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celle d'un homme de si grand mérite. Or, qu'imagina-t-il ? Il demanda en mariage la fille de Caton, Porcia, bien qu'elle fut déjà mariée à Bibulus, dont elle avait deux enfants. Il raisonnait avec une plaisante candeur : « Si l'on communiquait les femmes honnêtes aux citoyens honnêtes, la vertu se multiplierait, et par le moyen de ces alliances, la ville se fondrait, pour ainsi dire, en un seul corps. » Puis, après avoir développé sa théorie sur la propagation de la vertu par le système des haras, il concluait bonnement : « Du reste, je rétrocéderai Porcia, s'il le faut, dès qu'elle m'aura rendu père, et que, par cette communauté d'enfants, je me serai plus étroitement uni à vous, Caton, et à Bibulus. » Cette ingénieuse proposition ne fut pas agréée; mais Caton, touché d'une demande si flatteuse, passa sa propre femme qui était enceinte, Marcia, à Hortensius, et cela, du consentement mème du père de Marcia! Bien plus, Hortensius étant mort, Caton épousa de nouveau Marcia (1).

Quand les premiers citoyens d'un grand peuple en étaient arrivés à afficher ce mépris de la loi conjugale, quelle honteuse licence ne devait pas régner dans les classes inférieures, où l'on ne trouve ni la délicatesse des sentiments, ni la crainte d'un scandale public!

La répudiation était devenue non plus seulement un acte de passion ou de vengeance, mais, pour quelques-uns, une habile spéculation. Voici comment lorsque la femme était répudiée pour cause d'adultère, elle abandonnait, à titre de peine, sa dot au mari. Un homme épousait donc une femme prostituée mais richement dotée, puis il faisait rompre le mariage pour adultère et gardait la dot.

Si la femme était ainsi le jouet des plus vils calculs, si elle pouvait s'entendre adresser trop souvent ce vers de Juvénal:

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Ocius et propera sicco venit altera naso.

elle abusait, elle aussi, du droit de répudiation avec autant de légèreté que le mari. Il se présentait souvent des cas de divorce semblables à celui que Coelius, dans une lettre à Cicéron, signale sans manifester le moindre étonnement: << Paula Valeria a divorcé, sans cause, le jour où son mari devait arriver de la province. Elle épouse Brutus. >> Cicéron parle des femmes de beaucoup de noces (multarum nuptiarum); et Sénèque a pu dire: «En est-il une qui rougisse d'être répudiée, depuis que des femmes de distinction comp

(1) Plutarque. Cato min. 25.- Strabon x1, p. 5.4. Quintilien, Just. orat. x, 5, 13. — Appian, 3, civ. 11, 99.

tent leurs années, non par le nombre des consuls, mais par le nombre de leurs maris? Les filles se montrent en public, afin d'être mariées; elles se marient pour faire divorce. Elles ont cessé de le craindre depuis qu'il est devenu commun; à force d'en avoir des exemples, elles ont fini par les imiter (1). » Juvénal (2) nous apprend que les femmes de Rome avaient trouvé moyen de changer de maris huit fois en cinq ans :

Sic funt octo mariti
Quinque per autumnos.....

Saint Jérôme (3) en vit enterrer une qui avait eu vingtdeux maris. Et l'on pourrait multiplier à l'infini ces citations.

Terminons par une Epigramme de Martial (L. vi, 7), qui nous fournit un dernier exemple, un peu hyperbolique sans doute, et une conclusion fort juste:

Aut minus, aut certe non plus, tricesima lux est,
Et nubit decimo jam Thelesina viro.

Quæ nubit toties, non nubit: adultera lege est.
Offendar mocha simpliciore minus.

Nous sommes de l'avis du poète : c'est prostituer la loi que de couvrir de son nom une débauche aussi éhontée. L'une des plus funestes conséquences de cette dépravation des mœurs, fut la généralisation du célibat. Par un phénomène étrange en apparence, on fuyait le mariage, alors que le joug en était plus léger et plus facilement brisé. Au fond, le bon sens populaire ne s'y trompait pas ce qui distinguait vraiment les justes noces du concubinat, c'était l'honneur et le respect qui s'y attachaient; mais lorsque le mariage fut lui-même déshonoré, quel motif si puissant en eût fait accepter volontiers les charges et les devoirs?

Le censeur Métellus Numidicus (4), exhortant ses concitoyens à se marier, en était réduit à recourir à ce raisonnement: «Si nous pouvions, Romains, vivre sans femmes, tous nous éviterions un tel ennui; mais puisque la nature a voulu qu'on ne pût vivre tranquillement avec une femme, ni vivre sans femme, occupons-nous plutôt de la perpétuité de notre nation que du bonheur d'une vie qui est si

courte. >>

De tels arguments ne sont pas faits pour convaincre le vulgaire, peu sensible aux abstractions philosophiques; aussi vit-on, aux ve et vie siècles, la dépopulation pro

(1) De Benef., L, 1u, ch. 16.

(2) Sat. vi, v. 229.

(3) Opp. T. 1, p. 90, Ad Gerontium. Aulu-Gelle, L. I.

gresser rapidement, et constituer pour la puissance romaine un danger sérieux. Pline reconnaît que, sans les troupeaux d'esclaves amenés par la conquête, une partie de l'Italie fût demeurée déserte.

L'Etat, ainsi attaqué dans l'un de ses éléments vitaux, dut enfin réagir, et, par deux lois célèbres, l'empereur Auguste s'efforça d'endiguer le torrent d'immoralité qui menaçait de détruire la cité en même temps que la famille. La loi Julia de adulteriis frappa de peines sévères l'époux adultère et celui contre qui le divorce était prononcé. La loi Pappia Poppoa établit, pour punir le célibat et favoriser la fécondité des mariages, un système successoral très rigoureux. Mais cette législation fut impuissante; les auteurs postérieurs à Auguste, que nous venons de citer, le disent assez. Le mal était trop profondément enraciné pour être détruit par des mesures de cette nature. « Le peuple romain, dit M. Gide, qui assistait avec une muette indifférence au renoncement de toutes ses libertés, se révolta dès qu'on voulut toucher à ses vices. » D'ailleurs, comme le remarque très justement M. Accarias, « les lois caducaires, en poussant les citoyens à des unions précipitées et sans choix, accéléraient artificiellement la dépravation qu'elles prétendaient arrêter. » Enfin, le divorce lui-même n'était-il pas plus criminel que le célibat? « Illa namque conjugalia sacra spreta tantum, hoc etiam injuriosè tractata (1). »

C'en est assez. Nous connaissons maintenant l'origine, les progrès, les effets du divorce à Rome. Nous nous garderons bien d'ajouter des réflexions personnelles à l'impartial enseignement de l'histoire, d'affaiblir par des commentaires le témoignage des contemporains, si saisissant dans sa brutale franchise. Dieu veuille que ces accents attristés du poète, trop vrais pour l'Empire romain, ne puissent jamais être appliqués à notre chère France:

Fecunda culpæ sæcula nuptias

Primum inquinavere, et genus et domus :
Hoc fonte derivata clades

In patriam populumque fluxit (2).

Eugène FLORNOY,.

Docteur en droit.

(1) Code Théodosien. De repudiis, L. 1. (2) Horace, L. III, Ode 6.

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1869-1882.

Un des moyens les plus faciles et les plus sûrs qu'on ait pour juger de la moralité d'un peuple, c'est le résultat de l'administration de la justice criminelle. Si l'ordre règne dans une nation, si les lois y sont justes et bien observées, si l'honnêteté publique y est respectée, il est évident que les actes délictueux y seront rares: sans doute, il y aura toujours des désordres à réprimer et des coupables à punir, car on ne peut pas espérer de voir un état de choses où la vertu règne sans partage, et toujours les passions indomptées et les mauvais instincts de la nature humaine déchue feront commettre des crimes; mais au moins ces crimes ne seront que des faits exceptionnels dont la religion, de sages institutions politiques et une énergique répression tendront sans cesse à diminuer le nombre et à atténuer la gravité. Lors, au contraire, que le trouble agite les esprits, que la conscience n'a plus de règle et que la loi, au lieu d'être l'expression du droit, n'est que le produit du caprice et des calculs intéressés ou haineux de ceux qui ont mission de la faire, comment le niveau de la criminalité ne s'élèverait-il pas sans s'arrêter?

Il ne faudrait pas cependant s'en tenir uniquement aux données de la statistique. Plusieurs causes en effet en infirment la valeur dans une certaine mesure.

La répression des crimes et des délits peut se poursuivre avec plus ou moins de rigueur. Il est des époques néfastes où le sens moral s'affaiblit, où la conscience baisse la voix, où la distinction entre le bien et le mal s'efface, où l'on transige avec le devoir, et où l'on capitule devant les erreurs et les faiblesses du moment. L'opinion si mobile et si changeante modifie l'appréciation des faits, elle en altère la portée, elle en déguise le caractère; elle empêche de traduire devant les tribunaux ceux qui les ont accomplis et elle obtient des juges des sentences adoucies ou mème des absolutions complaisantes.

De plus, la législation elle-même tend quelquefois à se rendre complice de cet amollissement universel des àmes, et elle en vient, sous l'empire de préoccupations singulières, de préjugés injustifiables ou même de coupables condescendances, à innocenter des actes qui sont de véritables attentats contre l'ordre social. C'est ainsi que la loi du

27 juillet 1881 sur la presse ne considère plus comme des délits des faits qu'à raison de leur gravité les lois promulguées sous les régimes politiques antérieurs avaient frappés de peines plus ou moins sévères, et qu'elle en est venue notamment, pour obéir au mot d'ordre de l'athéïsme, à permettre toutes les attaques contre l'ordre religieux tout entier, ainsi que les plus sanglants outrages et les plus odieux blasphèmes contre Dieu.

Et puis, une nation peut descendre dans la corruption. et s'affaisser dans la boue sans que le nombre des méfaits qui relèvent de son Code pénal augmente sensiblement. Il est des vies immondes qui se prolongent sans donner prise à l'action répressive des lois humaines. Un peuple peut, sa littérature et sa presse aidant, se fausser l'esprit et se corrompre le cœur, s'abâtardir et se gâter, sans commettre en trop grand nombre de ces actes dont l'énormité blesse la conscience la moins délicate. L'habitude du vice n'engendre pas toujours le crime; une civilisation brillante à l'extérieur et correcte en apparence, peut dissimuler d'immenses misères morales; et, comme autrefois à Jérusalem, il y a souvent de ces pharisiens qui ressemblent à des sépulcres blanchis, beaux au dehors, mais remplis au dedans d'une infecte pourriture.

Quoi qu'il en soit, et ces réserves étant faites, on ne peut pas nier l'importance de la statistique criminelle; on doit faire grand cas des indications qu'elle donne, et reconnaître qu'elle renseigne d'une manière suffisamment exacte sur cette partie de la morale publique à la protection de laquelle les lois humaines consacrent leur puissance et leur autorité. La France est-elle en progrès sous le rapport des mœurs? Le problème vaut la peine d'être examiné, et c'est à cette étude que nous allons procéder en comparant deux époques assez éloignées l'une de l'autre pour que la marche de la nation en avant ou en arrière puisse être sensible, assez rapprochées cependant pour que les conditions de sa vie sociale ne soient pas notablement différentes. En regard de l'année 1882, sur laquelle nous avons les documents publiés récemment par la Chancellerie, nous plaçons l'année 1869. On ne se plaindra pas du choix que nous en avons fait : elle est la dernière du régime impérial; à elle aboutissent et vont se terminer les longs calculs de la politique de Napoléon III: elle n'est pas la plus calme et la plus paisible de son règne, car l'hostilité de l'Empereur contre la Papauté et ses machinations contre le Souverain Pontife avaient jeté un trouble profond dans les consciences, tandis que les essais d'un libéralisme de mauvais aloi agitaient les esprits et mettaient la confusion dans l'Etat.

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