonnaires et aux cyclistes rapides.

Vous avez raison, me dit Jean Marteau, mais il n'y a plus de Trublions. Et il est vrai qu'ils sont déconfits. Mais le cléricalisme qui les suscita demeure.

ANATOLE FRANCE.

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