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même conservé les apparences de la pudeur. On ne s'est jamais joué plus impudemment de sa propre parole qu'il ne le fait en ce moment dans ses notes diplomatiques. C'est au moment même où l'empereur Alexandre remplit ses mémorandum des assurances « de sa sollicitude pour ses bien-aimés sujets de Pologne, » que le féroce Mouraviev remplit la Pologne de sang et de larmes. Chaque jour que gagne l'empereur par ses phrases philanthropiques, le ministre l'emploie en nouvelles exécutions. Et ces assurances si bien prouvées par les faits sont reçues par la diplomatie occidentale avec tous les témoignages de la plus parfaite confiance et de la plus profonde vénération. Elle s'apitoie sur les extrémités auxquelles il est réduit. Que sont les cris des victimes auprès de cette attestation auguste et authentique des sentiments de S. M. I. et R.? Ne faudrait-il pas avoir perdu l'esprit pour attacher plus de foi aux plaintes d'un peuple martyrisé, mais partial, qu'à la parole d'un souverain aussi considérable que celui de toutes les Russies?

Telle est évidemment l'opinion de la diplomatie occidentale; c'est à contre-cœur qu'elle se voit forcée de verbaliser contre un aussi grand monarque en faveur de quelques factieux, et pendant qu'elle rédige ses plans de pacification et ses représentations amicales, le gouvernement russe met le temps à profit en exterminant en Pologne tout ce qui aurait pu offrir un point d'appui à notre intervention. Lorsque cette tâche sera achevée, les puissances se trouveront toutes dispensées de remplir l'obligation qu'elles n'osent envisager en face. On dirait que c'est là en effet le but qu'elles poursuivent, tant elles apportent de lenteurs et de tergiversations dans une question douloureusement urgente s'il en fut jamais. Le temps qu'elles ont employé pour rédiger leurs six points, document d'une fastueuse inutilité que personne ne considère comme réalisable, surtout parmi ceux qui l'ont inspiré, représente à lui seul les ruines fumantes de vingt cités et la vie de plusieurs milliers d'hommes. On frémit lorsqu'on songe à la longueur des délais, à la facilité des prétextes, au nombre des subterfuges de toute sorte qu'une pareille mise en demeure offre au cabinet russe. Sa réponse n'est pas encore connue, mais il est aisé de la prévoir. Il acceptera avec empressement la discussion sur ce terrain, car il peut la faire durer plusieurs années. Il vaudrait mieux pour les Polonais que l'intervention n'eût jamais été mise en délibération plutôt que de se traduire en pareils termes. Ils n'auraient jamais compté que sur leur désespoir, auxiliaire moins prodigue de promesses mais plus sûr que les puissances qui les ont encouragés. Le principal coupable de ces lenteurs cruelles comme de cette misérable politique c'est, il faut le dire, le cabinet anglais. L'Angleterre,

depuis quelques années, perd beaucoup de son ancien prestige en Europe. Ce n'est jamais impunément qu'un peuple pratique la politique de la paix à tout prix. Telle est à peu près la seule règle de conduite qu'on puisse aujourd'hui apercevoir dans ses actes, et sa considération n'y gagne pas. Comme le peuple anglais est très-libéral en démonstrations de sympathie, en même temps que son gouvernement devient plus avare de son appui et de ses ressources, tout le monde est plus ou moins trompé pour avoir compté sur l'un ou sur l'autre, et ne pouvant l'avoir pour allié, on s'habitue à se passer de lui. Un gouvernement assez mal inspiré, pour se résigner à ce rôle, quelles que soient la force et la grandeur du peuple dont il dirige les destinées, ne tarderait pas beaucoup à tomber dans le mépris. En ce qui concerne la Pologne, il y a déjà eu en Angleterre cinq ou six revirements complets de l'opinion publique, et des évolutions non moins nombreuses dans la politique du gouvernement. Le motif de ces hardiesses soudaines, bientôt suivies de paniques puériles, n'est un secret pour personne; mais quand on occupe dans le monde la position unique qu'y tient l'Angleterre, on devrait savoir risquer quelque chose pour la conserver, et se souvenir que la fierté est aussi quelquefois un bon calcul. Or la politique de l'Angleterre dans la question polonaise a manqué non-seulement de fierté mais de dignité. Il n'était digne ni de l'histoire ni des traditions du peuple anglais de déclarer, comme l'a fait lord Palmerston dès l'ouverture de ces négociations, qu'on ne ferait la guerre à aucun prix; car avancer de pareilles maximes, c'est déclarer qu'on met l'intérêt au-dessus de l'honneur, et s'exposer à compromettre l'un et l'autre. Le cabinet anglais devrait se contenter des lauriers que cette politique lui a valus dans la question italienne. Les défiances qui le font agir ont certainement un côté très-légitime; mais ce n'est pas en s'isolant dans une immobilité stérile et systématique, qu'il en préviendra mieux l'objet. Ce n'est pas en reculant sans cesse devant la responsabilité qui s'offre à lui, qu'il accroîtra son influence en Europe. Il n'évitera au contraire les éventualités qu'il redoute, qu'en se mettant à la tête du mouvement pour le contenir et le modérer au besoin, au lieu de le suivre de mauvaise grâce et comme attaché au char du vainqueur. Le Times résumait ces jours derniers la position de l'Angleterre dans la question polonaise, en disant que tous ses intérêts s'opposaient à cette guerre, et que si elle ne la faisait pas, c'était le déshonneur. Et il gémissait de voir son pays engagé dans une telle impasse. Jamais à une autre époque cette alternative n'eût été envisagée comme une impasse pour l'Angleterre.

A mesure que l'intervention diplomatique et la lutte insurrection

nelle suivent leur marche parallèle, comme pour se railler l'une l'autre, on est chaque jour plus vivement frappé des impossibilités que renferme le problème dans les termes où la diplomatie l'a posé. Au début même de cette guerre nous disions toute réconciliation impossible entre la Pologne et la Russie; qu'en pensent aujourd'hui les diplomates? Nous disions les traités de Vienne insuffisants et déri– soires; qu'en pense leur obstiné champion lord Palmerston? Que pense-t-il de ses six points présentés aux Polonais par un Mouraviev? Il est temps de renoncer à cette politique d'octogénaire et d'en venir aux viriles résolutions qu'exige l'état de l'Europe. Il faut enfin savoir le reconnaître, les demi-mesures ne peuvent rien pour résoudre les difficultés de la question polonaise. Il n'y a d'arrangement possible et durable que par une reconstitution de la Pologne ; et si l'on demande dans quelles limites, je réponds, sans crainte de me tromper, dans celles qui lui sont tracées aujourd'hui par l'état de siége et par la dévastation. Ses ennemis eux-mêmes ont pris le soin de marquer la ligne avec du sang. Cette preuve ne peut être récusée; elle prévaudra sur les touchants scrupules qu'éprouvent tant d'honnêtes gens lorsqu'il s'agit de faire rendre gorge au spoliateur et au meurtrier. La Russie, définitivement refoulée vers l'Orient, pourra se livrer à ses goûts de civilisation sur les hordes errantes de l'Asie. Il faut laisser à ses nouvelles destinées une nation qui a un si bel avenir en Tartarie.

L'assimilation que le despotisme russe s'est flatté de réaliser entre la Russie et la Pologne, et dont le marquis Wielopolski s'est fait en désespoir de cause l'apôtre forcené, est une monstrueuse utopie qui n'a jamais reposé que sur une confusion de mots. L'identité d'origine et de race qu'on a supposée entre ces deux peuples parce qu'ils ont quelques éléments communs est toute chimérique. Si l'on ne savait quel rôle les invasions tartares et mongoles ont rempli dans la formation de l'empire russe, on n'aurait besoin, pour nier cette identité, que de rappeler les différences si profondes de génie et de caractère qu'atteste l'histoire des deux nations, à n'en saisir même que l'aspect le plus général et le plus apparent. D'un côté vous voyez un peuple qu'on peut dire né pour le despotisme, tant il en conserve les traditions avec une sorte de culte religieux, tant il se courbe avec amour sous la main de ses maîtres. Là, le pouvoir est une espèce de fétiche, une idole qui tient dans ses mains l'empire des âmes aussi bien que celui des corps par une confusion inconnue aux peuples européens, et qui produit un degré de servitude dont on ne pourrait citer aucun autre exemple.

En Pologne, au contraire, vous voyez une nation qui a aimé la

liberté jusqu'à en mourir. Le liberum veto qui a perdu la Pologne n'est pas autre chose que le respect de la liberté poussé jusqu'à la superstition et à l'aveuglement. Il n'y a pas moins d'opposition entre les mœurs serviles, le caractère artificieux des Moscovites et les entraînements parfois inconsidérés, mais toujours généreux, du caractère polonais. C'est faire violence à la vérité et au bon sens que de vouloir souder de vive force l'un à l'autre, sous prétexte qu'ils ont une commune origine, deux peuples dont l'histoire offre à première vue des contrastes aussi fortement marqués. La mort elle-même est impuissante à les réconcilier, puisqu'on voit la Pologne sortir du tombeau, après soixante-dix ans de sépulture, pour protester contre ce hideux accouplement de l'exécuteur avec la victime.

Les États-Unis viennent d'échapper à une nouvelle tentative d'intervention. Autant on est peu tenté d'intervenir en faveur de la Pologne, autant on brûle d'impatience d'aller détruire dans son foyer l'odieux despotisme de la république de Washington! Ce n'est ici qu'un excès d'émulation qui paralyse les puissances. Que le cabinet français ait pu songer à prêter sa coopération à cette œuvre antifrançaise, qu'il ait pu se résigner, contre toutes nos traditions nationales, à porter la main sur la libre république que notre sang a contribué à fonder et qui est notre alliée naturelle et nécessaire, c'est ce que nous ne nous chargerons pas d'expliquer ici; mais qu'il ait pu croire que l'Angleterre consentirait à nous donner son appui, la France ayant au Mexique, à deux pas des États du sud, une armée de cinquante mille hommes, c'est de sa part une naïveté que rien n'excuse. Tant que cette situation se maintiendra, nous ne redoutons rien pour les États-Unis d'une intervention européenne. Les succès même des confédérés, quelque alarmants qu'ils soient par leur inconcevable persistance, ne sont pas aussi redoutables qu'ils en ont l'air. Notre évaluation sur ce point n'est pas la même que celle des Américains. Nous comptons par les batailles gagnées ou perdues, et eux ne comptent plus depuis longtemps que par le nombre proportionnel des tués et blessés. Il en résulte, grâce à l'immense supériorité des ressources qui est acquise au Nord, que telle défaite est une victoire, et telle victoire une défaite. Si le Nord sait s'emparer de la ligne du Mississipi, on peut prédire presque à coup sûr que son triomphe définitif n'est qu'une question de temps.

CHARPENTIER, propriétaire-gérant.

P. LANFREY.

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